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vez-vous qu'il n'est point dans la nature que les héros métamorphosés en amphions, et que les héroïnes transformées en sirènes, viennent chanter leurs infortunes, chanter leur mort même, languir, tomber, expirer en chantant! J'en conviendrai: mais si mon plaisir est sûr, malgré les règles violées; si mes sens en sont plus délicieusement flattés; si ce qui manque à la justesse est remplacé par le sentiment, je n'entends plus la voix de la froide réflexion. L'esprit dit ce qui devrait plaire, le cœur décide toujours mieux en sentant ce qui plaît.

Après tout, si nous étudions la nature, ne trouverons-nous pas même sur la scène chantante plus de fidélité aux convenances que sur les théâtres tragiques, où l'on prête aux héros pour langage une poésie déclamée? L'harmonie ne sut-elle pas toujours, beaucoup mieux que la simple décla-mation, imiter les vrais sons de la plainte, les vrais tons des passions, les profonds soupirs, les sanglots, les éclats douloureux, les tendres langueurs, les gémissements entrecoupés, les inflexions pathétiques, toute l'énergie du cœur? Des plaintes chantées sont plus sûres de nos larmes, et les tendres sentiments rendus par l'harmonie

en sont plus tendres de moitié. C'est encore dans ce temple que cette déesse puissante, rivale de la nature, sait exprimer, personnifier, articuler tout, et même sans le secours des paroles: non, ni le pinceau des Apelles, ni le ciseau des Phidias, ni le burin des Alcimédon, ni l'aiguille de Minerve elle-même, ne donneraient jamais à leurs imitations cette ame, cette expression, cette vie que la musique sait donner à ce qu'elle veut caractériser. Dans ses symphonies je retrouve toute la nature, je la sens dans l'impression subite des sons, impression plus prompte que les regards, plus rapide que la pensée. Tantôt c'est le tumulte d'un combat qu'elle veut imiter; je crois entendre le rugissement de l'airain, le choc du sanglant acier, la grêle des flèches, les lamentables cris, la tonnante voix de la mort qui vole de rang en rang: tantôt c'est une noire tempête, c'est un triste naufrage; j'en reconnais l'horreur et le courroux; j'entends les vagues bondissantes, l'air gronde, la foudre éclate, le jour se change en sombre nuit, les vents sifflent, la mer mugit au loin, la terre tremblante lui répond: ici quelle ombre sort du tombeau? l'Averne est ouvert; à travers les lueurs de la profonde nuit je crois entendre les lugubres

regrets des ombres plaintives, le bruit des chaînes vengeresses, le cours des noirs torrents: là ce sont les antres du dieu du feu ; j'entends l'enclume gémissante sous les coups des Cyclopes enflammés: ici le sommeil verse ses pavots, un héros est endormi; à l'aide des accords je lis dans ses pensées, je devine ses songes affreux ou riants, furieux ou tranquilles.

Ainsi, brillante Harmonie, par ton magique pouvoir je trouve des rapports marqués, de vives ressemblances, de la vérité dans tout ce que tu veux imiter de la nature; je crois présent tout ce que tu peins; tes silences même ont leur expression et leur éloquence. En vain la peinture t'opposerait ses productions: elle nous trace un combat, un naufrage, un spectacle douloureux; les yeux admirent, le cœur ignore le plaisir des yeux. Pour toi, à ton gré tu verses successivement dans les ames l'effroi ou la douce assurance, la haine ou l'amour, l'horreur ou la compassion, la consternation ou l'allégresse, et toujours la tendresse et la volupté.

Mais je vois Terpsichore, ta fille chérie, s'avancer à ta suite d'un pas léger, dirigé par tes sons: ses jeux allégoriques sont une poésie muette,

ses attitudes une peinture vivante et mobile, une image fidèle des sentiments et des passions; rivale de l'histoire même, elle raconte aux yeux les faits héroïques, elle exprime aux regards le génie des nations; tous les caractères sont peints dans ses pas ici, dans ses pas précipités, inégaux, égarés, je reconnais la colère, l'indignation, le désespoir; là, dans ses mouvements interrompus et négligés, je vois la mollesse, la volupté, la langueur : ici, dans la finesse de ses balancements, dans la justesse de son équilibre, dans le choc de ses pas brillants, je distingue l'enjouement des graces et la légèreté des plaisirs; là, dans un dédale de sauts agiles et retentissants, je reconnais l'allégresse rustique et les danses de l'automne. Enfin la danse elle-même, qui, au premier coup-d'œil, ne paraît qu'un plaisir, cache aussi d'utiles leçons : aussi autrefois les sages citoyens de Sparte, pour inspirer aux enfants l'horreur de l'intempérance, faisaient danser à leurs yeux des esclaves enivrés.

Non, le printemps n'a pas plus de fleurs que l'harmonie a de façons de charmer et d'instruire. Mais cédez, muses étrangères; jamais ni les échos

Les ballets.

d'Albion, ni les antres d'Hercinie, ni les rives de l'Ebre et du Tage, ne répétèrent des accords si parfaits que ceux dont nos contrées retentissent depuis dix lustres : si l'Ausonie nous offre une rivale; sans la proscrire tristement, sans la préférer follement, fuyant tout extrême, enrichissons-nous de ses beautés. Que l'harmonie du Tibre et de l'Éridan enchante la Seine ! qu'elle joigne ses symphonies charmantes à notre chant! et si pour le sublime de l'art nous écoutons quelquefois ses leçons, que pour le gracieux de la belle nature elle consulte souvent l'harmonie de nos bords! celle-ci, toujours simple, toujours vraie, ne trouve point la beauté où règne l'affectation, ni la tendresse où règne l'art; le cœur est son guide: tantôt, bergère naïve, sur un lit de violettes, au son de flûtes champêtres, elle célèbre ou l'amante d'Endymion, ou les charmes de Galatée, ou les malheurs de Syrinx; tantôt, amazone légère, armée du carquois, elle perce la profondeur des forêts, et traînant les rois même à sa suite, au son bruyant du cor, elle chante l'art de Céphale, et les filets que l'amour tend aux belles parmi ceux que Diane

Les pastorales.

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