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LETTRES FAMILIÈRES.

AU PÈRE CERATI (1)

DE LA CONGREGATION DE L'ORATOIRE DE SAINT-PHILIPPE.

A Rome.

J'eus l'honneur de vous écrire par le courrier passé, mon révérend père ; je vous écris encore par celui-ci. Je prends du plaisir à faire tout ce qui peut vous rappeler une amitié qui m'est si chère. J'ajoute à ce que je vous mandois sur l'affaire.... que, si monseigneur Fouquet (2) exige au-delà de la somme que j'ai paru vous fixer, vous pouvez vous étendre et donner plus, et faire, par rapport aux autres conditions, tout ce qui ne sera pas visiblement déraisonnable. Je connois ici le chevalier Lambert, banquier fameux, qui m'a dit être en correspondance avec Belloni. Je ferai remettre sur-le-champ par lui l'argent dont vous serez convenu; car il me paroît que les volontés de M. Fouquet sont si ambulatoires (3), qu'il ne vaut pas la peine de rien faire avant qu'elles ne soient fixées.

Je suis ici dans un pays qui ne ressemble guère

(*) Comme la plupart des notes qui accompagnent ces lettres sont très insignifiantes, je les ai rejetées toutes à la fin : on trouvera chaque note au numéro indiqué dans la lettre.

au reste de l'Europe. Nous n'avons pas encore su le contenu du traité d'Espagne: on croit simplement qu'il ne change rien à la quadruple alliance, si ce n'est que les six mille hommes qui iront en Italie pour faire leur cour à don Carlos, seront Espagnols, et non pas neutres. Il court ici tous les jours, comme vous savez, toutes sortes de papiers très libres et très indiscrets. Il y en avoit un, il y a deux ou trois semaines, dont j'ai été très en colère. Il disoit que M. le cardinal de Rohan avoit fait venir d'Allemagne, avec grand soin, pour l'usage de ses diocésains, une machine tellement faite, que l'on pouvoit jouer aux dés, les mêler, les pousser, sans qu'ils reçussent aucune impression de la main du joueur, lequel pouvoit auparavant, par un art illicite, flatter ou brusquer les dés selon l'occasion; ce qui établissoit la friponnerie dans des choses qui ne sont établies que pour récréer l'esprit. Je vous avoue qu'il faut être bien hérétique et janséniste (4) pour faire de ces mauvaises plaisanteries-là. S'il s'imprime dans l'Italie quelque ouvrage qui mérite d'être lu, je vous prie de me le faire savoir. J'ai l'honneur d'être avec toute sorte de tendresse et d'amitié. De Londres, le 21 décembre 1729.

AU MÊME.

Père Cerati, vous êtes mon bienfaiteur : vous êtes comme Orphée, vous faites suivre les rochers. Je

mande à l'abbé Duval (5) que je n'entends pas qu'il abuse de l'honnêteté de M. Fouquet, mais qu'il poursuive, et que ce qui reviendra soit partagé à l'amiable entre monseigneur et lui.

Enfin Rome est délivrée de la basse tyrannie de Bénévent, et les rênes du pontificat ne sont plus tenues par ces viles mains. Tous ces faquins, SainteMarie à leur tête, sont retournés dans les chaumières où ils sont nés, entretenir leurs parents de leur ancienne insolence. Coscia n'aura plus pour lui que son argent et sa goutte. On pendra tous les Bénéventins qui ont volé, afin que la prophétie s'accomplisse sur Bénévent: Vox in Rama audita est; Rachel plorans filios suos noluit consolari, quia non

sunt.

Donnez-nous un pape qui ait un glaive comme saint Paul, non pas un rosaire comme saint Dominique, ou une besace comme saint François. Sortez de votre léthargie: Exoriare aliquis. N'avezvous point de honte de nous montrer cette vieille chaire de saint Pierre avec le dos rompu et pleine de vermoulure? Voulez-vous qu'on regarde votre coffre, où sont tant de richesses spirituelles, comme une boîte d'orviétan ou de mithridate? En vérité, vous faites un bel usage de votre infaillibilité; vous vous en servez pour prouver que le livre de Quesnel ne vaut rien, et vous ne vous en servez pas pour décider que les prétentions de l'empereur sur Parme et Plaisance sont mauvaises. Votre triple couronne ressemble à cette couronne de laurier que mettoit César pour empêcher qu'on ne vît qu'il étoit chauve.

Mes adorations à M. le cardinal de Polignac. Je fus reçu il y a trois jours membre de la société royale de Londres. On y parla d'une lettre de M. Thomas Dhisam à son frère, qui demandoit le sentiment de la société sur les découvertes astronomiques de M. Bianchini. Embrassez, s'il vous plaît, de ma part, l'abbé, le cher abbé Niccolini. Je vous salue, cher père, de tout mon cœur.

De Londres, le premier mars 1730.

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A M. DE MONCRIF,

DE L'ACADÉMIE FRANÇOISE (6).

J'oubliai d'avoir l'honneur de vous dire, monsieur, que, si le sieur Preau (7), dans l'édition de ce petit roman (8) alloit mettre quelque chose qui, directement ou indirectement, pût faire penser que j'en suis l'auteur, il me désobligeroit beaucoup. Je suis, à l'égard des ouvrages qu'on m'a attribués, comme La Fontaine-Martel (9) étoit pour les ridicules; on me les donne; mais je ne les prends point. Mille excuses, monsieur, et faites-moi l'honneur de me croire, monsieur, plus que je ne saurois vous dire, votre très humble et très obéissant serviteur.

Ce 26 avril 1738.

A M. L'ABBÉ VENUTI (10).

A Clérac.

J'ai reçu, monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, avec beaucoup plus de joie que je n'aurois cru, parceque je ne savois pas que M. l'abbé de Clérac, que j'honorois déjà beaucoup, fût le frère de M. le chevalier Venuti (11), avec qui j'ai eu le plaisir de contracter amitié à Florence, et qui m'a procuré l'honneur d'une place dans l'académie de Cortone. Je vous supplie, monsieur, d'avoir pour moi les mêmes bontés qu'a eues monsieur votre frère. M. Campagne m'a écrit le beau présent que vous lui aviez remis pour moi, dont je vous suis infiniment obligé. M. Baritaut m'avoit déjà fait lire une partie de cet ouvrage et ce qui m'a touché dans vos dissertations, c'est qu'on y voit un savant qui a de l'esprit ; ce qui ne se trouve pas toujours.

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Vous êtes cause, monsieur, que l'académie de Bordeaux me presse l'épée dans les reins pour obtenir un arrêt du conseil pour la création de vingt associés au lieu de vingt éléves. L'envie qu'elle a de vous avoir, et la difficulté d'autre part que toutes les places d'associés sont remplies, fait qu'elle desire de voir de nouvelles places créées. Les affaires de M. le cardinal de Polignac et d'autres font que

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