Elle avait assez de jours.
Ce n'est point par la durée
Que doit être mesurée
La course de tes élus, La mort n'est prématurée
Que pour qui meurt sans vertus.
Vous donc, l'objet de mes rimes, Ne pleurez point son bonheur; Par ces solides maximes Raffermissez votre cœur. Que l'arbitre des années, Dieu, qui voit nos destinées Éclore et s'évanouir,
Joigne à vos ans les journées Dont elle aurait dû jouir!
QUELLE Furie au teint livide
Souffle en ces lieux un noir venin ? Sa main tient ce fer parricide Qui d'Agrippine ouvrit le sein; L'insensible Oubli, l'Insolence, Les sourdes Haines, en silence, Entourent ce monstre effronté, Et tour-à-tour leur main barbare Va remplir sa coupe au Tartare Des froides ondes du Léthé.
Ingratitude, de tels signes Sont tes coupables attributs: Parmi tes bassesses insignes Quel silence assoupit Phébus?
Trop long-temps tu fus épargnée; Sur toi de ma muse indignée Je veux lancer les premiers traits: Heureux, même en souillant mes rimes Du récit honteux de tes crimes, Si j'en arrête le progrès!
Naissons-nous injustes et traîtres? L'homme est ingrat dès le berceau; Jeune, sait-il aimer ses maîtres? Leurs bienfaits lui sont un fardeau; Homme fait, il s'adore, il s'aime, Il rapporte tout à lui-même, Présomptueux dans tout état; Vieux enfin, rendez-lui service, Selon lui c'est une justice: Il vit superbe, il meurt ingrat.
Parmi l'énorme multitude
Des vices qu'on aime et qu'on suit, Pourquoi garder l'ingratitude, Vice sans douceur et sans fruit? Reconnaissance officieuse,
Pour garder ta loi précieuse,
En coûte-t-il tant à nos cœurs?
Es-tu de ces vertus sévères Qui par des règles trop austères Tyrannisent leurs sectateurs ?
Sans doute il est une autre cause De ce lâche oubli des bienfaits: L'Amour-propre en secret s'oppose A de reconnaissants effets;
Par un ambitieux délire
Croyant lui-même se suffire, Voulant ne rien devoir qu'à lui, Il craint dans la reconnaissance Un témoin de son impuissance, Et du besoin qu'il eut d'autrui.
Paré d'une ardeur complaisante, Pour vous ouvrir à la pitié, L'ingrat à vos yeux se présente Sous le manteau de l'amitié; Il rampe, adulateur servile: Vous pensez, à ses vœux facile, Que vous allez faire un ami. Triste retour d'un noble zèle! Vous n'avez fait qu'un infidèle, Peut-être même un ennemi,
Déjà son œil fuit votre approche, Votre présence est son bourreau; Pour s'affranchir de ce reproche Il voudrait voir votre tombeau. Monstres des bois, race farouche, On peut vous gagner, on vous touche, Vous sentez le bien qu'on vous fait; Seul, des monstres le plus sauvage, L'ingrat trouve un sujet de rage Dans le souvenir d'un bienfait.
Mais n'est-ce point une chimère, Un fantôme que je combats ? Fut-il jamais un caractère
Marqué par des crimes si bas?
O ciel! que n'est-ce une imposture! A la honte de la nature,
Je vois que je n'ai rien outré; Je connais des cœurs que j'abhorre, Dont la noirceur surpasse encore Ce que ces traits en ont montré.
Pour prévenir ces ames viles Faudra-t-il, mortels bienfaisants, Que vos mains, désormais stériles,
« PrécédentContinuer » |