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Accorde ces loisirs aux jours de ma vieillesse :
Oui, je mets ce héros au rang des immortels;
Le sang de mes agneaux rougira ses autels.

Si mon troupeau tranquille erre encor sur ces rives
Quand le sort en bannit vos brebis fugitives,
Tandis qu'un vaste effroi trouble nos champs déserts,
Si dans un doux repos je chante encor des airs,
Berger, c'est un bienfait de ce dieu secourable;
C'est à lui que je dois ce destin favorable.

MÉLIBÉE.

Parmi tant de malheurs et de troubles affreux,
Que je suis étonné de trouver un heureux !
Je suis traînant à peine, en cet exil funeste,
De mes nombreux troupeaux le déplorable reste;
Cette triste brebis, l'espoir de mon troupeau,
Dans sa fuite a perdu son languissant agneau:
Déjà dans ma douleur j'ai brisé ma musette:
Pourquoi te tiens-je encore, inutile houlette?
Hélas! souvent le ciel, irrité contre nous,

Par des signes trop sûrs m'annonçait son courroux!
Trois fois (il m'en souvient) dans la forêt prochaine
Le tonnerre à mes yeux est tombé sur un chêne;
De sinistres oiseaux, par de lugubres chants,
Trois fois m'ont annoncé la perte de nos champs.
Mais pourquoi rappeler ces douloureux présages?.....

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Berger, quel est ce dieu qui reçoit vos hommages?

TITYRE.

Bien loin de nos hameaux ce héros tient sa cour;
Sa présence embellit un plus noble séjour;
Rome est ce lieu charmant: autrefois, je l'avoue,
Je ne croyais point Rome au-dessus de Mantoue.
Quelle était mon erreur! sur ses bords enchantés
Le Tibre voit briller la reine des cités :
Rome l'emporte autant sur le reste des villes
Que le plus haut cyprès sur les buissons stériles.
MÉLIBÉE.

Quel espoir vous porta vers ces aimables lieux ?

TITYRE.

La Liberté, berger, s'y montrait à mes vœux :
D'elle j'obtiens enfin des regards plus propices;
Mes derniers ans pourront couler sous ses auspices.
Mantoue à mes désirs refusait ce bonheur;
Par d'inutiles soins je briguais sa faveur;

Sans aucun fruit pour moi ces fréquents sacrifices
Dépeuplaient mon bercail d'agneaux et de génisses;
Vainement j'implorais l'heureuse Liberté:

Mais enfin j'ai fléchi cette divinité.

J'osai porter ma plainte au souverain du Tibre :
J'étais alors esclave; il parla, je fus libre.

MÉLIBÉE.

Lorsque vous habitiez ce rivage charmant
Tout s'affligeait ici de votre éloignement.
Pendant ces sombres jours la jeune Galatée
Du plus tendre chagrin me parut agitée:
Ses yeux s'ouvraient à peine à la clarté du jour,
Sa plainte attendrissait les nymphes d'alentour ;
Les échos des vallons, les pins et les fontaines,
Rappelaient à l'envi Tityre dans nos plaines;
Vos fruits dépérissaient dans le plus beau verger,
Et vos troupeaux plaintifs demandaient leur berger.

TITYRE.

Si je n'avais quitté ma triste solitude

Je souffrirais encor la même servitude.

Dans ces maux Rome était mon unique recours,
Et ses dieux pouvaient seuls me faire d'heureux jours.
Là j'ai vu ce héros que chante ma tendresse;
Il est dans le printemps d'une belle jeunesse :
Allez, bergers, dit-il; conservez en repos
Votre séjour natal, vos champs et vos troupeaux.
Bientôt, par un retour d'hommages légitimes,
Je lui sacrifirai mes plus belles victimes;
Ses fêtes reviendront douze fois tous les ans,
Douze fois ses autels recevront mon encens.

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MÉLIBÉE.

Ainsi donc, cher Tityre, exempt de nos misères,
Vous finirez vos jours aux foyers de vos pères;
Vos troupeaux, respectés du barbare vainqueur,
Demeureront ici sous leur premier pasteur;
Ils ne sortiront point de ces gras pâturages
Pour périr de langueur dans des terres sauvages;
Vos abeilles encore, au retour du matin,
Picoteront la fleur des saules et du thym.

Nos champs abandonnés vont rester inutiles;
Les vôtres par vos soins seront toujours fertiles;
Vous pourrez encor voir ces bocages chéris,
Ces gracieux lointains, ces rivages fleuris;
Les amoureux soupirs des rossignols fidèles,
Les doux gémissements des tendres tourterelles,
Vous livreront encore aux douceurs du sommeil
Dans ces antres fermés aux regards du soleil.

TITYRE.

L'amour saura toujours me retracer l'image
Du dieu qui me procure un si doux avantage.
Le cerf d'un vol hardi traversera les airs,
Les habitants des eaux fuiront dans les déserts,
La Saône ira se joindre aux ondes de l'Euphrate,
Avant qu'un lâche oubli me fasse une ame ingrate.

MÉLIBÉE.

Que ne puis-je avec vous célébrer ce héros,
Et ranimer les sons de mes tristes pipeaux?
Nos pasteurs pleurent tous une même disgrace :
Nous fuyons dispersés. Les uns aux champs de Thrace
Vont chercher des tombeaux sous ces affreux climats
Qu'un éternel hiver couvre d'âpres frimas;
D'autres vont habiter une contrée aride,
Et les déserts voisins de la zône torride.
Compagnon de leurs maux, et banni pour toujours,
Sous un ciel inconnu je traînerai mes jours;
Quoi! je ne verrai plus ces campagnes si chères,
Ni ce rustique toit hérité de mes pères!

O Mantoue! oh! du moins si ces riches sillons
Devaient m'être rendus après quelques moissons!
Non, je ne verrai plus ces forêts verdoyantes,
Ni ces guérets chargés de gerbes ondoyantes;
D'avides étrangers, des soldats inhumains,
Désoleront ce champ cultivé de mes mains:
Était-ce donc, grands dieux! pour cette troupe indigne
Que j'ornais mon verger, que je taillais ma vigne?
C'en est fait; pour toujours recevez mes adieux,
Bords si chers à mon cœur, et si beaux à mes yeux !
O guerre ! ô triste effet des discordes civiles!
Champs, on vous sacrifie à l'intérêt des villes.

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