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par leurs concerts amoureux; rivaux pleins d'une vive émulation, ils se cherchent, ils s'attaquent, ils se répondent, ils se combattent; leurs chansons commencent avec le jour, et ne finissent qu'avec lui: je me trompe, elles ne finissent pas même; tu les prolonges d'un soleil à l'autre, solitaire Philomèle, sirène des bois; et quand la sombre nuit vient imposer silence à la nature, elle te laisse le droit de chanter encore, et de charmer ta tendre mélancolie; l'écho veille avec toi, avec lui tu t'entretiens de tes anciens malheurs; tes airs, tes harmonieux soupirs, portés au loin, diminuent l'horreur du vaste silence: pour t'entendre exhaler ta peine, la sœur du soleil absent promène plus lentement dans les plaines de l'air son char argenté; elle s'abaisse, elle semble se fixer sur ton bocage, et la déesse du matin te trouve encore dans la plainte et dans les veilles amoureuses.

C'est par ce goût du chant que souvent les oiseaux nous en ont disputé l'avantage et le prix; jaloux d'une belle voix ou d'un instrument bien touché sous un ombrage, souvent le rossignol a défié nos plus doux accents, chantant tour-à-tour, et balançant la victoire, lassé enfin plutôt que vaincu, honteux de survivre à son silence, souvent du sein

des ormeaux il est tombé aux pieds de son vainqueur en soupirant, et plus d'une fois la guitare a été son tombeau. C'est ce même appât qui du fond des eaux a souvent attiré dans les filets les poissons moins craintifs; c'est cet attrait qui, selon Pline, rend le cerf attentif aux doux accents de la flute, le fougueux coursier sensible au bruit réglé du tambour, l'éléphant aux sons audacieux du clairon; c'est lui, dit Ovide, qui, par la douceur du chalumeau, arrêta souvent le loup enchanté tandis qu'il poursuivait l'agneau tremblant.

Paraissez maintenant, censeurs rigoureux, graves aristarques; osez demander encore où sont la puissance et le mérite de l'harmonie; toute la nature vous a répondu; et n'ai-je point dans votre cœur un témoin secret contre vous-mêmes? à chaque instant du jour la nature vous répètera par toutes ses voix que l'harmonie est un présent qu'elle a reçu des cieux pour charmer ses ennuis et pour faciliter ses travaux: ainsi tout chante dans sa peine. Que font dans leurs fatigues tant d'hommes que le besoin condamne à souffrir pour d'autres hommes, et dont les mains, la liberté, et les jours, sont vendus à des maîtres? que fait le laboureur matinal en traçant ses pénibles sillons, le diligent moisson

neur au milieu des plaines brûlantes, l'industrieux vigneron sur les côteaux qu'il cultive? que fait le berger toujours errant avec son troupeau? que fait le forgeron laborieux parmi les flammes dont il est environné? que fait sur le rivage le pêcheur impatient? que fait dans sa prison flottante le rameur captif, le forçat infortuné? que font tant d'autres mortels dévoués à la solitude ou au malheur? ils chantent, et par le chant ils écartent le chagrin; ils semblent hâter le temps, ils abrégent les heures trop lentes: ainsi le solitaire ennuyé chante dans son désert, le voyageur dans l'horreur des bois, l'exilé dans sa retraite, le captif dans ses fers, le prisonnier dans ses ténèbres, l'esclave dans les mines et dans les carrières profondes: du centre de la terre où il est enseveli vivant, ses chants s'élèvent jusqu'à la région du jour. Par un penchant invariable, par un instinct commun, par un goût universellement consenti, tout annonce, tout atteste que l'harmonie est un plaisir nécessaire à la nature. Si nous examinons les autres plaisirs, ne leur trouverons-nous pas ou moins d'étendue, ou moins de pouvoir, une volupté moins pure, des sensations moins délicieuses? il est des plaisirs de caractère et d'opinion goûtés chez un peuple, inconnus aux autres;

l'harmonie réunit tous les goûts. Il est des plaisirs d'arts et de littérature accordés à peu d'hommes cultivés; l'harmonie n'en excepte presque aucun de ses faveurs. Il est des plaisirs muets, inanimés, qui ne parlent qu'aux yeux sans rien dire au cœur, tels sont les spectacles que nous offre le pinceau; l'harmonie ne manque point de sentiment. Il est des plaisirs languissants, émoussés, trop uniformes ou trop tôt épuisés : est-il un plaisir plus brillant, plus diversifié, plus intarissable que celui de l'harmonie? plaisir puisé dans la nature, plaisir enfin si nécessaire, et dont la privation doit être si sensible, que le Seigneur Dieu lui-même, prêt à punir Tyr criminelle, menace cette ville par la voix du prophète de faire cesser dans ses murs le son des cithares et le plaisir des concerts; témoignage sacré des charmes et de la puissance de l'harmonie! S'étonnera-t-on après cela qu'elle ait eu la vénération des peuples de tous les temps et de toutes les contrées ? Troisième preuve de sa noblesse.

Ne peut-on pas, messieurs, dire d'une belle voix ce qu'on dit de la beauté même, qu'elle est citoyenne de tous les pays, qu'elle est, comme

I Ezechiel, XXVI, 13.

la langue de l'amour, la même pour tous les peuples, et qu'elle porte partout les marques de l'empire? En effet, comme la beauté, une voix brillante n'est nulle part étrangère; partout elle a ses droits victorieux; reine des rois même, elle peut parcourir l'univers en souveraine; sous quelque ciel qu'elle se trouve, semblable à l'astre du jour, elle n'est jamais hors de son empire, et partout où il est des cœurs elle a des sujets et des autels: tel a été chez toutes les races l'éclatant avantage de l'harmonie. Les autres arts depuis leur naissance ont vu souvent leurs honneurs interrompus, soit par les fureurs de Mars, soit par les règnes contraires aux muses; il a été des siècles de ténèbres, des temps léthargiques, des jours de décadence et de barbarie pendant lesquels le dieu du goût était exilé du monde, les lettres savantes anéanties, les muses muettes, les arts au tombeau, sans adorateurs et sans Mécènes, enfin toutes les sciences éclipsées ou voilées dans un coin de la terre: mais dans cette nuit commune jamais la musique ne perdit ses clartés; ses rayons percèrent toujours à travers les nuages de l'ignorance; jamais ses temples ne furent déserts ni ses autels sans fleurs. Écoutons les témoins qui nous en restent dans les mo

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