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mes ? les citoyens vertueux, dans quelque état qu'ils soient nés, dans quelque intervalle de temps qu'ils puissent naître.

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"Heureuse leur patrie, si, aux vertus dont elle s'honore, ils ne joignaient pas une indulgence qui concourt à sa perte! Ecoutez ma voix à votre tour, vous qui, de siècle en siècle, perpétuez la race des hommes préoieux à l'humanité. J'ai établi des lois contre les 'crimes; je n'en ai point décerné contre les vices, parce que ma vengeance ne peut être qu'entre vos mains, et que vous seuls pouvez les poursuivre par une haine vigoureuse. Loin de la contenir dans le silence, il faut que votre indignation tombe en éclats sur la licence qui détruit les mœurs, sur les violences, les injustices et les perfidies qui se dérobent à la vigilance des lois, sur la fausse probité, la fausse modestie, la fausse amitié et toutes ces viles impostures qui surprennent l'estime des hommes ; et ne dites pas que les temps sont changés, et qu'il faut avoir plus de ménagemens pour le crèdit des coupa-, bles une vertu sans ressources est une vertu sans principes; dès qu'elle ne frémit pas à l'aspect des vices, elle en est souillée.

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Songez qu'elle ardeur s'emparerait de vous, si tout à coup on vous annonçait que l'ennemi prend les armes, qu'il est sur vos frontières, qu'il est à vos portes. Ce n'est pas là qu'il se trouve aujourd'hui ; il est au milieu de vous, dans le sénat, dans les assemblées de la nation, dans les tribunaux, dans vos maisons. Ses progrès sont si rapides, qu'à moins que les Dieux ou les gens de bien n'arrêtent ses entreprises, il faudra bientôt renoncer à tout espoir de réforme et de salut."

Si nous étions sensibles aux reproches que nous venons d'entendre, la société, devenue par notre excessive condescendance un champ abandonné aux tigres et aux serpens, serait le séjour de la paix et du bonheur. Ne nous flattons pas de voir un pareil changement beaucoup de citoyens ont des vertus; rien de si rare qu'un homme vertueux, parce que, pour l'être en effet, il faut avoir le courage d'être dans tous les

temps, dans toutes les circonstances, malgré tous les obstacles, au mépris des plus grands intérêts.

Mais si les âmes honnêtes ne peuvent pas se confédérer contre les hommes faux et pervers, qu'elles se liguent du moins en faveur des gens de bien; qu'elles se pénètrent surtout de cet esprit d'humanité qui est dans la nature, et qu'il serait temps de restituer à la société, d'où nos préjugés et nos passions l'ont banni. Il nous apprendrait à n'être pas toujours en guerre les uns avec les autres, à ne pas confondre la légèreté de l'esprit avec la méchanceté du cœur, à pardonner les défauts, à éloigner de nous ces préventions et ces défiances, sources funestes de tant de dissensions et de haines. Il nous apprendrait aussi que la bienfaisance s'annonce moins par une protection distinguée et des libéralités éclatantes, que par le sentiment qui nous intéresse aux malheureux.

Vous voyez tous les jours des citoyens qui gémissent dans l'infortune, d'autres qui n'ont besoin que d'un mot de consolation, et d'un cœur qui se pénètre de leurs peines; et vous demandez si vous pouvez être utiles aux hommes, et vous demandez si la nature nous a donné des compensations pour les maux dont elle nous afflige! Ah! si vous saviez quelles douceurs elle répand dans les âmes qui suivent ses inspirations! Si jamais vous arrachez un homme de bien à l'indigence, au trépas, au déshonneur, j'en prends à témoin les émotions que vous éprouverez; vous verrez alors qu'il est dans la vie des momens d'attendrissement qui rachètent des années de peines. C'est alors que vous aurez pitié de ceux qui s'alarmeront de vos succès, ou qui les oublieront après en avoir recueilli le fruit.

Ne craignez point les envieux ils trouveront leur supplice dans la dureté de leur caractère; car l'envie est une rouille qui ronge le fer. Ne craignez pas la présence des ingrats ; ils fuiront la vôtre, ou plutôt ils la rechercheront, si le bienfait qu'ils ont reçu de vous, fut accompagné et suivi de l'estime et de l'intérêt; car si vous avez abusé de la supériorité qu'il vous donne, vous êtes coupable, et votre protégé n'est qu'à plaindre. On a dit quelque

fois celui qui rend un service doit l'oublier; celui qui le reçoit, s'en souvenir; et moi je vous dis que lé second s'en souviendra, si le premier l'oublie. Et qu'importe que je me trompe? Est-ce par intérêt qu'on doit faire le bien ?

Le même.

L'Amitié.

Passion sublime, sentiment des grandes âmes, bonheur du Monde, devant lequel tous les maux disparaissent ou s'affaiblissent, et tous les biens s'embellissent et s'accroissent: ô divine Amitié! ton nom seul me rappelle tous les charmes de ma vie. Passion héroïque, dont le feu toujours pur est allumé par le sentiment, et animé par l'intelligence; vertu consolatrice que le souverain Etre a accordée à l'homme pour le dédommager des suites funestes d'une raison égarée; sentiment bienfaisant, sans lequel il ne pent exister aucun bien pour nous; car, qu'est-ce qu'un bien dont on ne peut parler à son ami? Vertu céleste dont le nom a été si souvent prostitué, dont l'image a été si souvent altérée, que les mortels adorent, même lorsqu'ils l'ignorent; passion généreuse et sublime qui ennoblit tout notre être, et qui ne nous fait vivre que pour l'ami que notre cœur a choisi! c'est toi que nous avons maintenant à peindre.

Jamais celui dont le cœur est brûlé par les douces flammes de la sainte Amitié, n'éprouva un sentiment si vif que lorsque l'ami qu'il chérit a le plus besoin de son secours; il le suit au milieu de l'infortune la plus cruelle; il s'attache à lui pour ne jamais s'en séparer les froideurs même de celui qu'il a choisi, ; ne peuvent éteindre le feu céleste dont il est embrasé; il l'aime même ingrat, même infidèle aux saintes lois de l'Amitié; il le plaint, il lui pardonne tous les maux qu'il en reçoit, il en est désolé, mais il ne l'en chérit pas moins, il immole_tout son bonheur au sien: il veut mourir pour son Oreste, et consent qu'il l'ignore. Son âme se confond avec celle

Aux Ecrivains: Respect de la Vérité.

Il est temps de respecter la Vérité. Il y a deux mille ans que l'on écrit, et deux mille ans que l'on flatte. Poètes, orateurs, historiens, tout a été complice de ce crime. Il y a peu d'Ecrivains pour qui l'on n'ait à rougir; il n'y à presque pas un livre où il n'y ait des mensonges à effacer. Les quatre Siècles des Arts, monumens de génie, sont aussi des monumens de bassesse. Qu'il en naisse un cinquième, et qu'il soit celui de la vérité. La flatterie, dans tous les siècles, l'a bannie des Cours; la mollesse de nos mœurs la bannit de nos sociétés, l'effroi la repousse de nos cœurs quand elle y veut descendre. O Ecrivains! qu'elle ait un asile dans vos ouvrages; que chacun de vous fasse le serment de ne jamais flatter, de ne jamais tromper. Avant de louer un homme, interrogez sa vie ; avant de louer la puissance, interrogez votre cœur. Si vous espérez, si vous craignez, vous serez vils. Etes-vous destinés par vos talens à la renommée? Songez que chaque ligne que vous écrivez ne s'effacera plus; montrez-la donc d'avance à la postérité qui vous lira, et tremblez qu'après avoir lu, elle ne détourne son regard avec mépris. Non, le génie n'est pas fait pour trafiquer du mensonge avec la fortune; il a dans son cœur je ne sais quoi qui s'indigne d'une faiblesse, et sa grandeur ne peut s'avilir sans remords. Juger de tout, apprécier la vie, peser la crainte et l'espérance, voir et l'intérêt des hommes, et l'intérêt des sociétés, s'instruire par les siècles et instruire le sien, distribuer sur la terre et la gloire et la honte, et faire ce partage comme Dieu et la conscience le feraient, voilà sa fonction ; que chacune de ses paroles soient sacrées, que son silence même inspire le respect et ressemble quelquefois à la justice. Un conquérant qui aimait la gloire, mais plus avide de renommée que juste, s'étonnait de ce qu'un homme vertueux, et que tout le peuple respectait, ne parlait jamais de lui. Il le manda. "Pourquoi, dit-il, les hommes les plus sages "de mon Empire se taisent-ils sur mes conquêtes?"

"Prince, dit le vieillard, les sages des siècles suivans "le diront à la postérité;" et il se retira.

Thomas. Essais sur les Eloges.

Le véritable Homme de Lettres, l'Homme de Lettres citoyen.

Quel état que celui où, par devoir, on doit être toujours l'interprète de la morale et de la vertu! Mais pour être digne de la peindre, il faut la sentir. Le véritable, Homme de Lettres ne se bornera donc point à enseigner la vertu dans ses écrits; on ne verra point ses mœurs contredire ses ouvrages, et lorsqu'un sentiment honnête viendra s'offrir sous sa plume, il ne le repoussera point comme un accusateur. Heureux si, dans la douceur de la vie domestique, il peut épurer son âme ! Heureux si sa maison est le sanctuaire de la nature! si tous les jours il peut aimer ce qu'il honore! si tous les jours, il peut serrer dans ses bras un père, une mère qui répondent à ses caresses, et dont la vieillesse adorée n'offre, aux yeux du fils qui la contemple, que l'image des vertus et le souvenir attendrissant des bienfaits! Dans le monde, simple et sans faste, aussi éloigné de la fausseté que de la rudesse, il parlera aux hommes sans les flatter, comme sans les craindre. Il ne séparera point le respect qu'il doit aux titres, du respect que tout homme se doit. Il sait que la dignité des rangs est à un petit nombre de citoyens, mais que la dignité de l'âme est à tout le monde; que la première dégrade l'homme qui n'a qu'elle; que la seconde élève l'homme à qui tout le reste manque. Si la fortune lui donne un bienfaiteur, il remerciera le Ciel d'avoir un devoir de plus à remplir. A ses ennemis, il opposera le courage et la douceur; à l'envie, le développement de ses talens; à la satire, le silence; aux calomniateurs, sa vertu. La vertu, dans. un cœur noble, se nourrit par la liberté. Il sera donc libre, et sa liberté sera de n'obéir qu'à l'honneur, de ne craindre que les lois. Jouirait-il de cette indé

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