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A M. ****★

A Amiens, le 10 septembre 1774

Vo ous avez été plus sensible que moi, Monsieur, à l'impression peu correcte de ma réponse au dernier discours de réception à l'Académie française, impression dont mon départ de Paris ne m'avait point permis de revoir les épreuves. Aux premiers exemplaires qui m'en furent envoyés à Compiègne, je me consolai des fautes dont on m'avait gratifié par l'espérance que ces fautes seraient corrigées par ceux qui voudraient bien me lire ; il ne me resta que deux véritables peines; la première sur le contre-sens de la page 27, dans ces mots, comme de toute l'Europe, mon manuscrit portait, connu de toute l'Europe; la seconde, plus grave, était l'énorme absurdité de la page 37, déguerpissement, au lieu de dépérissement. J'aurais déjà pris ma

revanche du défectueux exemplaire qui vous a été envoyé, et vous auriez eu bien plus tôt ma véritable copie, si, au moment même de mon retour ici, il y a trois semaines, je n'avais été attaqué d'une maladie dangereuse, dont je ne suis quitte que depuis peu de jours. Outre les corrections que j'ai crues nécessaires, j'ai augmenté la copie ci-jointe de plusieurs détails, que les bornes du temps prescrit m'avaient fait retrancher le jour de la séance publique.

Vous me demandez la petite aventure de cette séance: on vous a écrit, dites-vous, que le style que j'avais employé avait fait naître quelques mur mures dans le cours de ma réponse. Tout ce que je sais, c'est que l'effet du premier moment fut assez singulier apparemment que les faiseurs et faiseuses d'esprit, qui environnaient l'académie et surchargeaient l'assemblée, attendaient de moi leur petit jargon, de grandes maximes, de longues belles phrases, vieilles sans doute, mais refaites à neuf, avec toutes les bombes du ton exalté, ou du moins avec tous les petits bouquets d'artifice, et tous les lampions du style moderne dont ils raffolent.

Sans doute ils furent fort étonnés, et se crurent

compromis de ne point s'entendre parler leur langue; il fut assez amusant, même pour moi, de les voir se chercher des yeux, s'interroger de loin d'un air agité, et prendre l'ordre dans les regards les uns des autres, pour décider si ce que je disais devait être trouvé bien ou mal, ou peu de chose ou rien. Malgré leur fermentation très-sensible, et qui tout en prononçant me faisait beaucoup plus spectacle que distraction, j'allais tranquillement mon chemin à travers les partis-bleus; et soutenu par l'attention et l'indulgence des gens raisonnables, qui ne font point d'esprit, mais qui en ont de tout fait, je forçai les autres au malheur de m'écouter jusqu'à la fin. En deux mots voici l'histoire toute simple de ma réponse. Je ne m'étais point du tout arrangé ni redressé pour une harangue authentique et sèche ; je n'avais pas prétendu assurément parler pour parler, ni rajeunir des inutilités harmonieuses, ni régenter notre siècle, comme cela se pratique aujourd'hui tant pour l'instruction publique que pour l'ennui général. Vous le savez, Monsieur, le rôle du directeur de l'Académie française est fort court en pareil cas; et quand il a honnêtement accueilli le récipiendaire au nom de la compagnie, ce qui demande tout au

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plus vingt lignes à qui veut éviter les fadeurs, s'il veut ensuite éviter aussi tout remplissage fastidieux, il ne lui reste, après sa tâche remplie, qu'à se taire subitement et à clore la séance, à moins que quelque objet intéressant, neuf, propre au temps, propre au lieu, ne l'arrête quelques instants, et ne soit digne de l'académie et de l'assemblée qui l'écoute. En conséquence de ce principe, étant persuadé que la place que j'avais l'honneur d'occuper dans le sanctuaire de la langue française me donnaît quelque droit de réclamer contre un ridicule néologisme de nos jours, et contre de modernes abus qui tendent à altérer la langue, abus trop peu relevés jusqu'à ce moment, je crus devoir les dénoncer au jugement public, non du ton des harangues, qui n'allaît point du toút là, mais du ton simple de la conversation des honnêtes gens et des gens de goût. N'ayant point d'autre objet que d'offrir des réflexions justes sur un fond vrai, je n'avais certainement pas eu la moindre prétention d'y faire trouver le mot pour rire; cependant les connaisseurs à gauche ont crié partout que j'avais eu ce projet, qu'il était fort indécent d'avoir déridé quelquefois l'assistance, et qu'enfin ce n'était point là le ton d'un discours académique. A la

III.

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bonne heure; mais, 1o je n'avais jamais eu l'idée de faire ce qu'ils appellent un discours, entendu à leur façon et portant leur uniforme; 2o quant au genre académique, si dans une assemblée publique de l'académie française parler pour la défense de la langue de la nation n'est point remplir une fonction bien littéralement académique, les raisonneurs ont raison; enfin, pour leur donner tout gain de cause sur le ton naturel et simple que j'ai ridiculement préféré, si la forme sententieuse de ces discours qui glacent, si l'emphase capable, qui empâte d'un égal ennui le riche parleur et le pauvre auditoire, si l'importance qui endort, sont réellement bonnes à quelque chose pour l'esprit, l'amusement, et la santé des bonnes gens qui écoutent, je passe toute condamnation. Au reste, il n'est pas fort étonnant qu'un triste provincial, un sauvage de Picardie, enseveli depuis près de quinze années dans ses bois, n'en sache pas davantage sur Paris et sur la couleur actuelle du temps: il ne fallait pas le tirer de ses choux si l'on ne voulait pas lui laisser son franc-parler. Quoi qu'il en soit, il faut savoir se résigner au sort commun: on se tromperait beaucoup en attachant quelque importance et en croyant quelque durée à ces feuilles

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