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elle n'est portée au trône de la toute-puissance sur les ailes de l'harmonie, au travers des nuages d'encens. Dans des sacrifices plus parfaits, la loi nouvelle a conservé à la musique sa place dans les sanctuaires. Oui, dit l'oracle de l'Afrique, le pasteur et l'ornement d'Hippone : « Je ne puis trop approuver les chants dont retentissent nos temples; par ces augustes accords je me sens vi«vement ému, pénétré de cette horreur sacrée qu'inspire la demeure de Dieu, frappé d'un respect profond, saisi d'une sainte ivresse: nouveau Paul, je suis dans les cieux, mon esprit est en« levé au-dessus de lui-même; il s'élance jusqu'au triple trône du Très-Haut, il se croit admis aux << concerts éternels des intelligences suprêmes, et « mon cœur embrasé va se perdre dans le sein de << la Divinité. »

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Dans cette uniformité de suffrages acquis à l'harmonie peut-il être une vénération plus marquée, plus suivie, plus incontestable? Cette gloire de l'art a toujours rejailli sur ses artistes: souvent les favoris de l'harmonie furent illustrés par les couronnes, par les lauriers, par les pompes triomphales, par les applaudissements des théâtres, par des statues érigées, par des mausolées, par des

inscriptions mémorables, par les honneurs même de l'apothéose, enfin par tous les monuments publics inventés chez les peuples divers pour immortaliser les talents. De là ils sont encore une nation chère et sacrée aux mortels; avantage souvent refusé aux nourrissons des autres sciences. On évite un sophiste, on néglige un géomètre, on fuit un critique, on siffle un chimiste, à peine remarque-t-on un grammairien: on aime, au contraire, on recherche un élève de l'harmonie ; il est le citoyen de toutes les contrées, l'homme de toutes les heures, l'égal de tous les hommes de goût et de sentiment : le monde entier est sa patrie. De là vient encore que le souvenir des musiciens illustres des siècles supérieurs est beaucoup plus aimable et plus précieux à l'esprit et à l'humanité, que le souvenir des conquérants les plus renommés, faux héros, tyrans réels. Les conquérants étaient nés pour la perte du monde, les musiciens illustres pour son bonheur : les uns, avides de funérailles, ont porté les larmes, la discorde, la mort; les autres, toujours bienfaisants, toujours applaudis, ont porté partout la paix, la concorde, le plaisir : la terre consternée s'est tue devant ceux-là; par ceux-ci la terre rassurće

a retenti de sons pacifiques : les conquérants, couronnés de sanglants lauriers, sont sortis de la vie souvent par une fin précoce, toujours chargés de la haine des peuples indignés, perdus sans être pleurés; les musiciens fameux, couronnés de myrte et de roses, et paisiblement expirés, ont emporté chez les morts les regrets des nations. Oui, le nom d'un tendre Orphée sera toujours plus chèrement gardé au temple de mémoire, que le nom d'un fougueux Alexandre.

Telle est la noblesse de la musique, noblesse fondée sur l'antiquité de son origine, illustrée par sa puissance suprême, confirmée par la vénération de tous les temps et de tous les peuples. Mais aux preuves de sa dignité joignons celles de son utilité; louange pour cet art plus délicate encore que la première.

SECONDE PARTIE.

QUAND la musique ne serait qu'un art enjoué, qu'une science riante et de pur agrément, par là même ne serait-elle pas une science utile, un art même nécessaire? Car est-il rien de plus néces

saire à l'homme qu'un plaisir innocent? Le plaisir n'est-il pas chaque jour un des besoins de l'humanité? Mais allons à la conviction par des routes moins détournées. La république doit à l'harmonie de plus solides bienfaits que des plaisirs infructueux. Je sais, messieurs, que j'avance un paradoxe, disons mieux, une vérité peu développée, mais à qui il n'a manqué que l'occasion d'éclore; osons donc l'amener à la lumière, lui donner ses couleurs, et la revêtir de toutes les preuves que la réflexion et l'expérience offrent de nous en fournir. Au reste, je ne hasarde point un sentiment isolé et sans auteurs, quand je soutiens que le mérite de la musique ne se borne point au gracieux, et qu'il s'étend jusqu'à l'utile; je ne fais que me ranger au sentiment reçu chez la sage antiquité. En effet, si l'importance de cet art n'avait été dès-lors reconnue, les législateurs de l'Égypte, de la Perse, d'Athènes, les maîtres des nations, auraient-ils fait une loi de l'harmonie ? s'ils n'avaient jugé sa durée nécessaire aux destins heureux des empires, l'auraient-ils fait marcher de front avec la religion? l'auraient-ils munie de ce sceau consacré par la main de l'immortalité même? Lycurgue, en voulant former une répu

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blique de héros, aurait-il inscrit l'harmonie dans le livre austère des lois de Lacédémone? aurait-on lu cette inscription sur la façade de l'école de Pythagore : « Loin d'ici, profanes! que personne ne porte ici ses pas, s'il ignore l'harmonie; profanes, loin d'ici! » Platon en aurait-il admis l'étude dans sa république de sages, ou d'autant de dieux? Aristote, son disciple, et tant d'autres philosophes, héros du lycée, du portique, du prytanée, du Capitole, en auraient-ils recommandé l'usage comme d'une science également née pour le bien des mœurs, pour les progrès des vertus, pour l'embellissement des arts, pour l'union de humains; pour la paix du monde? Voilà les maîtres dont j'apprends l'utilité de l'harmonie si je m'égare sur les traces de ces guides illustres, il est plus beau d'errer par cette hardiesse généreuse à dévoiler des vérités nouvelles qu'offre un hasard heureux, que de ramper avec ces ames faibles, ces esprits trop sages ou trop superstitieux, ces génies serviles qui n'osent sortir un instant du cercle des vérités établies, ni marcher dans des routes, s'ils n'y trouvent des vestiges. Mais non, messieurs, ce n'est point par la date ancienne de ce sentiment, ni par les grands noms de ses premiers partisans

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