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d'ennemis plus funestes que des citoyens divisés ; mais est-il une égide plus impénétrable aux traits de la dissension que la tranquille harmonie? l'olive à la main, la Paix la précède, l'Amitié la conduit, le Plaisir marche à ses côtés, la Concorde la suit, les cœurs conquis volent en foule autour d'elle. N'est-ce point elle qui unit les citoyens par d'aimables nœuds, qui les assortit, qui les égale, qui les range sous les lois d'une charmante société? chez elle tout est calme, tout est ami, tout agit d'intelligence; chez elle on n'entend ni la voix de la discorde, ni les rumeurs populaires, ni le tumulte importun de l'école, ni les hurlements effrénés des bancs, ni les clameurs des tribunaux, mais seulement les agréables accords, les acclamations favorables, les doux applaudissements. L'harmonie alluma-t-elle jamais ces feux funestes à l'état, ces incendies, ces guerres d'opinions, de prestiges, d'erreurs; ces dissentions sophistiques pour réaliser des chimères, ces schismes littéraires formés plutôt pour combattre la vérité que pour la défendre, ces querelles d'une secte armée contre l'autre sous différents drapeaux; ces divisions, ces haines, monstres nés dans le sein des autres sciences? De leur sein il s'est élevé souvent des

citoyens turbulents, inquiets, pernicieux, que la discorde, la révolte, le faux zèle, avaient nourris dans les ténèbres des solitudes, et qui n'ont paru dans l'univers que pour en troubler la paix. Mais l'histoire, ce témoin fidèle des temps, reprochet-elle aucun de ces forfaits à la science pacifique que je vante? Quel siècle, quelle contrée se plaignit jamais d'elle? De quel sang fut-elle jamais teinte? Ses élèves, loin d'être jamais des citoyens dangereux, n'eurent-ils point toujours ce caractère facile, sociable et poli, né pour les douces liaisons? caractère si nécessaire à la tranquillité de la république, caractère que les sciences graves ne donnent point, qu'elles ôtent même souvent. Quelle étrange différence de mœurs entre le peuple savant et les amants de l'harmonie ! Pénétrons dans ces réduits ténébreux dont les ennuis gardent l'entrée, dans ces antres inaccessibles aux ris, où rèloin du jour et dans le silence, l'immobile et morne savoir; là j'aperçois des hommes atrabilaires, hagards, intraitables, des fronts ridés, chargés d'épais nuages, couverts d'un deuil éternel, des misanthropes rêveurs, malheureux par choix, folles victimes des veilles cruelles, martyrs d'un système inutile au bonheur, vieillis dans un chaos

gne,

de rêveries, brouillés pour toujours avec les graces; des écrivains glacés et pesants, faibles échos de l'antiquité, ensevelis dans un amas confus de notions vagues, mais privés du vrai goût, nécessairement incapables des délicatesses de l'esprit, des feux du génie, des finesses de l'art. Que je les tire de ces lugubres tanières pour les transporter un moment dans le commerce de la vie, et dans les devoirs du citoyen; déconcertés, interdits, distraits, presque absents, ils tombent à chaque pas; à chaque instant, ils choquent les bienséances, ils manquent les égards, ils blessent les convenances; bientôt enfin, ennuyeux et ennuyés, incapables d'un doux commerce, ils fuient, ils retournent aux obscurs Lycophron et aux mélancoliques Saumaise; déjà ils sont rentrés dans la poussière grecque et latine, leur unique élément; semblables à ces oiseaux nocturnes et funèbres qui vivent ensevelis loin de la lumière et loin du commerce des autres oiseaux : voilà sans doute des citoyens bien utiles à la république, à la patrie, à leur siècle! par leur utilité jugez de celle des sciences qu'ils adorent. Grand Dieu, quelle société unirait l'univers, si tous les hommes étaient des savants! une vie pareille n'est-elle point une espèce de néant? Mais

fuyons ces voûtes ténébreuses sous lesquelles nous nous sommes trop long-temps arrêtés; entrons maintenant sous ces portiques gracieux, sous ces berceaux de verdure, où par de charmantes voix l'harmonie nous appelle; ici tout enchante les regards; je n'y vois que des fronts ouverts à l'allégresse, que des yeux riants et sincères, que des esprits cultivés, ornés, enrichis des plus brillantes idées de la poésie et de la fable; que de vrais citoyens, aimables et aimés, officieux et reconnaissants, unis et heureux; là règnent dans les doux loisirs de la sympathie l'amitié, les amours; là le premier mérite est d'être aimable, la première science est d'être heureux, et les talents ne sont rien s'ils ne vont au plaisir, à l'union, au bonheur.

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Prévenons une objection que la critique me prépare sans doute : « La musique, dira-t-on, n'est qu'une science molle, un art efféminé, propre seulement à énerver les cœurs, à en amortir le beau feu, à éteindre les courages. » Eh quoi! si telle était la faiblesse de cet art, Mars, le dieu des grands cœurs, aurait-il de tout temps placé sur son char l'harmonie à côté de la victoire? n'aurait-il point retranché dès long-temps les sympho

nies militaires des combats, ces sons semblables au tonnerre, ce bruit de la trompette et du clairon, ces airs du fifre et du hautbois, ces tons du tambour et des timbales éclatantes, s'il n'avait toujours été reconnu dans l'antiquité guerrière, et chez toutes les nations magnanimes, que ce concert martial est l'ame de la guerre; que ce mélange de sons mâles et vigoureux que forme l'airain mugissant, élève les esprits, qu'il échauffe les cœurs, qu'il enhardit les lâches, qu'il enflamme les braves, qu'il dérobe le bruit formidable de ces machines terribles qui vomissent la foudre et la mort; qu'il cache les sifflements des javelots, les clameurs confuses, les plaintes des mourants; qu'il empêche la consternation et les terreurs; que de la déroute il rappelle à la charge; qu'enfin ces fanfares guerrières allument une chaleur héroïque dans tous les rangs; qu'elles égaient le théâtre de la fureur, qu'elles embellissent la mort même ? Les Spartiates en ordre de bataille, le front ceint de fleurs, la lance levée, marchaient au combat comme à une fête au son de l'hymne de Castor; un chœur de flûtes, conduit par Tyrtée, réglait la marche de cette armée de héros, l'élite de la Grèce; selon les lois de la patrie cha

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