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ture qu'un Turc au sultan, à moins qu'il ne boive et ne mange quatre fois davantage. Il y a peu de pays où les hommes, en travaillant aussi peu, jouissent de tant d'aisance.

Qu'il ait dit que « dans les états mahométans on est << non seulement maître des biens et de la vie des fem<< mes esclaves » ; ce qui est absolument faux, puisque dans le vingt-quatrième sura, ou chapitre de l'alcoran, il est dit expressément : « Traitez bien vos esclaves; si « vous voyez en eux du mérite, partagez avec eux les << richesses que DIEU vous a données; ne forcez pas VOS << femmes esclaves à se prostituer à vous » ; puisque enfin on punit de mort à Constantinople le maître qui a tué son esclave, à moins que le maître ne prouve que l'esclave a levé la main sur lui: et si l'esclave prouve que son maître l'a violée, elle est déclarée libre avec dépens.

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« Qu'à Patane la lubricité des femmes est si grande, « que les hommes sont obligés de se faire certaines garnitures pour se mettre à l'abri de leurs entre<< prises. » C'est un nommé Sprenkel qui a fait ce conte absurde, bien indigne assurément de l'Esprit des Lois. Et le même Sprenkel dit qu'à Patane les maris sont si jaloux de leurs femmes, qu'ils ne permettent pas à leurs meilleurs amis de les voir, elles ni leurs filles.

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Que la féodalité est un événement arrivé une fois << dans le monde, et qui n'arrivera peut-être jamais

etc.

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Quoique la féodalité, les bénéfices militaires, aient été établis, en différents temps et sous différentes formes, sous Alexandre Sévère, sous les rois lombards, sous Charlemagne, dans l'empire ottoman, en Perse, dans le Mogol, au Pégu, en Russie, et que les voya

geurs en aient trouvé des traces dans un grand nombre des pays qu'ils ont découverts.

« Que chez les Germains il y avoit des vassaux et

« non pas des fiefs. Les fiefs étoient des chevaux de bataille, des armes, des repas. "

K

Quelle idée! il n'y a point de vassalité sans terre. Un officier à qui son général aura donné à souper n'est pas pour cela son vassal.

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« Qu'en Espagne on a défendu les étoffes d'or et d'argent. Un pareil décret seroit semblable à celui << que feroient les états de Hollande, s'ils défendoient « la consommation de la cannelle. »

On ne peut faire une comparaison plus fausse, ni dire une chose moins politique. Les Espagnols n'avoient point de manufactures; ils auroient été obligés d'acheter ces étoffes de l'étranger. Les Hollandois, au contraire, sont les seuls possesseurs de la cannelle; ce qui étoit raisonnable en Espagne, suivant les opinions alors reçues, eût été absurde en Hollande.

Je n'entrerai point dans la discussion de l'ancien gouvernement des Francs vainqueurs des Gaulois; dans ce chaos de coutumes toutes bizarres, toutes contradictoires; dans l'examen de cette barbarie, de cette anarchie qui a duré si long-temps, et sur lesquelles il y a autant de sentiments différents que nous en avons en théologie. On n'a perdu que trop de temps à descendre dans ces abîmes de ruines; et l'auteur de l'Esprit des Lois a dû s'y égarer comme les autres.

Toutes les origines des nations sont l'obscurité même, comme tous les systèmes sur les premiers principes sont un chaos de fables. Lorsqu'un aussi beau génie que Montesquieu se trompe, je m'enfonce dans d'autres erreurs en découvrant les siennes. C'est le

sort de tous ceux qui courent après la vérité; ils se heurtent dans leur course, et tous sont jetés par terre. Je respecte Montesquieu jusque dans ses chutes, parcequ'il se relève pour monter au ciel. Je vais continuer ce petit commentaire pour m'instruire en l'étudiant sur quelques points, non pour le critiquer je le prends pour mon guide, non pour mon adversaire.

DU CLIMAT.

De tout temps on a su combien le sol, les eaux, l'atmosphère, les vents, influent sur les végétaux, les animaux, et les hommes. On sait assez qu'un Basque est aussi différent d'un Lapon qu'un Allemand l'est d'un Négre, et qu'un coco l'est d'une néfle. C'est à propos de l'influence du climat que Montesquieu examine, au chapitre XII du livre xiv, pourquoi les Anglois se tuent si délibérément. « C'est, dit-il, l'effet d'une ma« ladie. Il y a apparence que c'est un défaut de filtra«<tion du suc nerveux. » Les Anglois, en effet, appellent cette maladie spleen, qu'ils prononcent splin; ce mot signifie la rate. Nos dames autrefois étoient malades de la rate. Molière a fait dire à des bouffons (1): Veut-on qu'on rabatte,

Par des moyens doux,
de rate

Les vapeurs

Qui nous minent tous?
Qu'on laisse Hippocrate,
Et qu'on vienne à nous.

:

Nos Parisiennes étoient donc tourmentées de la rate; à présent elles sont affligées de vapeurs et en aucun cas elles ne se tuoient. Les Anglois ont le splin

(*) Amour médecin, acte III, scène viii

ou la splin, et se tuent par humeur. Ils s'en vantent, car quiconque se pend à Londres, ou se noie, ou se tire un coup de pistolet, est mis dans la gazette.

Depuis la querelle de Philippe de Valois et d'Édouard III, pour la loi salique, les Anglois en ont toujours voulu aux François; ils leur prirent non seulement Calais, mais presque tous les mots de leur langue, et leurs maladies, et leurs modes, et prétendirent enfin l'honneur exclusif de se tuer. Mais si l'on vouloit rabattre cet orgueil, on leur prouveroit que dans la seule année 1764, on a compté à Paris plus de cinquante personnes qui se sont donné la mort. On leur diroit que chaque année il y a douze suicides dans Genéve, qui ne contient que vingt mille ames, tandis que les gazettes ne comptent pas plus de suicides à Londres, qui renferme environ sept cent mille spleen ou splin.

Les climats n'ont guère changé depuis que Romulus et Remus eurent une louve pour nourrice. Cependant, pourquoi, si vous en exceptez Lucrèce, dont l'histoire n'est pas bien avérée, aucun Romain de marque n'a-t-il eu une assez forte spleen pour attenter à sa vie? Et pourquoi ensuite, dans l'espace de si peu d'années, Caton d'Utique, Brutus, Cassius, Antoine, et tant d'autres, donnèrent-ils cet exemple au monde? N'y a-t-il pas quelque autre raison que le climat qui rendit ces suicides si communs?

Montesquieu dit dans ce livre (c. xv), que le climat de l'Inde est si doux que les lois le sont aussi. « Ces lois, « dit-il, ont donné les neveux aux oncles, les orphelins «< aux tuteurs, comme on les donne ailleurs à leurs pè« res. Ils ont réglé la succession par le mérite reconnu « du successeur. Il semble qu'ils ont pensé que chaque

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citoyen devoit se reposer sur le bon naturel des au«< tres. Heureux climat qui fait naître la candeur des <«<ames, et produit la douceur des mœurs! »

Il est vrai que dans vingt endroits l'illustre auteur peint le vaste pays de l'Inde et tous les pays de l'Asie comme des états monarchiques ou despotiques, dans lesquels tout appartient au maître, et où les sujets ne connoissent point la propriété; de sorte que, si le climat produit des citoyens si honnêtes et si bons, il y fait des princes bien rapaces et bien tyrans. Il ne s'en souvient plus ici; il copie la lettre d'un jésuite nommé Bouchet au président Cochet, insérée dans le quatorzième recueil des Lettres curieuses et édifiantes; et il copie trop souvent ce recueil. Ce Bouchet, dès qu'il est arrivé à Pondichéri, avant de savoir un mot de la langue du pays (1), répète à M. Cochet tous les contes qu'il a entendu faire à des facteurs. J'en crois plus volontiers le colonel Scrafton, qui a contribué aux conquêtes du lord Clive, et qui joint à la franchise d'un homme de guerre une intelligence profonde de la langue des brames.

Voici ses paroles, que j'ai citées ailleurs :

les

« Je vois avec surprise tant d'auteurs assurer que « possessions des terres ne sont point héréditaires dans « ce pays, et que l'empereur est l'héritier universel. Il «< est vrai qu'il n'y a point d'acte de parlement dans

(1) J'ai connu autrefois ce Bouchet; c'étoit un imbécile, aussi bien que frère Courbeville, son compagnon. Il a vu des femmes indiennes prouver leur fidélité à leurs maris en plongeant une main dans l'huile bouillante sans se brûler. Il ne savoit pas que le secret consiste à verser l'eau dans le vase long-temps avant l'huile, et que l'huile est encore froide quand l'eau qui bout soulève l'huile à gros bouillons. Il répète l'histoire des deux Sosies pour prouver le christianisme aux brames,

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