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tend aux hôtes des bois. Ici, sous l'habit galant d'Érigone, un thyrse à la main, le front couronné de pampres, accompagnée du dieu des vendanges, portée par les zéphyrs, suivie de Silène et des faunes amoureux, elle vient embellir les fètes de l'automne; de là, muse paisible, elle revient au sein des villes pour y faire avec Comus le plaisir des hivers: elle y chante tour-à-tour les malheurs d'Adonis, d'Orphée, d'Actéon; les regrets d'Amymone, d'Héro, d'Ariane; les fureurs de Circé souvent même, Néréide badine, elle assemble sa cour sur les eaux, elle y chante le berceau de Vénus et des Graces naissantes; elle retient dans ses voiles flottantes les aquilons enchantés; elle sait égayer les lenteurs d'une ennuyeuse navigation.

Vous prévenez, messieurs, ce qui me reste à dire: déjà sans doute vous songez à ces chansons fines, élégantes et fleuries, l'ornement le plus décidé de notre poésie; à ces airs ingénieux, dictés par les graces, notés par les Lambert et les Mouret, images délicates, dans lesquelles se peint mieux d'ailleurs la supériorité du goût français, et ce gé

I Les Cantates,

nie vif, ami du badinage gracieux, ennemi de tout ce qui porte l'air du travail : c'est ici que l'Harmonie fait paraître avec le plus d'avantage la lésoit gèreté et les agréments d'une voix brillante; qu'elle lui donne à chanter les triomphes des héros de Bacchus ou leur mausolée, soit qu'elle lui fasse exprimer et imiter dans ses tons variés les changements du dieu d'Idalie, qui, tantôt zéphyr badin, se cache dans les fleurs, tantôt moucheron léger, voltige autour de la tonne, ou se met à la nage sur une liqueur vermeille; tantôt papillon folâtre, à peine arrivé où le printemps l'appelle, s'envole et ne revient pas; soit qu'elle lui apprenne à exprimer ou les soupirs d'une tourterelle solitaire et peu consolée, ou le bourdonnement enchanteur d'une jeune abeille, ou les erreurs d'un zéphyr volage, ou les regrets d'une rose abandonnée et flétrie de douleur, ou la marche bruyante d'un torrent impétueux, qui bondit, écume, et n'est déjà plus, ou la chute et les cascades d'un ruisseau naissant, et le murmure agréablement sourd de son onde errante, ou la molle langueur d'un doux sommeil; soit enfin qu'après avoir fait nager la voix sur le sein des vastes mers, ou l'avoir fait descendre au centre des profonds enfers,

l'harmonie la transporte sur l'aile des aigles rapides, au-dessus du tonnerre, des tourbillons, des feux étincelants, des plaines liquides, des vents déchaînés, et du jour changé en nuit.

Voix charmante, voix toujours chère à mon cœur, toujours présente à mes pensées, que ne puis-je t'entendre toujours! Que j'aime tes langueurs, tes chutes, tes éclats! quelle muse pourrait dignement louer tes sons ravissants, toujours agréablement mélangés, leur symétrie, leur alliance, leurs divorces, leur économie? tu verses la volupté dans mon ame. Non, qu'on ne pense point avoir assez dit pour te vanter en comparant tes accords à ceux de Philomèle; toujours uniforme, le rossignol n'a que les mêmes sons inarticulés, sons sans expression sans ame et sans vie; il sait plaire, il ne peut toucher ni passionner, incapable de ces inflexions pénétrantes et de cette variété d'accords que tu sais conduire avec tant d'art; toujours différente de toi-même et toujours belle, chacun de tes sons est un sentiment. Oui, c'est du gosier harmonieux d'une belle, plutôt que de la bouche de l'éloquence, que la peinture doit faire sortir ces chaînes dorées qui captivent les sens. La voix achève sur les cœurs ce

que la beauté a commencé sur eux, et par ses graces elle tient souvent lieu de la beauté.

La chanson même, (qui le croirait?) la chanson a été et sera toujours encore un art utile à la république littéraire; c'est elle qui, alliant ses accords aux traits fins du dieu de la satire, purge l'empire des lettres de tous les intrus qui s'y glissent sans aven; c'est elle qui venge le dieu du goût; c'est elle qui flétrit, frappe, terrasse les génies débiles et manqués, les versificateurs sans poésie, les prosateurs gothiques, les vils copistes, les ignobles plagiaires, toute cette populace rampante d'imitateurs stériles, d'échos fatigants, d'insectes classiques, d'écrivains subalternes, et d'ennuyeux compilateurs, l'opprobre et le rebut de la belle littérature.

A tant de titres, messieurs, la musique n'aurait-elle point le droit de paraître au rang des arts utiles et des sciences avantageuses à la république? est-il quelqu'un qui lui refuse encore son suffrage? Non; je vois son triomphe marqué sur vos fronts unanimes, et je lis la conviction écrite dans tous les yeux. Pour ne rien taire cependant, pour ne rien farder, j'en ferai l'aveu; je sais que la dépravation a souvent abusé de cette science, qu'elle l'a

profanée, avilie, dégradée aux dépens de la vertu, au profit de la séduction, à la honte des mœurs; je sais qu'on lui a souvent fait renouveler les fêtes obscènes de Sybaris et de Caprée, et les naufrages causés jadis dans les mers thyrréniennes par la voix perfide des filles d'Achéloüs: mais un tel abus n'est-il point pour cet art un malheur plutôt qu'un crime? Héroïque dans son origine, vertueuse dans son but, la musique sera-t-elle condamnée, parce que la licence la transporte quelquefois à des usages suborneurs et pervers? tous nos arts ne seraient-ils point proscrits, si l'on proscrivait tout ce dont on abuse? Souvent on viole les lois de la jurisprudence; faut-il donc pour toujours fermer les temples de Thémis? souvent les mers sont couvertes de naufrages, faut-il livrer aux flammes tous les vaisseaux que renferment nos ports? souvent l'ivresse produit des fureurs, des querelles, des meurtres, faut-il dépouiller nos coteaux des vignes qui les couronnent ? Réformons l'abus, sans retrancher l'usage; ramenons l'harmonie à la pureté de sa source, aux beautés de son printemps, à sa splendeur première. Proscrire la musique, ce serait enlever un lien charmant à la république politique, un ornement à la répu

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