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velle a ses énigmes, la poésie moderne a son jargon, la jurisprudence même et le barreau ont leur petit néologisme; et Cochin, Gilbert, et l'immortel d'Aguesseau, qui parlaient et écrivaient si noblement, seraient obligés aujourd'hui, s'ils revenaient parmi nous, de demander le mot de plusieurs logogriphes du nouveau style des plaidoyers et des mémoires. Dans toutes ces compilations monotones de prose et de vers, de littérature préceptorale, de tranchantes doctrines aventurées, de morale soi-disante, vous rencontrerez partout les expressions vagues des besoins de l'ame, des jouissances de l'esprit, de la somme des maux, que ces écrivains ne diminuent guère, et de la somme des plaisirs, dont on ne peut pas dire que leur style fasse les fonds; instituteurs au demeurant d'une si haute confiance, et d'une bonne foi d'amour-propre si respectable, que quand ils seraient fort ennuyeux à entendre, ils seraient toujours fort plaisants à voir. Au milieu des fleurs et des lauriers dont ils se couronnent de leurs mains, on vous charge la langue des inutiles noms de leur manière, de leur faire, de leur genre; genre surtout est le grand mot du temps: tout en refaisant des ouvrages déjà faits dont ils masquent les

sources, tout en répétant en d'autres termes des choses déjà dites, tout en bourdonnant de sonores bagatelles bien ou mal rajeunies, ils se donnent modestement pour avoir leur genre, un genre à eux seuls dans la nature: tout est inondé de ces genres nouveaux-nés; il en est tant qu'il ne serait guère possible de les classer par ordre ni de les distinguer par nuance, si tous ces genres particuliers, et si particuliers, n'avaient, sans le vouloir, sans s'en douter, un point de ralliement, et ne venaient successivement se ranger sous un genre général, que le lecteur assoupi et peu galant appelle l'ennui. Pour user plus sobrement de ce terme de genre, que ces écrivains se disent quelquefois tout bas que les ouvrages d'esprit ne sont qu'un genre de bêtise quand on n'est qu'imitateur ou plagiaire, et que surtout la sévère et exigeante poésie n'a qu'un genre et qu'un mot, créer ou se taire.

La prétention néologique a gagné jusqu'aux élèves de cet art grave, utile, respectable, qui dans des mains sages combat par l'expérience les maux de l'humanité, et qui dans le langage moderne du charlatanisme semble avoir inventé de nos jours des maladies neuves pour employer de nouveaux termes: ce ne sont plus chez eux que des nerfs

agacés, des nerfs crispés, du ton à rendre, un système vaporeux à débrouiller, des vibrations à remettre en mesure, de l'énergie à redonner aux solides, une balance égale aux liqueurs, du baume aux esprits, et surtout de l'harmonie aux parties discordantes du genre nerveux. Dans leur style, la fièvre, terme trop bourgeois, ne se nomme plus dans sa force qu'une grande fluctuation, et dans ses décroissements qu'une fin de tempête, une queue d'orage. Bien plus, les termes de brillant, de victorieux, de triomphant, sont transportés et abaissés sur des objets où vous ne les attendiez guère. On imaginerait que tous les matins ces parleurs agréables, ces docteurs ambrés, avant que de se mettre en route pour distribuer élégamment la mort ou la vie, préparent une certaine ration de termes doctement jolis, un choix de tournures fraîches, pour se varier, pour ne point parler aujourd'hui comme ils parlaient hier, et composent en chemin le bulletin du jour avant que d'avoir vu le malade. Eh! mes amis, soyez des consolateurs, et non des esprits; on vous demande des secours et non des épigrammes; ne faisons point pétiller les lampions du bel esprit sous le pâle flambeau de

III.

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l'agonie, et ne mettons point de pompons au sceptre de la mort.

Au risque, messieurs, de vous donner à me reprocher de trop longs détails, je ne puis me défendre de relever et d'offrir à vos remarques une absurde innovation du langage dans un genre bien important au bien public, l'éducation, cette base de l'honneur et de la force des empires, genre si négligé, où du changement des mœurs suit une foule de termes nouveaux dont notre langue est maussadement bigarrée. Le nouvel abus dont je veux parler ne fait que de naître, il est vrai; mais en le notant dès sa naissance, peut-être l'empèchera-t-on de s'étendre. Le temps n'est pas loin encore où l'on appelait les enfants de leur nom, quand après l'enfance on les habillait encore de l'habit français; aujourd'hui que la grande mode est de les déguiser, de les travestir au sortir de la lisière, de les mettre en petits pierrots, en petites colombines, en scaramouches, en matelots, en personnages bizarres, dont on leur fait prendre le tou, le maintien et les ridicules, que de charmants et sots petits noms on copie ou l'on invente pour les parer et les avilir! Ce n'est plus tel ou tel du nom de sa famille; on les appelle encore

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moins des noms sacrés qu'ils ont reçus de la religion; c'est Finette, c'est Pierrot, c'est Jenny, c'est Florine, c'est Michaut, c'est Laurette, c'est tout ce qui n'est pas eux, ou ce qui ne doit pas l'être : tels sont les titres que partagent et se disputent ces poupées chargées d'aigrettes, et ces automates panachés, qui sautillent sur les pelouses des jardins publics, que les gouvernantes cajolent, apprennent à se croire plus et mieux que les autres, à primer, et à se haïr à compte, en leur faisant disputer toutes les préférences, et en les habituant au sot et dangereux égoïsme; terme honteux et moderne encore, que l'amitié, qui nous quitte, et l'amour de la patrie, presque éteint dans beaucoup d'ames dégénérées et de cœurs desséchés et flétris, ont rendu malheureusement nécessaire au langage de nos jours. De fort beaux et fort inutiles traités d'éducation plus ou moins neuve, à petits chapitres et à grands mots, sont là, j'en conviens, sur la cheminée de vos enfants, pour leur être expliqués par les bonnes, qui n'y comprennent rien, et qui ne leur ouvrent des livres que pour leur en montrer les images. Mais vous, qui croyez avoir tout fait quand vous avez masqué votre bel enfant de quelque joli nom de

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