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Elle avait assez de jours.

Ce n'est point par la durée

Que doit être mesurée

La course de tes élus,
La mort n'est prématurée

Que pour qui meurt sans vertus.

Vous donc, l'objet de mes rimes,
Ne pleurez point son bonheur;
Par ces solides maximes
Raffermissez votre cœur.
Que l'arbitre des années,
Dieu, qui voit nos destinées
Éclore et s'évanouir,

Joigne à vos ans les journées
Dont elle aurait dû jouir!

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ODE VII.

SUR L'INGRATITUDE.

QUELLE Furie au teint livide

Souffle en ces lieux un noir venin ?
Sa main tient ce fer parricide
Qui d'Agrippine ouvrit le sein;
L'insensible Oubli, l'Insolence,
Les sourdes Haines, en silence,
Entourent ce monstre effronté,
Et tour-à-tour leur main barbare
Va remplir sa coupe au Tartare
Des froides ondes du Léthé.

Ingratitude, de tels signes
Sont tes coupables attributs:
Parmi tes bassesses insignes
Quel silence assoupit Phébus?

Trop long-temps tu fus épargnée;
Sur toi de ma muse indignée
Je veux lancer les premiers traits:
Heureux, même en souillant mes rimes
Du récit honteux de tes crimes,
Si j'en arrête le progrès!

Naissons-nous injustes et traîtres?
L'homme est ingrat dès le berceau;
Jeune, sait-il aimer ses maîtres?
Leurs bienfaits lui sont un fardeau;
Homme fait, il s'adore, il s'aime,
Il rapporte tout à lui-même,
Présomptueux dans tout état;
Vieux enfin, rendez-lui service,
Selon lui c'est une justice:
Il vit superbe, il meurt ingrat.

Parmi l'énorme multitude

Des vices qu'on aime et qu'on suit,
Pourquoi garder l'ingratitude,
Vice sans douceur et sans fruit?
Reconnaissance officieuse,

Pour garder ta loi précieuse,

En coûte-t-il tant à nos cœurs?

Es-tu de ces vertus sévères
Qui par des règles trop austères
Tyrannisent leurs sectateurs ?

Sans doute il est une autre cause
De ce lâche oubli des bienfaits:
L'Amour-propre en secret s'oppose
A de reconnaissants effets;

Par un ambitieux délire

Croyant lui-même se suffire,
Voulant ne rien devoir qu'à lui,
Il craint dans la reconnaissance
Un témoin de son impuissance,
Et du besoin qu'il eut d'autrui.

Paré d'une ardeur complaisante,
Pour vous ouvrir à la pitié,
L'ingrat à vos yeux se présente
Sous le manteau de l'amitié;
Il rampe, adulateur servile:
Vous pensez, à ses vœux facile,
Que vous allez faire un ami.
Triste retour d'un noble zèle!
Vous n'avez fait qu'un infidèle,
Peut-être même un ennemi,

Déjà son œil fuit votre approche,
Votre présence est son bourreau;
Pour s'affranchir de ce reproche
Il voudrait voir votre tombeau.
Monstres des bois, race farouche,
On peut vous gagner, on vous touche,
Vous sentez le bien qu'on vous fait;
Seul, des monstres le plus sauvage,
L'ingrat trouve un sujet de rage
Dans le souvenir d'un bienfait.

Mais n'est-ce point une chimère,
Un fantôme que je combats ?
Fut-il jamais un caractère

Marqué par des crimes si bas?

O ciel! que n'est-ce une imposture!
A la honte de la nature,

Je vois que je n'ai rien outré;
Je connais des cœurs que j'abhorre,
Dont la noirceur surpasse encore
Ce que ces traits en ont montré.

Pour prévenir ces ames viles
Faudra-t-il, mortels bienfaisants,
Que vos mains, désormais stériles,

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