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fils, mon cher fils! toi-même qui jouis maintenant d'une jeunesse si vive et si féconde en plaisirs, souviens-toi que ce bel âge n'est qu'une fleur qui sera presque aussitôt séchée qu'éclose: tu te verras changer insensiblement; les grâces riantes, les doux plaisirs qui t'accompagnent, la force, la santé, la joie, s'évanouiront comme un beau songe; il ne t'en restera qu'un triste souvenir; la vieillesse languissante et ennemie des plaisirs viendra rider ton visage, courber ton corps, affaiblir tes membres, faire tarir dans ton cœur la source de la joie, te dégoûter du Présent, te faire craindre l'Avenir, te rendre insensible à tout, excepté à la douleur. Ce temps te paraît éloigné. Hélas! tu te trompes, mon fils; il se hâte, le voilà qui arrive : ce qui vient avec tant de rapidité n'est pas loin de toi, et le Présent qui s'enfuit est déjà bien loin, puisqu'il s'anéantit dans le moment que nous parlons, et ne peut plus se rapprocher. Ne compte donc jamais, mon fils, sur le Présent; mais soutiens-toi dans le sentier rude et âpre de la vertu, par la vue de l'Avenir. Prépare-toi, par des mœurs pures et par l'amour de la justice, une place dans l'heureux séjour de la paix.

Fénélon. Télémaque, chap. 19.

La Mort.

O Mort! Mort que l'on redoute, et qui seule donnes le repos! tu ne serais pas un malheur, si toujours tu frappais ensemble les amis fidèles, les tendres ammans! Cesser d'exister n'est rien, se quitter est le plus grand des maux. Il n'est pas à plaindre celui qui, vers la fin ou dès les premiers pas d'une glorieuse carrière, tombe et s'endort content de lui-même; mais son amante, mais son ami, qui demeurent avec sa cendre, qui ne conservent de la vie que la faculté de souffrir : voilà les vrais infortunés; voilà ceux qui méritent nos larmes. Inutile, étranger au monde, semblable au triste voyageur isolé dans des régions lointaines, ceTui qui survit à l'objet qu'il aime, se croit au milieu

d'un peuple sauvage; il parle, et n'est point entendu; on lui parle, il ne peut répondre. La langue des indifférens est inconnue à son cœur; les hommes qu'il voit, ne sont pas ses frères, ils ne pleurent pas comme lui. Inaccessible aux émotions douces, même à celles de la vertu, il ne la regarde que comme un devoir, il ne se souvient plus qu'elle est un plaisir. Seul, isolé dans l'univers, il erre en un désert immense, où rien n'intéresse sa vue, où ses yeux fatigués, éteints, cherchent seulement un tombeau. C'est là qu'il adresse ses pas, c'est là qu'il brûle de descendre, et le tombeau s'éloigne sans cesse.

Florian. Gonzalve de Cordoue, liv. 8.

Même sujet.

Pourquoi craindre la Mort, si l'on a assez bien vécu pour n'en pas craindre les suites? Pourquoi redouter cet instant, puisqu'il est préparé par une infinité d'autres instans du même ordre, puisque la Mort est aussi naturelle que la vie, et que l'une et l'autre nous arrivent de la même façon, sans que nous le sentions, sans que nous puissions nous en apercevoir ? Qu'on interroge les hommes accoutumés à observer les actions des mourans, et à recueillir leurs derniers sentimens ; ils conviendront qu'à l'exception d'un très petit nombre de maladies aiguës, où l'agitation, causée par des mouvemens convulsifs, semble indiquer les souffrances du malade, dans toutes les autres on meurt tranquillement, doucement et sans douleurs; et même ces terribles agonies effraient plus les spectateurs qu'elles ne tourmentent les malades; car combien n'en a-t-on pas vus qui, après avoir été à cette dernière extrémité, n'avaient aucun souvenir de ce qui s'était passé, non plus que de ce qu'ils avaient senti! Ils avaient réellement cessé d'être pour eux pendant ce temps, puisqu'ils sont obligés de rayer du nombre de leurs jours tous ceux qu'ils ont passés dans cet état, duquel il ne leur reste aucune idée,

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La plupart des hommes meurent donc sans le BaSITY voir, et sur le petit nombre de ceux qui conservent de la connaissance jusqu'au dernier soupir, il ne s'en trouve peut-être pas un qui ne conserve en même temps de l'espérance, et qui ne se flatte d'un retour vers la vie. La nature a, pour le bonheur de l'homme, rendu ce sentiment plus fort que la raison. Un malade dont le mal est incurable, qui peut juger son état par des exemples fréquens et familiers, qui en est averti par les mouvemens inquiets de sa famille, par les larmes de ses amis, par la contenance ou l'abandon des médecins, n'en est pas plus convaincu qu'il touche à sa dernière heure ; l'intérêt est si grand qu'on ne s'en rapporte qu'à soi; on n'en croit pas les jugemens des autres, on les regarde comme des alarmes peu fondées; tant qu'on se sent, et qu'on pense, on ne réfléchit, on ne raisonne que pour soi, et tout est mort, que l'espérance vit encore.

Jetez les yeux sur un malade qui vous aura dit cent fois qu'il se sent attaqué à mort, qu'il voit bien qu'il ne peut pas en revenir, qu'il est prêt à expirer; examinez ce qui se passe sur son visage, lorsque par zèle ou par indiscrétion, quelqu'un vient à lui annoncer que sa fin est prochaine en effet; vous le verrez changer comme celui d'un homme auquel on annonce une nouvelle imprévue; ce malade ne croit donc pas ce qu'il dit lui-même : tant il est vrai qu'il n'est nullement convaincu qu'il doit mourir! il a seulement quelque doute, quelque inquiétude sur son état; mais il craint toujours beaucoup moins qu'il n'espère, et si l'on ne réveillait pas ses frayeurs par ces tristes soins et cet appareil lugubre qui devancent la Mort, il ne la verrait point arriver.

La Mort n'est donc pas une chose aussi terrible que nous nous l'imaginons; nous la jugeons mal de loin; c'est un spectre qui nous épouvante à une certaine distance, et qui disparaît lorsqu'on vient à en approcher de près; nous n'en avons donc que des notions fausses; nous la regardons non-seulement comme le plus grand malheur, mais encore comme un mal accompagné de la plus vive douleur et des

plus pénibles angoisses; nous avons même cherché à grossir dans notre imagination ces funestes images, et à augmenter nos craintes en raisonnant sur la nature de la douleur. Elle doit être extrême, a-t-on dit, lorsque l'âme se sépare du corps; elle peut aussi être de très longue durée, puisque, le temps n'ayant d'autre mesure que la succession de nos idées, un instant de douleur très vive, pendant lequel ces idées se succèdent avec une rapidité proportionnée à la violence du mal, peut nous paraître plus long qu'un. siècle pendant lequel elles coulent lentement et relativement aux sentimens tranquilles qui nous affectent ordinairement. Quel abus de la philosophie dans ce raisonnement! Il ne mériterait pas d'être relevé, s'il était sans conséquence, mais il influe sur le malheur du genre humain. Il rend l'aspect de la Mort mille fois plus affreux qu'il ne peut être; et n'y eût-il qu'un très petit nombre de gens trompés par. l'apparence spécieuse de ces idées, il serait toujours utile de les détruire et d'en faire voir la fausseté.

Lorsque l'âme vient à s'unir à notre corps, avonsnous un plaisir excessif, une joie vive et prompte qui nous transporte et nous ravisse? Non, cette union se fait sans que nous nous en apercevions; la désunion doit s'en faire de même, sans exciter aucun sentiment. Quelle raison a-t-on pour croire que la séparation de l'âme et du corps ne puisse se faire sans une douleur extrême? Quelle cause peut produire cette douleur, ou l'occasionner? La fera-t-on résider dans l'âme ou dans le corps? La douleur de l'âme ne peut être produite que par la pensée; celle du corps est toujours proportionnée à sa force et à sa faiblesse dans l'instant de la Mort naturelle, le corps est plus faible que jamais; il ne peut donc éprouver qu'une très petite douleur, si même il en éprouve aucune.

Buffon. Histoire de l'Homme.

La Retraite, essentielle au Travail.

Eh! quel homme de talent n'en a pas fait l'expérience? C'est dans des antres solitaires qu'Appollon rendait autrefois ses oracles. Ses prêtres criaient qu'on écartât les profanes au moment où ils allaient recevoir le Dieu. Ainsi l'orateur, le poète, le grand écrivain, s'il attend et sollicite l'inspiration, fuit, loin du séjour des villes, vers les demeures retirées et champêtres. A mesure qu'il s'en approche, les vaines rumeurs, les bruyantes frivolités, les tumultueuses distractions, les clameurs orageuses se perdent dans le lointain. Il semble que tout se taise autour de lui, et dans ce silence universel s'élève la voix du génie qui va se faire entendre au monde. Auparavant, il était gêné dans la foule; sa marche était contrainte, son langage timide; à présent ses liens sont brisés; il relève la vue, son regard est fixe et assuré. Il est venu se placer à sa hauteur; il est seul, et la pensée alors sort indépendante et fière de l'âme qui l'a conçue. L'âme est rappelée à sa liberté originelle par le grand spectacle de la nature. L'immensité des campagnes, la sombre solitude des forêts et des rochers, la tempête de la nuit, le silence du matin, voilà les alimens de l'enthousiasme et les témoins du génie dans ses momers de création.

La Harpe. Discours de réception à l'Acad. Franç.

Les Plaisirs naturels et l'Indépendance de la Vie champêtre, opposés aux Plaisirs factices et à la servitude des villes.

Euthymène nous parlait avec plaisir des travaux de la campagne, avec transport des agrémens de la Vie champêtre.

Un soir, assis à table devant sa maison, sous de superbes platanes qui se courbaient au-dessus de nos têtes, il nous disait: "Quand je me promène dans mon champ, tout rit, tout s'embellit à mes yeux. Ces moissons, ces arbres, ces plantes, n'existent que pour moi,

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