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numents sacrés et profanes; ils nous diront que tous les siècles, et surtout les siècles polis, ont été marqués par des honneurs constamment décernés à l'harmonie ; ils nous diront qu'elle a été recommandée par les plus sévères philosophes, cultivée par les plus grands héros, chérie dans les plus sages républiques, illustrée par les plus puissants monarques, la science favorite des conquérants et des rois: l'Égypte nous dira que le dernier de ses Ptolémées s'honora du nom dû à l'harmonie, sur le modèle des magistrats de Thessalie 2. Si nous nous arrêtons un instant chez les Grecs, ils nous rappelleront que leur Olympe était peuplé de dieux amateurs de l'harmonie; que leur Parnasse, temple des concerts parfaits, était présidé par le souverain de la lyre; que les plaisirs de leur Élysée étaient des concerts éternels; que les tourments de leur Tartare n'étaient pas seulement un enchaînement de tortures, un océan de feux implacables, mais encore une discorde de voix, une horrible confusion de cris douloureux, une dissonance éternelle de gémissements lugubres; ils nous appren

1 Ptolémée Aulètes.

2 Les proorchestres. Lucien.

dront que dans les beaux siècles d'Athènes il était honteux d'ignorer la musique; que les sages de l'aréopage étaient ses disciples; qu'elle était une des parties de la politesse attique; que Socrate lui-même, ce mortel estimé des dieux et loué par eux, apprit de nouveau dans sa vieillesse à toucher le luth; que quiconque vivait sans goût pour cet art était regardé comme un mortel stupide qui n'avait jamais sacrifié aux Graces. Ainsi, dans un festin, Thémistocle, ayant refusé de prendre la lyre à son tour, fit naître le préjugé d'une éducation négligée. De ces amas de témoignages il résulte, je l'avoue, une preuve lumineuse et satisfaisante; mais c'est peu oublions tant d'éloges humains, faibles crayons de la dignité de l'harmonie; ne prenons que sur les autels les guirlandes dont nous la couronnons. Oui, messieurs, c'est sous cet aspect sacré que j'aime surtout à envisager les honneurs distingués de cette science majestueuse ; j'aime à la voir singulièrement préférée à toutes les autres pour parler aux dieux, pour leur porter l'encens du monde, pour publier leurs grandeurs, pour désarmer leur colère. Jetons un regard sur toutes les religions de tous les temps: ici les temples d'Isis et d'Osiris retentissent du son des sistres de Canope;

là, dès l'aube du jour, les mages de la Perse et les ignicoles prennent leurs harpes d'argent pour recevoir le soleil prêt à sortir du sein de l'onde, pour obtenir ses premiers regards, et pour adorer dans cet astre le feu éternel, le radieux Oromaze, dieu de leurs pères; plus loin le noir brachmane remplit les bords du Gange des hymnes de l'aurore. Ici les rives grecques répètent chaque jour le nom de Jupiter Olympien; là, les rives hespériennes retentissent des danses guerrières et du chant des Saliens, tandis que les rivages germaniques et les échos de nos contrées répètent au loin le nom du sanguinaire Teutatès chanté par les druides. Ainsi l'ont pratiqué tous les peuples: ils chantaient dans leurs mystères, non-seulement pour parler aux immortels sur des tons supérieurs au langage vulgaire, mais encore pour fixer l'attention du peuple assemblé, pour pacifier les sens, pour régler les esprits par la justesse des sons, pour échauffer les cœurs, pour les préparer à la présence des dieux. Que dis-je cependant? pourquoi m'arrêter si long-temps sur les honneurs de la musique idolâtre? c'est à toi seule, ce n'est qu'à tes sacrés accords que je dois ma voix, harmonie sainte du peuple choisi; toi qui portas si souvent

aux pieds du Dicu d'Israël les hommages reconnaissants de son peuple; n'était-ce pas sous tes auspices que les Israélites s'avançaient au combat? précédés des enseignes triomphantes du Seigneur, les chantres consacrés marchaient à la tête des bataillons; unissant leurs voix sublimes aux instruments militaires, ils imploraient les secours du Dieu des armées. Et ne durent-ils pas même un triomphe à l'harmonie? Josué assiége Jéricho : ce n'est point à l'effort des armes que cette conquête est réservée par l'ordre suprême du ciel les sept premiers sacrificateurs prennent des trompettes harmonieuses; Jéricho va périr; les trompettes sonnent sa ruine, ses tours chancellent; le Seigneur parle, les murs tombent, Jéricho a été pris.

Mais franchissons le vaste intervalle des temps; hâtons-nous d'arriver aux jours de David, époque la plus magnifique des honneurs de l'harmonie : c'est par ce roi que nous la verrons introduite dans les tabernacles du Seigneur; elle y entre suivie des filles de Sion, pour soutenir la majesté du lieu saint, pour augmenter la pompe des sacrifices, pour relever le spectacle de la religion. David lui-même précède, en dansant, l'arche auguste; il règle ses pas légers sur les sons de sa

harpe ravissante; dans tous ses cantiques, monuments éternels de son amour, il demande que ses accords soient mille fois répétés sur la cithare, sur la cymbale, sur l'orgue, sur la trompette; il réveille tous les échos du Jourdain; il invite la nature entière à chanter son auteur, à ne faire de toutes ses voix qu'un concert de louanges, de gratitude et d'adorations unanimes: aussi les soins et les bienfaits de ce prince religieux avaient-ils rendu les Lévites les premiers musiciens de l'univers; ainsi le publiait la renommée. C'est par là que, pendant les jours de la captivité, les peuples de l'Euphrate invitaient les tristes Hébreux à leur apprendre quelques-uns de leurs airs si vantés: mais Israël exilé ne peut chanter loin des champs de Solyme; il ne peut que gémir, ses harpes en silence sont suspendues aux saules du rivage : tel l'oiseau captif néglige son chant, ou, si son gosier s'ouvre quelquefois, ce n'est qu'aux soupirs; sa voix est morte aux délectables accents. Enfin, messieurs, 5, parcourez toutes les pages de la loi antique, partout vous rencontrerez, ou des concerts de louanges, ou des cantiques de victoire, ou des chants de funérailles : il semble qu'aucune voix mortelle n'est digne de l'oreille du Seigneur, si

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