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un beau sens, et en même tems à sauter avec règle et cadence, tenir leur corps en des postures bienséantes, c'est à dire à danser, on profitera de ce qu'ils font naturellement avec plaisir pour les dresser insensiblement au bien, leur inspirant la vertu par le beau sens des paroles qu'ils chanteront, et par les airs propres à calmer les passions, qui y seront ajustés, et les accoutumant par les danses à bien manier leurs corps, et lui donner les postures et les mouvemens les plus honnêtes; enfin, par tout cet exercice leur donnant de bonne heure le goût des belles choses, on les accoutume à n'imiter que ce qu'il y a de beau dans la nature, et à chercher en tout la raison et la bienséance. Il prétend que dans un état bien réglé on ne devrait rien souffrir, en qui que ce fût, de contraire à ces maximes, qu'il dit avoir été celles des anciens législateurs, et particulièrement des Egyptiens. Donc. pour bien juger de la poésie et de la musique des anciens il faut quitter toutes les idées tristes de nos pères français, et tout ce qu'il reste dans nos mœurs de lá dureté et de la barbarie des peuples du nord. Il ne faut pas croire que ces arts ne soient que des jeux, mais reconnaître qu'ils ont quelque chose de trèsgrand et de très-solide.

Les Hébreux n'ont jamais eu, que nous sachions, des comédies, des tragédies, des poèmes épiques, ni aucune autre espèce de poésie, que Platon appelle poésie d'imitation. Quelques-uns veulent que le can

que

l'on

tique de Salomon soit un poème dramatique, parce y voit parler différens personnages; mais on en voit aussi parler dans les psaumes, et dans tous les autres ouvrages poétiques de l'écriture: il n'y a point de poésie sans cela. De plus, ce cantique n'exprime que des sentimens, et non point une suite d'actions, ce qui semble essentiel à tous les poèmes d'imitation. On ne voit dans l'écriture que des cantiques, des psaumes ou des chansons, comme l'on voudra les nommer, c'est à dire le genre de poésie que Platon dit avoir été la seule ancienne.

En effet, on ne voit point que les Grecs aient emprunté d'ailleurs le poème dramatique ; et tous les poètes qu'ils ont eus en ce genre sont plus nouveaux que la captivité de Babylone.

Pour parler avec ordre de la poésie des Hébreux il faut y considérer les paroles, qui est ce que nous appelons proprement poésie; et l'air ou le chant, que nous appelons musique dans les paroles il y a le sens et l'expression, le dessein et les pensées, les figures, l'élocution, l'harmonie.

:

La matière des poèmes hébreux sont, 1o. les louanges de Dieu, les actions de grâces et les prières : la plupart des prières sont des cantiques d'affliction; 29. les louanges des grands hommes, qui sont toutefois plus rares, et seulement mêlées en quelques lieux avec les louanges de Dieu; 3°. les exhortations à la

vertu, et les préceptes de morale, comme le premier psaume et grand nombre d'autres.

avaient

Les Grecs, dans leur plus grande antiquité, de ces poèmes de morale, comme les élégies de Solon, les vers dorés de Pythagore', ceux de Théognis, de Phocilide, etc. Peut-être les Hébreux avaient-ils aussi quelques chansons profanes; mais il ne nous en paraît rien; et s'ils en avaient, il y a apparence qu'ils les empruntaient des idolâtres, comme le chant sur la mort d'Adonis, que le prophète Ezechiel voyait chanter dans le temple. Chaque cantique, chaque psaume et chaqué ouvrage de poésie a son dessein particulier où tout se rapporte, et qu'il faut connaître si l'on veut entendre l'ouvrage.

Voici ce que nous avons de poésie dans l'écriture: le livre de Job, composé, comme on le croit, par Moyse, dont le dessein est de montrer que Dieu afflige quelquefois les justes, non pour les punir, mais pour les exercer; les Cantiques de Moyse, des prophètes et des autres personnes, rapportés dans les livres historiques ou dans les prophètes; le Psautier, qui est un recueil de 150 pièces composées sur différens sujets et par différentes personnes, la plupart 'de David. S. Jérôme, préface sur Jérémie, semble compter aussi pour poésie les deux autres livres de Salomon, le Cantique des Cantiques, les Lamentations de Jérémie. Il y a encore dans les livres historiques quelques endroits dont le style est poétique, comme

les bénédictions de Jacob, à la fin de la Genèse ; celles de Moyse, à la fin du Deuteronome; la prophétie de Balaam, dont on trouve le style très-conforme à celui de Job; et quelques fragmens, comme ce que Lamech dit à ses femmes après avoir tué Caïn, qui serait (si ma conjecture est véritable) la plus ancienne poésie que nous eussions; comme le passage du Livre des Juges, qui décrit le miracle du soleil, que Josué fit arrêter; et quelques autres endroits que l'on pourrait rechercher plus à loisir.

Quand on lit d'abord les psaumes, ou qu'on les récite sans grande attention, on croit n'y voir que des paroles qui disent toujours la même chose; mais plus on s'y applique, plus on y trouve de différence, plus on y remarque de pensées solides ou délicates. Il n'y a pas une pensée qui n'ait sa figure; et cela avec une telle variété, que les figures changent presque à tous les versets. C'est une des preuves les plus claires du grand art de ceux qui ont composé ces cantiques, car cette variété se trouve dans toutes les bonnes poésies de l'antiquité; mais elle est très-rare dans nos modernes aussi la plupart sont fort ennuyeuses. Ces figures sout fortes, mais naturelles : des interrogations, des apostrophes, des exclamations; tantót c'est le prophète qui parle, tantot Dieu, tantôt les pécheurs.

Il adresse la parole aux choses les plus insensibles, leur donne de l'action et du mouvement. Les comparaisons sont très-fréquentes, toutes tirées des choses

sensibles et familières à ceux pour qui l'on écrivait; d'où vient que quelquefois elles nous paraissent basses à cause de la différence de nos mœurs. Il ne faut pas prétendre que les choses comparées conviennent en tout; la comparaison ne tombe ordinairement que sur un point. Vos dents sont comme des brebis fraîchement tondues qui sortent du lavoir; chacune a deux agneaux, et il n'y en a pas une de stérile: c'est à dire vos dents sont blanches, égales et serrées.

L'élocution est très-différente de la prose : j'ai ouï dire qu'il en est de même des autres orientaux, et cela est certain dans les Grecs: on peut entendre fort bien Démosthène ou Xénophon, et ne point entendre du tout Homère. Le langage des poètes est un autre langage, principalement des lyriques. Il en est de même en hébreu tel qui entend le style historique, ayant lu toute la Genèse, lorsqu'il vient aux bénédictions de Jacob n'y entend plus rien.

Il entendra les premiers et les derniers chapitres de Job; tout le reste sera pour lui comme de l'arabe en français au contraire, il semble que nous élevions autant que nous pouvons la prose à la majesté du style poétique, et que nous abaissions la poésie à la facilité de la prose. Soit qu'ils connussent mieux que nous, ou non, la différence des styles, il est certain qu'ils l'observaient inviolablement. Ils se servent de paroles moins ordinaires; les métaphores sont très-fréquentes et très-hardies; ils sous-entendent beaucoup de mots

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