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un nouveau volume aux souscrivantes et aux souscripteurs, de mois en mois, tant que ce vieux cercle de nouveautés pourra tourner, ainsi que les

têtes.

Tout cela n'est rien peut-être; mais une acquisition plus réellement nuisible à notre langue, ainsi qu'à toutes celles qui partageraient le même abus, c'est cet art si répandu de parler sans avoir rien à dire, ces demi-mots, ce papillotage éternel d'épigrammes manquées, cette puérile fureur de ne point parler comme un autre; enfin ce ton décousu, sans idées raisonnables, sans suite aucune, dont il résulte que presque toutes les expressions ne sont que des modulations vagues que l'on imprime à l'air, sans porter la moindre pensée au bon sens, et que presque toutes les conversations, employées à faire de l'esprit, ou plutôt à en défaire, ne sont que des clarinettes et des tambourins entremêlés d'assez mauvaises paroles. Dans le temps, peu éloigné encore, où l'on était moins important, moins sublime, la conversation était le lien et le charme de la société; aujourd'hui ce n'est presque plus un plaisir, c'est un travail, une suite de tours de force, un assaut général d'esprit tel quel, épigrammatique ou croyant l'ètre:

c'est un état de guerre et de prétentions, où l'on est en garde l'un contre l'autre : on se tend des piéges de mots; et les ridicules donnés et rendus coûtent d'autant moins que chacun est bien en fonds. On s'entendait autrefois; souvent aujourd'hui non-seulement on ne fait plus de cas d'entendre les autres, mais on ne se fait pas l'honneur de s'entendre soi-même; et sans doute tout le monde y gagne: l'art en ce genre est porté à un tel point de supériorité, que l'on pourrait parier, d'après le ton de ces êtres bruyants, si confiants, et si ridicules, que le nouveau langage appelle les merveilleux, les mirliflors, les élégantes, les célestes; oui l'on pourrait parier qu'au moyen de leurs nouveaux termes, et de leurs tournures nouvelles, avec tous les grands éclats de rire tristement gais, ils auront, où et quand l'on voudra, une longue conversation soi-disant française, où il n'entrera point une seule phrase raisonnable de français.

Ce n'est pas tout encore; il est d'autres acquisitions de notre langue, qui, pour avoir l'air de la richesse et de la grandeur, n'en sont pas moins pauvres ni moins mesquines; semblables en tout aux dehors fastueux de ce luxe qui n'est que le

voile de la misère. Ces ruineuses possessions modernes sont, il est vrai, des expressions nationales qui appartiennent de tout temps à notre langage, mais qui, dénaturées aujourd'hui par un emploi qui leur est étranger, dégradent la langue française en lui ôtant sa justesse et sa précision.

Dans ce tourbillon, moitié lumineux et moitié obscur, qui nous enveloppe, nous secoue et nous entraîne, les idées justes perdant leur niveau, les esprits étant exaltés, et l'engouement occupant toutes les places que le sentiment laisse vide, la langue travestie s'égare, se perd dans des termes vagues d'enthousiasme, des images excessives, des expressions exagérées, qui ne sont que des formules sonores, aussi fausses sur les lèvres que dans l'ame. A chaque instant, pour les choses les plus simples, les évènements les plus indifférents, pour des misères, pour des riens, on se dit charmé, pénétré, comblé, transporté, enchanté, ou désolé, excédé, confondu, désespéré, anéanti; on est aux nues, ou l'on se prosterne: on est à vos ordres, à vos pieds, sans se soucie de vous le moins du monde; on vous adore sans même vous respecter: dans la prétention de ne penser que fortement, de ne rien voir qu'en grand, on veut

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mettre à tout l'air de l'enivrement ou de la détestation, et sur tout et toujours, l'air du génie, qui pourtant est bien innocent des idées et du style de tant de gens qui pensent en disposer.

La balance des jugements et des réputations n'est plus rien; il n'est plus de milieu ni dans la pensée ni dans l'expression; tout est charmant, merveilleux, incroyable, divin, ou affreux, pitoyable, odieux, exécrable; tout ouvrage est beau de toute beauté, ravissant, ou détestable; tout homme est admirable, excellent, délicieux, ou maussade à donner des vapeurs, ennuyeux à périr, bête à manger du foin; toute femme est radieuse, céleste, adorable, ou ridicule à l'excès, du dernier ridicule, d'une bêtise amère, ennuyeuse à la mort, enfin une horreur; à tout moment vous entendez répéter, oh! c'est un homme unique! hélas! souvent que ne l'est-il? mais tout fourmille de gens uniques.

Heureusement, avec toutes ces expressions emphatiques, si enflées, si vides, on ne sent rien de tout ce que l'on prononce si pompeusement; on est enchanté sans le savoir, et désespéré sans conséquence: mais le malheur est que beaucoup de gens, qui d'ailleurs pensent juste et parlent bien,

se prêtent souvent eux-mêmes à ces brillantes façons de parler mal. Ne voyons que la vérité des objets, nous reprendrons le langage de chaque chose; la justesse de l'idée nous rendra la propriété de l'expression. Ne chargeons point notre langue de bizarres superfluités, dont sa richesse peut se passer: pourquoi de doubles emplois? pourquoi, par exemple, les noms modernes et d'amphigouris, et de parades, et de proverbes dramatiques, et de charades, et de calembourgs, et de leurs pareils ? tous ces noms ne sont réellement que des synonymes d'un terme reçu; le mot de platitude n'existait-il pas dans la langue française? il suffisait seul pour signifier et caractériser toutes ces ingénieuses inventions, l'aliment d'un goût malade, et l'esprit de ceux qui n'en ont guère.

Le mal à réparer dans la langue fait chaque jour de nouveaux progrès, et à l'exception de la cour, où le langage se conserve toujours plus simple et plus noble que parmi tout le bel esprit de la capitale et les copies de la province, la contagion que j'indique est presque générale; il semble que, dans son genre, chaque art, chaque état gâte et dénature la langue pour sa part. L'éloquence nou

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