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son des flûtes douces et des airs lydiens, pour ramener l'esprit égaré pendant le jour sur des objets étrangers, pour mieux l'apprêter aux faveurs du dieu des pavots, et pour appeler le paisible silence et les songes riants.

Doutera-t-on que la musique sache calmer les passions violentes? Les annales de l'histoire et les fastes de la poésie nous montrerout par elle la rage désarmée, la fureur fléchie, la sédition étouffée, la colère ralentie, l'audace réprimée, l'impétuosité d'Achille tempérée par la lyre; et les pages saintes nous peindront souvent le perfide Saül ramené des fougues infernales par les accords du jeune pasteur de Sion; attirée du ciel par l'harmonie, la paix descendait dans le cœur de ce prince jaloux. Est-il, messieurs, est-il aucune autre science profane si maîtresse des mœurs ? Car enfin, levons le bandeau du préjugé et de l'éducation, prenons des yeux un peu philosophiques; éclairons-nous sur le vrai prix de ces sciences servilement adorées du peuple lettré: n'outrons rien, mais aussi osons ne rien taire, osons nous munir d'un sage pyrrhonisme; et, par une idolâtrie littéraire indigne du vrai goût, ne fléchissons point le genou devant ces vaines idoles, qui peut-être

ne doivent avoir des autels que chez la prévention crédule et le superstitieux vulgaire. Répondez donc, vous, leurs adorateurs scrupuleux; rendez compte de votre culte, parlez : que sert aux mœurs la profane éloquence? Enchanteresse des sens, elle excite un bruit brillant dont l'oreille est flattée, mais que le vent emporte bientôt, et dont rien ne va jusqu'au cœur; semblable à ces feux légers, à ces flammes volantes et dociles que l'art industrieux décrit dans les airs, feux qui, dans un même instant, naissent, brillent, et s'évanouissent science spécieuse et trop stérile, qui donne à la république de plus opiniâtres parleurs, sans lui donner de meilleurs citoyens.

Que servent aux mœurs tous ces arts que nous devons à l'oisiveté des prêtres de l'Égypte, l'exacte géométrie, l'audacieuse astronomie, la profonde algèbre? Tandis que l'esprit s'ensevelit dans les calculs, ou s'égare dans les cieux, ou s'abîme dans les sombres méditations, qu'en revient-il aux vertus? Sciences trop indifférentes, qui donnent tout à la spéculation, peu au sentiment, rien à l'homme.

Que sert aux mœurs l'étude de la grammaire et des langues, ou plutôt la science des syllabes? Tandis qu'elle plonge la mémoire dans un chaos de

paroles, le cœur oisif reste dans un vide honteux; science superficielle et beaucoup trop puérile, qui nous apprend à nommer les vertus, sans nous apprendre à les acquérir.

Que sert aux mœurs l'étude vantée de l'histoire? que nous conserve-t-elle? le dénombrement des erreurs de tous les temps, la liste des malheurs illustres, des crimes heureux, des passions travesties en vertus; honteuses archives, tristes monuments de l'humaine folie! Là que trouvons-nous? les caprices des peuples, les fautes des rois, les révolutions, les décadences, l'empire antique de l'opinion et de l'intérêt, le règne du hasard, le long tableau de toutes les misères de nos aïeux, tableau funeste, scène déplorable, que le voile de l'éternel oubli devrait plutôt dérober à jamais aux regards de la postérité; science de l'histoire, science souvent désolante, qui présente plus de coupables exemples à fuir, que de vertueux modèles à suivre.

Enfin que sert aux mœurs ce petit talent de thèses et de sophismes qui se donne le nom de philosophie; chimères surannées, systèmes vagues, captieuses fadaises, erreurs plus ou moins heureures, guerre de raisonnement où la raison reste neutre, labyrinthe où la vérité s'égare sans se re

trouver; voilà tout l'art : science futile et méprisée, ou plutôt ignorance travestie qui s'adore et s'encense elle-même, et perd à disputer le temps de penser et de sentir.

Telles sont pourtant, telles sont les sciences prétendues dont on occupe nos plus beaux jours. O perte irréparable, perte trop peu regrettée! que d'heures charmantes immolées à l'ennui et à l'inutilité! c'est acheter bien cher des erreurs. O trop courte jeunesse! ô jours charmants! que n'êtesvous plutôt consacrés à la culture du cœur, à l'étude du vrai bien, à l'embellissement des mœurs, qu'aux minuties classiques, ou à d'autres arts, qui seraient inutiles si l'on savait encore n'étudier que la simple nature, n'entendre que son langage, et n'estimer que ses lois? Oui, messieurs, et je ne puis trahir ma franchise. Mais suivez sans écart le fil de ma pensée; que l'éloquence judiciaire soit utile à l'explication des lois et aux divers intérêts des peuples, que les langues soient utiles aux voyages, que l'astronomie soit utile à la navigation, la géographie à l'art militaire, la géométrie aux fortifications, la science des nombres au commerce, la botanique au soulagement des maux ; que l'étude de l'histoire soit utile à notre curiosité, l'é

tude de la politique à l'art de gouverner, l'étude de la logique au talent prétendu de raisonner, j'en conviendrai avec vous: mais aussi vous conviendrez avec moi que l'utilité de ces sciences tombe rarement sur le fond des mœurs; que ces sciences sont étrangères à l'homme, agréables peut-être à son esprit, mais inutiles à son cœur; que l'harmonie seule jouit d'un pouvoir beaucoup plus personnel et plus marqué sur le cœur, qu'elle en sait manier tous les replis, qu'elle en sait faire jouer les ressorts les plus secrets, et que des sens charmés elle passe aux sentiments, preuve invincible de ses avantages. Elle est donc utile en particulier aux mœurs de chaque citoyen. Ce n'est point tout; elle est encore utile en général à la sécurité et au bonheur du corps entier de la république politique.

L'union des citoyens est la base des trônes, le sceau des monarchies, l'appui des diadêmes. Les plus fermes empires, avant d'être renversés par les guerres étrangères, avaient été d'abord ébranlés par les guerres intestines, par les troubles anarchiques, par les discordes civiles, aidés dans leur chute par ceux même qui devaient en être les soutiens et les boulevards. Non, la patrie n'a point

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