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AVERTISSEMENT

SUR LES ÉGLOGUES DE VIRGILE.

Nec verbum verbo curabis reddere.

НОВАТ.

СЕТ ouvrage est moins une exacte traduction qu'une imitation hardie des Églogues de Virgile; l'exactitude classique et littéraire ne sert qu'à rabaisser l'essor poétique. L'auteur a cru devoir en secouer le joug, intimidé et averti par le peu de succès de quelques traducteurs de différents poètes; traducteurs craintifs et scrupuleux, qui n'ont eu d'autre mérite dans leur travail que celui de prouver au public qu'ils savaient expliquer mot pour mot leur auteur; mérite de pédant ou d'écolier. Pour trop vouloir conserver l'air latin à leur ori

ginal, ils l'ont souvent privé des beautés que la langue française devait lui prêter. Ils ont pris beaucoup de peine; il en fallait moins pour mieux faire : le vrai goût demande qu'on marche à côté de son auteur, sans le suivre en rampant, et sans baiser humblement tous ses pas. On doit le naturaliser dans nos mœurs oublier ses tours, ses expressions, son style étranger au nôtre, ne lui laisser enfin que ses pensées, et les exprimer comme il aurait dû faire lui-même s'il avait parlé notre langue. Le caractère libre de la poésie française ne se plie point volontiers à la précision du vers latin : ainsi on s'est mis au large, sans s'enchaîner aux termes; on ne s'est étudié qu'à conserver le fond des choses; on a quelquefois resserré, quelquefois étendu les pensées du poète, selon le besoin des transitions et les contraintes de la rime. On ne doit montrer son auteur que par les endroits avantageux: tous le sont à-peu-près pour Virgile; cependant on a cru devoir décharger le style de certaines circonstances qui ne pourraient être rendues heureusement. Il est des traits que les Graces accompagnent dans le texte, et qu'elles abandonneraient dans la version. Par exemple, la circon

stance des mœurs d'Églé, daus la sixième Églogue, et la joue enluminée du dieu Pan dans la dixième, n'ont rien de bas dans le latin; ce sont des situations naïves que la délicatesse de l'expression relève ; mais elles ne présenteraient en français qu'une idée basse et burlesque : ces légers retranchements sont rachetés et remplacés par un peu plus d'étude dans les endroits riants et favorables. Il n'est pas besoin de justifier quelques changements dans les noms des bergers; chose indifférente, et qui n'ôte rien au sujet ni à la conduite du poëme. On s'est permis une liberté plus considérable, mais qu'on a crue nécessaire à nos mœurs et à notre goût ; c'est le changement de quelques noms de bergers en des noms de bergères; par là les sentiments sont ramenés dans l'ordre, l'amour se trouve dans la nature, et le voile est tiré sur des images odieuses et détestées, qui pouvaient cependant plaire au siècle dépravé du poète. C'est par ces mêmes égards qu'on a risqué la métamorphose de l'Alexis : quelques personnes d'un goût délicat et d'une critique éclairée ont enhardi l'auteur à ce changement. Il était difficile d'assez bien différencier les expressions de cette amitié d'avec celles de l'amour même;

le préjugé reçu contre les mœurs de Virgile se serait toujours maintenu, et aurait rendu aux sentiments de Corydon toute la vivacité passionnée qu'on aurait tâché d'adoucir et de colorer.

ÉGLOGUE PREMIÈRE.

TITYRE.

MÉLIBÉE, TITYRE.

MÉLIBÉE.

TRANQUILLE, cher Tityre, à l'ombre de ce hêtre,

Vous essayez

des airs sur un hautbois champêtre, Vous chantez; mais pour nous, infortunés bergers, Nous gémirons bientôt sur des bords étrangers. Nous fuyons, exilés d'une aimable patrie. Seul vous ne quittez point cette terre chérie ; Et, quand tout retentit de nos derniers regrets, Du nom d'Amaryllis vous charmez ces forêts.

TITYRE.

Un Dieu, cher Mélibée, appui de ma faiblesse,

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