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pas dureté de mœurs mœurs! quoi donc! n'y a-t-il plus horrible à tuer votre compatriote, qu'à tordre le cou à un moineau ou à lui crever l'œil?

Vous me parlez sans cesse de monarchie fondée sur l'honneur, et de république fondée sur la vertu. Je vous dis hardiment qu'il y a dans tous les gouvernements de la vertu et de l'honneur.

Je vous dis la vertu n'a eu nulle à l'établisque part sement ni d'Athènes, ni de Rome, ni de Saint-Marin, ni de Raguse, ni de Genève. On se met en république quand on le peut. Alors l'ambition, la vanité, l'intérêt de chaque citoyen veille sur l'intérêt, la vanité, l'ambition de son voisin. Chacun obéit volontiers aux lois pour lesquelles il a donné son suffrage. On aime l'État dont on est seigneur pour un cent-millième, si la république a cent mille bourgeois. Il n'y a là aucune vertu. Quand Genève secoua le joug de son comte et de son évêque, la vertu ne se mêla point de cette aventure. Si Raguse est libre, qu'elle n'en rende point grace à la vertu, mais à vingt-cinq mille écus d'or qu'elle paie tous les ans à la Porte ottomane. Que Saint-Marin remercie le pape de sa situation, de sa petitesse, de sa pauvreté. S'il est vrai que Lucréce (chose fort douteuse) ait fait chasser les rois de Rome pour s'être tuée après s'être laissé violer, il y a de la vertu dans sa mort, c'est-à-dire du courage et de l'honneur, quoiqu'il y eût un peu de foiblesse à laisser faire le jeune Tarquin. Mais je ne vois pas que les Romains fussent plus vertueux en chassant Tarquin le Superbe, que les An

ques idées d'humanité. N'est-il pas encore plus vraisemblable que ce sont des contes, comme tant d'autres jugements célèbres, depuis celui de l'aréopage, en faveur de Minerve, jusqu'à ceux de Sancho-Pança dans son île.

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glois ne l'ont été en renvoyant Jacques II. Je ne conçois pas même qu'un Grison, ou un bourgeois de Zug, doive avoir plus de vertu qu'un homme domicilié à Paris ou à Madrid.

Quant à la ville d'Athènes, j'ignore si Cécrops fut son roi dans le temps qu'elle n'existoit pas. J'ignore si Thésée le fut avant ou après qu'il eut fait le voyage de l'enfer. Je croirai, si l'on veut, que les Athéniens eurent la générosité d'abolir la royauté dès que Codrus se fut dévoué pour eux. Je demande seulement si ce roi Codrus, qui se sacrifie pour son peuple, n'avoit pas quelque vertu. En vérité, toutes ces questions subtiles sont trop délicates pour avoir quelque solidité. Il faut le redire; c'est de l'esprit sur les lois.

XXIX.

« Dans les monarchies il ne faut point de censeurs. «Elles sont fondées sur l'honneur; et la nature de ✩ l'honneur est d'avoir pour censeur tout l'univers. » (Liv. V, chap. XIX.)

Que signifie cette maxime? Tout homme n'a-t-il pas pour censeur l'univers, en cas qu'il en soit connu? Les Grecs mêmes, du temps de leur Sophocle, jusqu'à celui de leur Aristote, crurent que l'univers avoit les yeux sur eux. Toujours de l'esprit; mais ce n'est pas ici sur les lois (1).

(1) La censure est très bonne, en général, pour maintenir dans un peuple les préjugés utiles à ceux qui gouvernent; pour conserver dans un corps tous les vices qui naissent de l'esprit de corps : la censure fut établie à Rome par le sénat, pour contre-balancer le pouvoir des tribuns. Elle étoit un instrument de tyrannie. On prit les mœurs pour prétexte; on profita de la haine naturelle du

XXX.

« En Turquie on termine promptement toutes « les disputes. La manière de les finir est indiffé« rente, pourvu qu'on finisse. Le bacha, d'abord éclairci, fait distribuer à sa fantaisie des coups de bâ<< ton aux plaideurs, et les renvoie chez eux. » (Liv. VI, chap. II.)

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Cette plaisanterie seroit bonne à la comédie italienne. Je ne sais si elle est convenable dans un livre

de législation; il ne faudroit y chercher que la vérité. Il est faux que dans Constantinople un bacha se mêle de rendre la justice. C'est comme si on disoit qu'un brigadier, un maréchal-de-camp fait l'office de lieutenant civil, et de lieutenant criminel. Les cadis sont les premiers juges; ils sont subordonnés aux cadileskers, et les cadileskers au visir-azem, qui juge lui-même avec les visirs du banc. L'empereur est souvent présent à l'audience, caché derrière une jalousie; et le visir-azem, dans les causes importantes, lui demande décision par un simple billet, sur lequel l'empereur décide en deux mots. Le procès s'instruit sans le moindre bruit, avec la plus grande promptitude. Point d'avocats, encore moins de procureurs et de papier timbré. Chacun plaide sa cause sans oser élever sa voix. Nul procès ne peut durer plus de dix-sept jours. Il reste à savoir si notre chicane, nos plaidoiries si lon

sa

peuple pour les riches. La crainte d'être dégradé par le censeur doit être d'autant plus terrible, qu'on est plus sensible à l'honneur, aux distinctions, aux prérogatives. Des hommes guidés par la vertu riroient des jugements des censeurs, et emploieroient leur éloquence à faire abolir cet établissement ridicule.

gues, si répétées, si fastidieuses, si insolentes, ces immenses monceaux de papiers fournis par ces harpies de procureurs, ces taxes ruineuses imposées sur toutes les pièces qu'il faut timbrer et produire, tant de lois contradictoires, tant de labyrinthes qui éternisent chez nous les procès; si, dis-je, cet effroyable chaos vaut mieux que la jurisprudence des Turcs, fondée sur le sens commun, l'équité, et la promptitude. C'étoit à corriger nos lois que Montesquieu devoit consacrer son ouvrage, et non à railler l'empereur d'Orient, le grand visir et le divan (1).

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XXXI.

« Lorsque Louis XIII voulut être juge dans le pro« cès du duc de La Valette, le président de Belièvre « dit que c'étoit une chose étrange qu'un prince opi« nât au procès d'un de ses sujets, etc. »

L'auteur ajoute qu'alors le roi seroit juge et partie; qu'il perdroit le plus bel attribut de la souveraineté, celui de faire grace, etc. (Liv. VI, chap. v.)

Voilà jusqu'ici le seul endroit où l'auteur parle de nos lois dans son Esprit des Lois ; et malheureusement, quoiqu'il eût été président à Bordeaux, il se trompe. C'étoit originairement un droit de la pairie, qu'un pair accusé criminellement fût jugé par le roi, son principal pair. François II avoit opiné dans le procès contre

(1) Quand les lois sont très simples, il n'y a guère de procès où l'une des deux parties ne soit évidemment un fripon, parceque les discussions roulent sur des faits et non sur le droit. Voilà pourquoi on fait dans l'Orient un si grand usage des témoins dans les affaires civiles, et qu'on distribue quelquefois des coups de bâton aux plaideurs et aux témoins qui en ont imposé à la justice.

le prince de Condé, oncle de Henri IV. Charles VII avoit donné sa voix dans le procès du duc d'Alençon; et le parlement même l'avoit assuré que c'étoit son devoir d'être à la tête des juges. Aujourd'hui la présence du roi au jugement d'un pair, pour le condamner, paroîtroit un acte de tyrannie. Ainsi tout change. Quant au droit de faire grace, dont l'auteur dit que le prince se priveroit s'il étoit juge, il est clair que rien ne l'empêcheroit de condamner et de pardonner.

Je suis obligé de m'abstenir de plusieurs autres questions, sur lesquelles j'aurois des éclaircissements à demander. Il faut être court, et il y a trop de livres. Mais je m'arrête un instant sur l'anecdote suivante.

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XXXII.

<< Soixante et dix personnes conspirèrent contre l'empereur Basile. Il les fit fustiger; on leur brûla les «< cheveux et le poil. Un cerf l'ayant pris par la cein« ture, quelqu'un de sa suite tira son épée, coupa sa <«< ceinture et le délivra. Il lui fit trancher la tête. Qui pourroit penser que sous le même prince on eût << rendu ces deux jugements? » (Liv.VI, chap. xvI.)

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L'Esprit des Lois est plein de ces contes qui n'ont assurément aucun rapport aux lois. Il est vrai que dans la misérable histoire bizantine, monument de la décadence de l'esprit humain, de la superstition la plus forte, et des crimes de toute espèce, on trouve ce récit, tome III, page 576, traduction de Cousin.

C'est au président Cousin et au président Montesquieu à chercher la raison pour laquelle l'extravagant tyran Basile n'osa pas punir de mort les complices d'une conjuration contre lui, et la raison ou la démence qui le força d'assassiner celui qui lui avoit sauvé la vie.

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