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par un reste de pudeur involontaire dont la déraison et le vice même ne peuvent se défaire on voudrait conserver une nuance de la dénomination antique, on entendrait dire partout d'un ton doucereux et faux: c'est un homme honnéte, une honnéte créature; et quelle honnêteté! des cœurs faux, des amis perfides, de bas protégés, des valets de tous les ordres, des hommes tarés, des femmes affichées, tout ce monde charmant, affreux, voilà donc ce que l'on entendrait nommer partout de très-honnêtes créatures!

Alors enfin, si cette honteuse époque pouvait arriver... si l'on y touchait... si même... Au reste, dans toutes les suppositions, cette bassesse de mœurs, ce comble de la déraison, cette absurde métamorphose des idées, ce vil travestissement du langage, n'étendraient point leur extravagance et leur opprobre sur le corps de la nation; le seul mal serait qu'au milieu d'une nation vertueuse, franche, généreuse, aimable, et dans laquelle tous ces caractères français se perpétuent sans altération, il existe et circule une foule d'êtres manqués, gens sans principes, sans caractère, et indigues du nom de leur patric, peuple mélangé de

bas intrigants, d'ames viles et noires, d'insectes do

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rés, de chenilles et d'espèces n'ayant que l'intérêt pour esprit, la fausseté pour langage, et la soif de l'or pour existence. A ce malheur trop réel se joindrait le triste ridicule de tout cet autre petit peuple pomponné, moitié en toupets à la grecque et moitié à plumes flottantes, tumultueux essaim de freluquets lourds et de suffisantes péronnelles; peuple prétendu charmant, jouant l'esprit sans avoir le sens commun, chantant faux par les chemins, imaginant partout donner le ton qui n'est pris que par les vieux enfants, croyant faire l'ornement et le bonheur de la terre dont il n'est que le fardeau et l'ennui, préférant les bons airs aux bonnes mœurs, affichant l'indécence, voué à la fausseté, et n'ayant d'ailleurs pour bourdonner tout le jour que quelques vagues expressions toujours les mêmes, quelques petites tournures répétées, comme les serinettes n'ont pour tout mérite qu'un très-petit nombre d'airs, qui peuvent plaire un instant, mais qui ennuient à la reprise.

Quoi qu'il en soit, protestons, du moins par goût et par devoir, protestons sous les voûtes de ce palais, au nom de la langue française, contre toute violation de sa pureté, toute dégradation de sa noblesse, et toute métamorphose de sa parure

naturelle et durable en clinquants éphémères et en pompons bientôt flétris.

Réparons ses pertes réelles, s'il est possible; et si, pour nous défaire de ses nuisibles acquisitions en mots et en tournures nous ne pouvons pas trop nous en fier à la mode, qui en les anéantissant nous en ramenerait bientôt d'autres du même ton, de la même nécessité; si le pouvoir littéraire qui nous est confié ne peut s'étendre sur ces salons où l'on ramage, sur ces toilettes où l'on déraisonne, sur ces jardins publics où l'on pérore avec tant de vérité, sur ces soupers fins où l'on bâille avec tant d'esprit ; que du moins nos écrits, et ceux des jeunes auteurs l'espérance de l'Académie, 'que nos écrits, toujours purs, francs, et sains, au milieu de la contagion, soient des digues au mauvais goût, des barrières insurmontables à l'invasion du mauvais style, ainsi qu'au dépérissement de la raison et à la décadence des mœurs.

Que l'Europe littéraire puisse connaître notre réclamation contre l'abus des termes! Tous les étrangers qui étudient notre langue, devenue celle de toutes les cours de l'Europe, apprendront par cette protestation, toute faible qu'elle est, que l'Académie française n'adopte rien du moderne jargon.

Au milieu des proscriptions nécessaires, que ne pouvons-nous du moins enrichir quelquefois le dictionnaire de la France par de nouvelles expressions du genre de deux termes modernes qui honorent la raison et la patrie! le premier est le terme de BONHOMIE; puisse ce nom sensible et cher resté dans notre langue, revenir dans nos mœurs! Soyons moins sublimes, nous serons plus heureux; soyons Français, soyons nous-mêmes: abandonnons la ridicule manie de porter sur les bords de la Seine l'uniforme de la Tamise, et que des modèles ne se rabaissent plus à n'être que des copistes. Puissionsnous du sein de ces nuages voir renaître et rayonner cette vérité de l'ame, cette franchise nationale, et cette bonne gaîté française, qui, fuyant toujours les glaces de l'importance, l'air nébuleux de l'intrigue, et les sombres vapeurs des gens à prétentions, ne brille que pour les cœurs vrais, les gens aimables, les bonnes gens! Le titre de BONHOMIE ne peut être une injure que pour la médiocrité; lisez, consultez tous les temps, les hommes vraiment estimables, les gens illustres à juste titre, et, dans tous les genres, les hommes de génie ont toujours été de bonnes gens.

Un autre terme également cher au langage du

cœur et l'expression de la félicité publique, c'est le terme attendrissant de BIENFAISANCE. Si ce mot n'existait point déjà dans l'usage de notre langue, il faudrait le créer aujourd'hui pour pouvoir bien exprimer le règne auguste et fortuné qui commence, et pour peindre d'un trait la sensibilité sur le trône et les graces couronnées.

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