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qu'elles ne contiennent que des mots d'un sens précis et déterminé ; et toutes les fois qu'une loi en emploiera d'autres, ces mots seront définis avec une exactitude scrupuleuse.

Comme tout législateur peut se tromper, il faut joindre à chaque loi le motif qui a décidé à la porter. Cela est nécessaire, et pour attacher à ces lois ceux qui y obéissent, et pour éclairer ceux qui les exécutent; enfin pour empêcher des changements pernicieux, et faciliter en même temps ceux qui sont utiles. Mais l'exposition de ces motifs doit être séparée du texte de la loi, comme dans un livre de mathématiques on peut séparer la suite de l'énoncé des propositions, de l'ouvrage même qui en contient les démonstrations. Une loi n'est autre chose que cette proposition: Il est juste ou raisonnable que..... (Suit le texte de la loi.)

Si l'on ne veut donner qu'une branche particulière de législation, il faut avoir soin de la circonscrire avec exactitude, examiner après l'avoir réglée selon la raison et la justice, si elle n'est en contradiction avec aucune loi établie, et détruire soigneusement toutes celles-ci, comme on détruit toutes les racines d'un mal qu'on veut extirper. Cependant il vaudroit mieux laisser subsister une bonne loi en contradiction avec une

mauvaise qu'on n'auroit pu détruire, que de laisser la

mauvaise seule.

Pour une loi particulière, si l'on veut être sûr qu'elle soit bonne, il faudra l'examiner, non pas isolée, mais dans son rapport avec toutes celles qui doivent entrer dans un bon système de lois pour la branche de législation à laquelle elle appartient, et avec l'état actuel de cette branche de législation. Alors il peut arriver, ou

que la loi qu'on veut faire doive entrer dans un bon système de législation, ou qu'elle ne soit utile et juste que parcequ'elle s'oppose à l'injustice qui résulte d'une mauvaise loi qu'on ne peut changer.

Dans le premier cas, il faut se conformer à la justice absolue; dans le second, à la justice relative. Dans le premier, la loi doit être présentée comme une véritable loi; dans le second, comme une modification de la mauvaise loi qu'elle corrige.

Plus l'objet de la loi est particulier, plus il importe que le législateur expose ses motifs. Il est beaucoup plus aisé de saisir l'esprit d'une législation générale ou d'une branche de législation, que celui d'une loi isolée.

Il seroit bon de régler dans une législation générale un moyen de réformer les lois qui entraînent des abus, sans qu'on soit obligé d'attendre que l'excès de ces abus ait fait sentir la nécessité de la réforme.

Il y a des lois qui doivent paroître au législateur faites pour être éternelles; il y en a d'autres qui doivent vraisemblablement être changées. Ces deux classes de lois doivent être distinguées dans la rédaction.

Par exemple, cette loi, les impôts seront toujours établis proportionnellement au produit net des terres, peut être regardée comme une loi fondée sur la nature des choses (1).

Mais la loi qui fixe la manière d'évaluer le produit peut être variable, parcequ'il est possible de perfec

(1) On voit qu'à l'époque où Condorcet a écrit ceci il partageoit encore les opinions des économistes françois les plus exclusifs. Il prouve lui-même la sagesse profonde de l'expression dont il vient de se servir : Il y a des lois qui doivent paroître au législateur faites pour étre éternelles. Les hommes, en effet, ne peuvent jamais répondre de l'avenir sous aucun rapport. (Note de M. de Tracy.)

tionner la méthode qu'il faut employer dans ces évaluations.

Il est encore plus important de distinguer les lois qui ne sont que pour un temps. Le chancelier de l'Hôpital, dans un édit de pacification, porta peine de mort contre ceux qui briseroient des images. Il est clair que cette loi, trop rigoureuse, n'avoit pour objet que de prévenir des imprudences qui pouvoient rallumer la guerre civile; et c'est en vertu de cette loi, regardée comme perpétuelle contre toute raison, que le parlement de Paris a eu la barbarie de condamner le chevalier de La Barre. Même en supposant la loi juste, il eût fallu statuer qu'elle cesseroit d'être exécutée au bout de tant d'années, à moins que la continuation des troubles n'obligeât de la renouveler.

Ce que dit Montesquieu, chapitre XVI, sur les énonciations en monnoie, n'est pas suffisant. Non seulement il faut y ajouter toujours leur évaluation en valeurs réelles, mais il faut, suivant les cas, faire cette évaluation ou en métal, ou en denrées; et l'évaluation en denrées doit être faite d'après le prix moyen du blé en ́ Europe, du riz en Asie, parceque la denrée qui sert de nourriture principale et habituelle au peuple, est la seule dont on puisse regarder la valeur comme constante; et si la manière de vivre changeoit, il faudroit faire une autre évaluation.

Nous avons dit qu'il y avoit des choses qu'il faut évaluer en métal (1). Tel est l'intérêt d'une somme d'argent prêtée, qui doit toujours être la même partie du poids total; tel est l'intérêt de l'achat d'une maison,

(1) Cette distinction n'est point fondée. Une somme d'argent est une valeur déterminée. Au moment où on la prête, on doit faire en sorte que l'intérêt qu'on en paie, soit toujours la même

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OBSERVATIONS SUR L'ESPRIT DES LOIS.

d'un meuble, etc.; tandis que l'intérêt de l'achat d'une terre doit être évalué en denrées.

Les lois doivent être rédigées suivant un ordre systématique, de manière qu'il soit facile d'en saisir l'ensemble et d'en suivre les détails.

C'est le seul moyen de juger s'il ne s'y est pas glissé de contradictions ou d'omissions, si les questions qui se présentent dans la suite ont été prévues ou non.

C'est le seul moyen de bien voir, lorsqu'une réforme devient nécessaire, sur quelle partie de l'ancienne loi elle doit porter; et alors la réforme doit être faite de manière qu'on puisse, sans altérer l'unité du système de la loi, substituer la loi nouvelle à celle que l'on réforme.

Ces réflexions sont simples: elles ne forment qu'une petite partie de ce qui doit entrer dans un ouvrage sur la manière de composer les lois : elles sont nécessaires, et Montesquieu n'a pas daigné s'en occuper.

portion qu'il a été convenu de donner annuellement de cette valeur, telle qu'elle étoit au moment du prêt. L'emprunteur a pu en acheter tout de suite une valeur égale de biens susceptibles d'accroissement ou de décroissement. (Note de M. de Tracy.)

A MONTESQUIEU,

SUR SON MANUSCRIT

DE L'ESPRIT DES LOIS,

1

Sans date.

J'ai relu jusqu'à trois fois, mon cher président, le manuscrit que vous m'avez fait communiquer. Vous m'aviez vivement intéressé pour cet ouvrage à la Brède. Je n'en connoissois pas l'ensemble. Je ne sais si nos têtes françoises seront assez mûres pour en saisir les grandes beautés; pour moi, elles me ravissent. J'ad

(1) L'on a imprimé dans plusieurs papiers publics que M. Hel vétius, lors du grand succès de l'Esprit des Lois, en avoit témoigné sa surprise à quelques uns de ses amis intimes. Voici l'anecdote telle qu'on la tient de M. Helvétius. Il étoit l'ami du président de Montesquieu, et passoit beaucoup de temps avec lui dans sa terre de la Brède, pendant sa tournée de fermier-général. Dans leurs conversations philosophiques, le président communiquoit à son ami ses travaux sur l'Esprit des Lois. Il lui fit ensuite passer le manuscrit avant de l'envoyer à l'impression. Helvétius, qui aimoit l'auteur autant que la vérité, fut alarmé, en lisant l'ouvrage, des dangers qu'alloit courir la réputation de Montesquieu. Il avoit souvent combattu de vive voix et par lettres des opinions qu'il croyoit d'autant plus dangereuses qu'elles alloient être consacrées en maximes politiques par un des plus beaux génies de la France, et dans un livre étincelant d'esprit et rempli des plus grandes vérités. Sa modestie naturelle et son admiration pour l'auteur des Lettres Persanes le mettant en défiance de son propre jugement, il pria Montesquieu de permettre qu'il commu

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