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découvert, où le voyageur n'a jamais respiré sous l'ombrage, où rien ne l'accompagne, rien ne lui rappelle la nature vivante: solitude absolue, mille fois plus affreuse que celle des forêts; car les arbres sont encore des êtres pour l'homme qui se voit seul plus isoié, plus dénué, plus perdu dans ces lieux vides et sans bornes: il voit partout l'espace comme son tombeau; la lumière du jour, plus triste que l'ombre de la nuit, ne renaît que pour éclairer sa nudité, son impuissance, et pour lui présenter l'horreur de sa situation, en reculant à ses yeux les barrières du vide, en étendant autour de lui l'abîme de l'immensité qui le sépare de la terre habitée; immensité qu'il tenterait en vain de parcourir: car la faim, la soif et la chaleur brûlante pressent tous les instans qui lui restent entre le désespoir et la mort.

Buffon. Histoire du Chameau.

Moyen de connaître les grands effets des variétés
de la Nature.

En

Ce n'est point en se promenant dans nos campagnes cultivées, ni même en parcourant toutes les terres du domaine de l'homme, que l'on peut connaître les grands effets des variétés de la nature; c'est en se transportant des sables brûlans de la zone torride aux glacières des pôles; c'est en descendant du sommet des montagnes au fond des mers; c'est en comparant les déserts avec les déserts que nous les jugerons mieux, et l'admirerons davantage. effet, sous le point de vue de ses sublimes contrastes, et des majestueuses oppositions, elle paraît plus grande en se montrant telle qu'elle est. Nous avons ci-devant peint les déserts arides de l'Arabie Pétrée ; ces solitudes nues où l'homme n'a jamais respiré sous P'ombrage, où la terre, sans verdure, n'offre aucune subsistance aux animaux, aux oiseaux, aux insectes, où tout paraît mort, parce que rien ne peut naître, et que l'élément nécessaire au développement des germes de tout être vivant ou végétant, loin d'arro

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ser la terre par des ruisseaux d'eau vive, ou de la pénétrer par des pluies fécondes, ne peut même l'humecter d'une simple rosée. Opposons ce tableau d'une sécheresse absolue dans une terre trop ancienne à celui des vastes plaines de fange, des savannes noyées du nouveau continent; nous y verrons par excès ce que l'autre n'offrait que par défaut; des fleuves d'une largeur immense,. tels que l'Amazone, la Plata, l'Orénoque, roulant à grands flots leurs vagues écumantes, et se débordant en toute liberté, semblent menacer la terre d'un envahissement, et faire effort pour l'occuper toute entière. Des eaux stagnantes et répandues près et loin de leur cours, couvrent le limon vaseux qu'elles ont déposé ; et ces vastes maréeages exhalant leurs vapeurs en brouillards fétides, communiqueraient à l'air l'infection de la terre, si bientôt elles ne retombaient en pluies précipitées par les orages, ou dispersées par les vents. Et ces plages, alternativement sèches et noyées, où la terre et l'eau semblent se disputer des possessions illimitées ; et ces broussailles de manglés jetées sur les confins indécis de ces deux élémens, ne sont peuplées que d'animaux immondes qui pullulent dans ces repaires, cloaques de la nature, où tout retrace l'image des déjections monstrueuses de l'antique limon. Les énormes serpens traçent de larges sillons sur cette terre bourbeuse, les crocodiles, les crapauds, les lézards, et mille autres reptiles à larges pates en pétrissent la fange; des millions d'insectes enflés par la chaleur humide en soulèvent la vase, et tout ce peuple impur rampant sur le limon ou bourdonnant dans l'air qu'il obscurcit encore, toute cette vermine dont fourmille la terre, attire de nombreuses cohortes d'oiseaux ravisseurs dont les cris confus, multipliés et mêlés aux coassemens des reptiles, en troublant le silence de ces affreux déserts, semblent ajouter la crainte à l'horreur, pour en écarter l'homme et en interdire l'entrée aux autres êtres sensibles; terres d'ailleurs impraticables, encore informes, et qui ne serviraient qu'à lui rappeler l'idée de ces temps voisins du premier chaos où les élémens n'étaient pas

séparés, où la terre et l'eau ne faisaient qu'une masse commune, et où les espèces vivantes n'avaient pas encore trouvé leur place dans les différens districts de la nature. Le même. Oiseaux; Kamichi.

Le Chien pour

l'Homme sauvage, et la première
Cabane.

Cependant, au milieu de ces bois voisins des eaux, et dont les grottes naturelles sont encore l'habitation de l'espèce humaine, un animal doué d'un odorat exquis, d'une vue perçante, d'un instinct supérieur, d'un naturel aimant, courageux pour les objets qui lui sont chers, timide pour ses propres besoins, avide d'un secours étranger, réclamant sans cesse un appui, se livrant sans réserve, modifiant ses habitudes par affection, docile par sentiment, supportant même l'ingratitude, oubliant tout, excepté les bienfaits, et fidèle jusqu'au trépas, s'attache à l'homme, se dévoue à le servir, lui abandonne véritablement tout son être, et par cette alliance volontaire et durable, lui donne le sceptre du monde. Jusqu'à ce moment l'homme n'avait pu repousser, poursuivre, mettre à mort tous les animaux: maintenant il va les régir. Aidé du Chien, son nouveau, son infatigable compagnon, il réunit autour de lui la chèvre, la brebis, la vache; il forme des troupeaux, il acquiert dans le lait un aliment salubre et abondant; la houlette remplace la hache et la massue: il devient pasteur.

N'étant plus condamné à des courses lointaines, il cherche à embellir la grotte dont il n'est plus contraint de s'éloigner si fréquemment. Son cœur apprend à goûter les charmés d'un paysage, à préférer un séjour riant, à attacher des souvenirs touchans à la forêt silencieuse, à la verte prairie, au rivage fleuri; il a façonné le bois pour l'attaque et la défense, il va le façonner pour le plaisir ; et, toujours guidé par sentiment, entouré de sa compagne, de ses enfans, de son Chien fidèle, il rapproche des branches souples, en entrelace les rameaux, les couvre de larges feuilles,

le

les élève sur des tiges préparées, et, environnant d'épais feuillages et d'arbrisseaux flexibles cette enceinte si chère, cet asyle, qu'il consacre à tout ce qu'il aîme, il construit la première Cabane, et l'éternel modèle de la plus pure architecture est dû à la tendresse.

Lacepède. Disc. d'ouv. du Cours d'Hist. Nat. an 6.

Le Chien.

Le Chien fidèle à l'homme conservera toujours une portion de l'empire, un degré de supériorité sur les autres animaux, il leur commande, il règne lui-même à la tête d'un troupeau, il s'y fait mieux entendre que la voix du berger; la sûreté, l'ordre et la discipline sont le fruit de sa vigilance et de son activité ; c'est un peuple qui lui est soumis, qu'il conduit, qu'il protège, et contre lequel il n'emploie jamais la force, que pour y maintenir la paix. Mais c'est surtout à la guerre, c'est contre les animaux ennemis ou indépendans, qu'éclate son courage et que son intelligence se déploie toute entière. Les talens naturels se réunissent ici aux qualités acquises. Dès que le bruit des armes se fait entendre, dès que le son du cor ou la voix du chasseur a donné le signal d'une guerre prochaine, brûlant d'une ardeur nouvelle, le Chien marque sa joie par les plus vifs transports, il annonce par ses mouvemens et par ses cris l'impatience de combattre et le désir de vaincre; marchant ensuite en silence, il cherche à reconnaître le pays, à découvrir, à surprendre l'ennemi dans son fort; il recherche ses traces, il les suit pas à pas, et par des accens différens indique les temps, la distance, l'espèce, et même l'âge de celui qu'il poursuit.

Le Chien, indépendamment de la beauté de sa forme, de la vivacité, de la force, de la légèreté, a par excellence toutes les qualités intérieures que peuvent lui attirer les regards de l'homme. Un naturel ardent, colère, même féroce et sanguinaire,

rend le Chien sauvage, redoutable à tous les animaux, et cède, dans le Chien domestique, aux sentimens les plus doux, au plaisir de s'attacher et au désir de plaire; il vient en rampant mettre aux pieds de son maître son courage, sa force, ses talens; il attend ses ordres pour en faire usage; il le consulte, il l'interroge, il le supplie; un coup d'œil suffit, il entend les signes de sa volonté ; sans avoir comme l'homme la lumière de la pensée, il a toute la chaleur du sentiment, il a de plus que lui la fidélité, la constance dans ses affections; nulle ambition, nul intérêt, nul désir de vengeance, nulle crainte que celle de déplaire; il est tout zèle, toute ardeur et toute obéissance; plus sensible au souvenir des bienfaits qu'à celui des outrages, il ne se rebute pas par les mauvais traitemens, il les subit, les oublie, ou ne s'en souvient que pour s'attacher davantage; loin de s'irriter ou de fuir, il s'expose de lui-même à de nouvelles épreuves, il lèche cette main, instrument de douleur qui vient de le frapper, il ne lui oppose que la plainte, et la désarme enfin par la patience et la soumission.

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Buffon. Quadrupèdes.

Le Cheval.

La plus noble conquête que l'homme ait jamais faite, est celle de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats aussi intrépide que son maître, le Cheval voit le péril et l'affronte; il se fait au bruit des armes, il l'aime, il le cherche, et s'anime de la même ardeur. Il partage aussi ses plaisirs à la chasse, aux tournois, à la course, il brille, il étincelle. Mais docile autant que courageux, il ne se laisse point emporter à son feu ; il sait réprimer ses mouvemens : non-seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs ; et, obéissant toujours aux impressions qu'il en reçoit, il se précipite, se modère ou s'arrête, et n'agit que pour y satisfaire. C'est une créature qui renonce à son être

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