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La Colonie cosmopolite, ou Asyle hospitalier pour une famille malheureuse de chaque nation de l'univers.

Pour remplir un objet si intéressant, je désirerais que l'on y destinât un vaste emplacement, dans le voisinage de Paris, sur le bord de la Seine, du côté de la mer. On le choisirait dans un terrain inégal, formé de montagnes, de rochers, de ruisseaux, de bruyères, de prairies. On y sèmerait toutes les plantes exotiques déjà naturalisées dans notre climat, ou celles qui peuvent l'être; la grande vesce de Sibérie aux fleurs bleues et blanches, qui donne un abondant pâturage; le trèfle du même pays, qui n'est pas moins fécond; le chanvre de la Chine, qui s'élève comme un arbre, à quinze pieds de hauteur; les différens mils, le gom de la Mingrelie, le blé de Turquie, la rhubarbe de la Tartarie, la garance, etc. On y planterait en différens groupes, les arbres et arbrisseaux étrangers qui ont résisté dans nos jardins à notre dernier hiver; les acacias, les thuyas, les arbres de Judée et de Sainte-Lucie, les sumacs, les sorbiers, les ptéléas, les lilas, les andromédes, les liquidambars, les cyprès, les ébéniers, les amélanchiers, les tulipiers de Virginie, les cèdres du Liban, les peupliers d'Italie et de Hollande, les platanes d'Asie et d'Amérique, etc. Chaque végétal y serait dans le sol et l'exposition qui lui serait le plus convenable. On y ferait contraster le bouleau à feuillage mobile et gai, avec le sapin pyramidal et sombre; le catalpa aux larges feuilles en cœur, qui dresse au ciel ses branches roides comme celles d'un candélabre, avec le saule de Babylone, dont les rameaux traînent à terre comme une longue chevelure; l'acacia, dont les ombres légères jouent avec les rayons du soleil, avec l'épais mûrier de la Chine, qui leur interdit tout passage; le thuya dont les rameaux applatis ressemblent aux feuillures d'un rocher, avec le mélèze qui porte les siens garnis de pinceaux semblables à des houpes de soie. On peuplerait ces bosquets de faisans, de canards de Manille, de poules d'Inde, de paons, de daims, de chevreuils, et de tous les ani

maux innocens qui peuvent supporter notre climat. On verrait dans leurs clairières le cerf léger se promener auprès de la tortue rampante, et sous leurs ombrages, le brillant pivert grimper sur les écorces du sapin, où l'écureuil de Sibérie, au gris de perle argenté, s'élancerait de branche en branche. Le long d'un ruisseau, le cygne voguerait en paix auprès du castor occupé à batir une loge sur son rivage. Beaucoup d'oiseaux seraient attirés dans ces lieux par les végétaux de leur pays, et s'y naturaliseraient comme eux, lorsqu'ils n'auraient rien à redouter des chasseurs.

On diviserait ce terrain en petites portions suffisantes à l'amusement d'une famille, et on les donnerait en toute propriété à des infortunés de toutes les nations, pour leur servir de retraite. On y bâtirait aussi des logemens convenables à leurs besoins, et on leur fournirait de plus, des vivres et des habits, suivant leurs

costumes.

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Quel spectacle plus grand, plus aimable et plus touchant, que de voir sur des montagnes et dans des vallées françaises des arbres de toutes les parties de la terre, des animaux de tous les climats, et des familles malheureuses de toutes les nations, se livrant en liberté à leur goût naturel, et rappelées au bonheur par notre hospitalité! A l'ombre de l'olivier de Bohême ou plutôt de Syrie, dont l'odeur est aimée des Orientaux, un Turc silencieux, échappé au cordon du sérail, fumerait gravement sa pipe; tandis que dans son voisinage, un Grec de l'Archipel, joyeux de n'être plus sous le bâton des Turcs, cultiverait en chantant l'arbrisseau du laudanum. Un Indien du Mexique effeuillerait le coco, sans être forcé par un Espagnol d'aller le boire dans les mines du Pérou ; et près de là, l'Espagnol méditant, lirait tous les livres propres à l'instruire, sans craindre l'inquisition. Le Paria n'y serait point voué à l'infamie par le Brame, et de son côté le Brame n'y serait point opprimé par l'Européen. La justice et l'humanité s'étendraient jusqu'aux animaux. Le sauvage du Canada n'y désirerait point de dépouiller l'ingénieux castor de sa

peau, et aucun ennemi ne souhaiterait à son tour d'enlever au sauvage sa chevelure. Les hommes et les animaux innocens y trouveraient en tous temps des asyles assurés. Un Anglais dans une île semée de rey-gras, s'exerçant à élever des coursiers, ou à construire des barques encore plus légères à la course, se croirait dans sa patrie, tandis qu'un Juif qui n'en a plus, se rappellerait la sienne, et les chants de Jérusalem, sur les bords de la Seine, au pied d'un saule de Babylone; un bateau attaché à un tilleul renfermerait la famille d'un Hollandais, toujours prêt à voguer le long du fleuve pour les besoins de la colonie, et une tente sur des roues, attelée de chameaux, contiendrait celle d'un Tartare errant, qui chercherait, à chaque saison, l'exposition qui lui conviendrait le mieux. Sur la plus haute montagne, un Lapon, sous un bois de sapin, ferait paître en été son troupeau de rennes auprès d'une glacière, tandis qu'au fond de la vallée, au midi, dans les plus rigoureux hivers, un nègre du Sénégal cultiverait, dans une serre, des nopals chargés de cochenille. Beaucoup de plantes et d'animaux qui se refusent à nos éducations, aimeraient à se reproduire entre les mains de leurs compatriotes, et beaucoup de familles étrangères, qui meurent de regret hors de leur patrie, 'se naturaliseraient dans la nôtre, au milieu des plantes et des animaux de leur pays.

Il n'y aurait de chaque nation qu'une seul famille qui la représenterait, pon par son luxe qui excite la cupidité, mais par des infortunes qui sont pour tous les hommes un objet d'intérêt. Ces retraites ne seraient données ni à la naissance, ni à l'argent, ni à l'intrigue, mais au malheur. Parmi les prétendans du même pays, on accorderait la préférence à celui qui aurait éprouvé le plus d'infortunes et qui les aurait le moins méritées. Ils n'auraient d'autres arbitres que les autres habitans du lieu, qui, ayant passé par les mêmes épreuves, seraient leurs pairs et leurs Juges naturels.

En rapprochant toutes ces familles, on affaiblirait entre elles les préjugés et les haines qui divisent leurs nations, et causent la plupart de leurs malbeurs. Au milieu de leurs habitations serait un bois inhabité, formé de tous les arbres étrangers que la nature à naturalisés chez nous, et de ceux qui croissent d'euxmêmes dans nos forêts, tels que les ormes, les peupliers, les chênes, etc. Au centre de ce bois seraient des bocages de tous nos arbres fruitiers, de noyers, de vignes, de pommiers, de poiriers, de châtaigniers, d'abricotiers, de pêchers, de cerisiers, entre-mêlés de champs de blé, de fraisiers et de légumes, qui servent à la nourriture des hommes. Au milieu de ces cultures, terminées par un ruisseau assez escarpé pour servir de barrière aux animaux, serait une vaste pelouse, où paîtraient jour et nuit des troupeaux de vaches, de brebis, de chèvres et de tous les animaux qui sont utiles à l'homme par leur lait, leur laine ou leurs services. Du centre de cette pelouse, s'élèverait un temple en rotonde, ouvert aux quatre parties du monde, sans figures, sans ornement, sans inscriptions et sans portes, comme ceux qui furent élevés dans les premiers temps à l'auteur de la nature. Chaque jour de l'année, chaque famille viendrait tour à tour, au lever et au coucher du soleil, y réciter, dans la langue de ses pères, la prière de l'évangile, qui, s'adressant à Dieu comme au père des hommes, convient aux hommes de toutes les nations. Ainsi, comme la plupart des religions ont consacré à Dieu un jour particulier dans chaque semaine : les Turcs, le vendredi; les Juifs, le samedi; les Chrétiens, le dimanche; les peuples de la Nigritie, le mardi; et sans doute d'autres peuples le lundi, le mercredi, le jeudi; Dieu serait honoré dans ce temple d'un culte solennel chaque jour de la semaine, et dans une langue différente, tous les jours de l'année.

Comme les animaux heureux se rassembleraient sans crainte autour des habitations des hommes, de même les hommes heureux se réuniraient sans intolérance autour du temple de la Divinité. La reconnaissance envers Dieu et envers les hommes, y rap

procherait peu à peu les langues, les costumes et les cultes qui divisent les habitans par toute la terre. La nature y triompherait de la politique ses habitans y offriraient en commun à Dieu les fruits dont il soutient la vie humaine dans nos climats. Comme l'année est un cercle perpétuel de ses bienfaits, et que chaque lune amène ou des feuillages, ou des fruits, ou des légumes nouveaux, chaque lune nouvelle serait l'époque de leurs récoltes, de leurs offrandes et de leurs fêtes principales. Dans ces jours sacrés, toutes les familles se rassembleraient autour du temple pour y prendre en commun des repas innocens avec les racines des plantes, les fruits des arbres, lés blés des gramiuées, et le lait des troupeaux.

Oh! que la France se couvrirait de gloire, si elle ouvrait dans son sein une telle retraite aux infortunés de toutes les nations! Heureux si je pouvais consa→ crer à ce saint établissement les faibles fruits de mes travaux! Heureux si j'y pouvais finir mes jours, ne fût-ce que dans une chaumière, sur quelque crête escarpée de montagne, sous des sapins et des genévriers, mais voyant au loin, sur les côteaux et dans leurs vallons, des hommes jadis divisés de langues, de gouvernemens et de religions, réunis au sein de l'abondance et de la liberté par l'hospitalité française !

Bernardin de Saint-Pierre. Etudes de la Nature.

Les Déserts de l'Arabie Pétrée.

Qu'on se figure un pays sans verdure et sans eau, un soleil brûlant, un ciel toujours sec, des plaines sablonneuses, des montagnes encore plus arides, sur lesquelles l'œil s'étend et le regard se perd, sans pouvoir s'arrêter sur aucun objet vivant; une terre morte, et, pour ainsi dire, écorchée par les vents, laquelle ne présente que des ossemens, des cailloux jonchés, des rochers debout ou renversés; un désert entièrement

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