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blique littéraire; les cœurs y perdraient un sentiment délicieux, toute la nature un plaisir.

Qu'elle règne donc toujours cette aimable et noble Harmonie, mais que son empire ne s'élève jamais sur les débris des mœurs! affranchie de la mollesse ionienne, et Minerve et Vénus à-la-fois, qu'elle n'aime jamais qu'une beauté mâle, que des traits altiers, que des graces fières ! souveraine des cœurs, qu'elle ne les ouvre qu'aux généreux sentiments! maîtresse des ames et des sens, qu'elle les élève toujours au-dessus des lâches faiblesses! reine des passions, qu'elle ne les réveille qu'au profit de la vertu ! qu'elle soit à jamais l'interprète du grand, du beau, du vrai, la compagne du goût, l'ame de la société, les délices du monde !

LETTRE

SUR LA COMÉDIE.

A M. ***

Les sentiments, monsieur, dont vous m'honorez depuis plus de vingt ans vous ont donné des droits inviolables sur tous les miens; je vous en dois compte, et je viens vous le rendre sur un genre d'ouvrages auquel j'ai cru devoir renoncer pour toujours. Indépendamment du désir de vous soumettre ma conduite et de mériter votre approbation, votre appui m'est nécessaire dans le parti indispensable que j'ai pris, et je viens le réclamer avec toute la confiance que votre amitié pour moi m'a toujours inspirée. Les titres, les erreurs, les songes du monde n'ont jamais ébranlé les principes de religion que je vous connais depuis si long-temps; ainsi le langage de cette lettre ne

vous sera point étranger, et je compte qu'approuvant ma résolution, vous voudrez bien m'appuyer dans ce qui me reste à faire pour l'établir et pour la manifester.

Je suis accoutumé, monsieur, à penser tout haut devant vous; je vous avouerai donc que depuis plusieurs années j'avais beaucoup à souffrir intérieurement d'avoir travaillé pour le théâtre, étant convaincu, comme je l'ai toujours été, des vérités lumineuses de notre religion, la seule divine, la seule incontestable: il s'élevait souvent des nuages dans mon ame sur un art si peu conforme à l'esprit du christianisme; et je me faisais sans le vouloir des reproches infructueux, que j'évitais de démêler et d'approfondir : toujours combattu et toujours faible, je différais de me juger, par la crainte de me rendre et par le désir de me faire grace. Quelle force pouvaient avoir des réflexions involontaires contre l'empire de l'imagination et l'enivrement de la fausse gloire? Encouragé par l'indulgence dont le public a honoré Sidnei et le Méchant, ébloui par les sollicitations les plus puissantes, séduit par mes amis, dupe d'autrui et de moi-même, rappelé en même temps par cette voix intérieure, toujours sévère

et toujours juste, je souffrais, et je n'en travaillais pas moins dans le même genre. Il n'est guère de situation plus pénible (quand on pense) que de voir sa conduite en contradiction avec ses principes, et de se trouver faux à soi-même, et mal avec soi je cherchais à étouffer cette voix des remords, à laquelle on n'impose point silence, ou je croyais y répondre par de mauvaises autorités que je me donnais pour bonnes; au défaut de solides raisons, j'appelais à mon secours tous les grands et frêles raisonnements des apologistes du théatre; je tirais même des moyens personnels d'apologie de mon attention à ne rien écrire qui ne pût être soumis à toutes les lois des mœurs : mais tous ces secours ne pouvaient rien pour ma tranquillité; les noms sacrés et vénérables dont on a abusé pour justifier la composition des ouvrages dramatiques et le danger des spectacles, les textes prétendus favorables, les anecdotes fabriquées, les sophismes des autres et les miens, tout cela n'était que du bruit, et un bruit bien faible contre ce sentiment impérieux qui réclamait dans mon cœur. Au milieu de ces contrariétés et de ces doutes de mauvaise foi, poursuivi par l'évidence, j'aurais dû reconnaître dès - lors

comme je le reconnais aujourd'hui, qu'on a toujours tort avec sa conscience quand on est réduit à disputer avec elle. Dieu a daigné éclairer entièrement mes ténèbres, et dissiper à mes yeux tous les enchantements de l'art et du génie. Guidé par la foi, ce flambeau éternel devant qui toutes les lueurs du temps disparaissent, devant qui s'évanouissent toutes les rêveries sublimes et profondes de nos faibles esprits forts, ainsi que toute l'importance et la gloriole du bel-esprit, je vois sans nuage et sans enthousiasme que les lois sacrées de l'évangile et les maximes de la morale profane, le sanctuaire et le théâtre sont des objets absolument inalliables; tous les suffrages de l'opinion, de la bienséance, et de la vertu purement humaine, fussent-ils réunis en faveur de l'art dramatique, il n'a jamais obtenu, il n'obtiendra jamais l'approbation de l'église : ce motif sans réponse m'a décidé invariablement. J'ai eu l'honneur de communiquer ma résolution à monseigneur l'évêque d'Amiens, et d'en consigner l'engagement irrévocable dans ses mains sacrées; c'est à l'antorité de ses leçons et à l'éloquence de ses vertus que je dois la fin de mon égarement: je lui devais l'hommage de mon retour; et c'est pour consacrer la

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