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tables des Grecs; mais Diomède se retire à l'aspect de l'armée Troyenne; Ajax ne cède qu'après l'avoir repoussée plusieurs fois; Achille se montre, et elle disparait. Barthélemy. Voyage d'Anarcharsis.

Simonide.

Simonide était poète et philosophe. L'heureuse réunion de ces qualités rendit ses talens plus utiles, et sa sagesse plus aimable. Son style, plein de douceur, est simple, harmonieux, admirable pour le choix et l'arrangement des mots. Il chanta les louanges des Dieux, les victoires des Grecs sur les Perses, les triomphes des athletes dans nos jeux. Il décrivit en vers les règnes de Cambyse et de Darius, s'exerça dans presque tous les genres de poésie, et réussit principalement dans les élégies et les chants plaintifs. Personne n'a mieux connu l'art sublime et délicieux d'intéresser et d'attendrir; personne n'a peint avec plus de vérité les situations et les infortunes qui excitent la pitié ; ce n'est pas lui qu'on entend, ce sont des cris et des sanglots, c'est une famille désolée qui pleure la mort d'un père ou d'un fils; c'est Danaé, c'est une mère tendre qui lutte avec son fils contre la fureur des flots, qui voit mille gouffres ouverts à ses côtés, qui ressent mille morts dans son cœur. Achille enfin qui sort du fond du tombeau, et qui annonce aux Grecs, prêts à quitter les rivages d'Ilium, les maux sans nombre que le ciel et la mer leur préparent. Le même.

Eschyle.

Eschyle reçut des mains de Phrynicus, disciple de Thespis, la tragédie dans l'enfance, enveloppée d'un vêtement grossier, le visage couvert de fausses couleurs, ou d'un masque sans caractère, n'ayant ni grâces ni dignité dans ses mouvemens; inspirant le désir de l'intérêt qu'elle remuait à peine, éprise encore des farces et des facéties qui avaient amusé ses premières années, s'exprimant quelquefois avec élégance et dignité, sou

vent dans un style faible, rampant, et souillé d'obscénités grossières.

Le père de la tragédie, car c'est le nom qu'on peut donner à ce grand homme, avait reçu de la nature une âme forte et ardente. Son silence et sa gravité annonçaient l'austérité de son caractère. Dans les batailles de Marathon, de Salamine et de Platée, où tant d'Athéniens se distinguèrent par leur valeur, il fit remarquer la sienne. Il s'était nourri, dès sa plus tendre jeunesse, de ces poètes qui, voisins des temps héroïques, concevaient d'aussi grandes idées qu'on faisait alors de grandes choses. L'histoire des siècles reculés offrait à son imagination vive des succès et des revers éclatants, des trônes ensanglantés, des passions impétueuses et dévorantes, des vertus sublimes, des crimes et des vengeances, partout l'empreinte de la grandeur, et souvent celle de la férocité.

Dans quelques-unes de ses pièces, l'exposition du sujet a trop d'étendue; dans d'autres, elle n'a pas assez de clarté : quoiqu'il péche souvent contre les règles qu'on a depuis établies, il les a presque toutes en

trevues.

On peut dire d'Eschyle, ce qu'il dit lui-même du Héros Hippomédon: "L'épouvante marche devant lui, la tête élevée jusqu'aux cieux." Il inspire par-tout une terreur profonde et salutaire; car il n'accable notre âme par des secousses violentes, que pour la relever aussitôt par l'idée qu'il lui donne de sa force. Ses héros aiment mieux être écrasés par la foudre que de faire une bassesse, et leur courage est plus inflexible que la loi fatale de la nécessité. Cependant il savait mettre des bornes aux émotions qu'il était si jaloux d'exciter; il évita toujours d'ensanglanter la scène, parce que ses tableaux devaient être effrayants sans être horribles.

Ce n'est que rarement qu'il fait couler des larmes, et qu'il excite la pitié, soit que la nature lui eût refusé cette douce sensibilité qui a besoin de se communiquer aux autres, soit plutôt qu'il craignît de les amollir. Jamais il n'eût exposé sur la scène des Phèdre et des Sthénobée ; jamais il n'a peint les douceurs

et les fureurs de l'amour; il ne voyait dans les différens accès de cette passion que des faiblesses ou des crimes d'un dangereux exemple pour les mœurs, et il voulait qu'on fût forcé d'estimer ceux qu'on est forcé de plaindre.

Ses plans sont d'un extrême simplicité. Il négligeait ou ne connaissait pas assez l'art de sauver les invraisemblances, de nouer ou de dénouer une action, d'en lier étroitement les différentes parties, de la presser ou de la suspendre par des reconnaissances et par d'autres accidents imprévus: il n'intéresse quelquefois que par le récit des faits et par la vivacité du dialogue; d'autres fois, que par la force du style, ou par la terreur du spectacle. Il paraît qu'il regardait l'unité d'action et de temps comme essentielle, celle de lieu comme moins nécessaire.

Le caractère et les mœurs de ses personnages sont convenables et se démentent rarement. Il choisit pour l'ordinaire ses modèles dans les temps héroïques, et les soutient à l'élévation où Homère avait placé les siens. Il se plait à peindre des âmes vigoureuses, franches, supérieures à la crainte, dévouées à la patrie, insatiables de gloire et de combats, plus grandes qu'elles ne sont aujourd'hui, telles qu'il en voulait former pour la défense de la Grèce; car il écrivait dans le temps de la guerre des Perses.

Il règne, dans quelques-uns de ses ouvrages, une obscurité qui provient, nonseulement de son extrême précision, et de la hardiesse de ses figures, mais encore des termes nouveaux dont il affecte d'enrichir ou de hérisser son style. Eschyle ne voulait pas que ses héros s'exprimassent comme le commun des hommes; leur élocution devait être au-dessus du langage vulgaire; elle est souvent au-dessus du langage connu. Pour fortifier sa diction, des mots volumineux, et durement construits des débris de quelques autres, s'élèvent du milieu de la phrase, comme ces tours superbes qui dominent sur les remparts d'une ville.

L'éloquence d'Eschyle était trop forte pour l'assujettir aux recherches de l'élégance, de l'harmonie et de la correction; son essor trop audacieux, pour

ne pas l'exposer à des écarts et à des chutes. C'est un style en général noble et sublime : en certains endroits, grand avec excès, et pompeux jusqu'à l'enflure; quelquefois méconnaissable et révoltant par des comparaisons ignobles, des jeux de mots puérils, et d'autres vices qui sont communs à cet auteur, avec ceux qui ont plus de génie que de goût. Malgré ses défauts, il mérite un rang très-distingué parmi les plus célèbres poètes de la Grèce. Le même.

Sophocle.

Sophocle naquit 27 ans environ après la naissance d'Eschyle, environ 14 ans avant celle d'Euripide.

Je ne dirai point qu'après la bataille de Salamine, placé à la tête d'un chœur de jeunes gens, qui faisaient entendre, autour d'un trophée, des chants de victoire, il attira tous les regards par la beauté de sa figure, et tous les suffrages par les sons de sa lyre; qu'en différentes occasions on lui confia des emplois importans, soit civils, soit militaires; qu'à l'âge de 80 ans, accusé par un fils ingrat de n'être plus en état de conduire les affaires de sa maison, il se contenta de lire à l'audience l'Edipe à Colonne qu'il venait de terminer; que les juges indignés lui conservèrent ses droits, et que tous les assistans le conduisirent en triomphe chez lui; qu'il mourut à l'âge de 91 ans, après avoir joui d'une gloire dont l'éclat augmente de jour en jour. Ces détails honorables ne l'honoreraient pas assez; mais je dirai que la douceur de son caractère et les grâces de son esprit lui acquirent un grand nombre d'amis qu'il conserva toute sa vie; qu'il résista sans faste et sans regret à l'empressement des Rois qui cherchaient à l'attirer auprès d'eux; que si, dans l'âge des plaisirs, l'amour l'égara quelquefois, loin de calomnier la vieillesse, il se félicita de ses pertes, comme un esclave qui n'a plus à supporter les caprices d'un tyran féroce; qu'à la mort d'Euripide, son émule, arrivée peu de temps avant la sienne, il parut en habit de deuil, mêla sa douleur avec celle des Athé

niens, et ne souffrit pas que, dans une pièce qu'il donnait, ses acteurs eussent des couronnes sur leur tête.

Il s'appliqua d'abord à la poésie lyrique, mais son génie l'entraîna bientôt dans une route plus glorieuse, et son premier succès l'y fixa pour toujours: il était âgé de 28 ans ; il concourait avec Eschyle, qui était en possession du théâtre. Après la représentation des pièces, le premier des Archontes qui présidait aux jeux ne put tirer au sort les juges qui devaient décerner la couronne; les spectateurs divisés faisaient retentir le théâtre de leurs clameurs. Et comme elles redoublaient à chaque instant, les dix généraux de la République, ayant à leur tête Cimon, parvenu, par ses victoires et ses libéralités, au comble de la gloire et du crédit, montèrent sur le théâtre, et s'approchèrent de l'autel de Bacchus, pour y faire, avant de se retirer, les libations accoutumées. Leur présence et la cérémonie dont ils venaient s'acquitter suspendirent le tumulte, et l'Archonte, les ayant choisis pour nommer le vainqueur, les fit asseoir, après avoir exigé le serment. La pluralité des suffrages se réunit en faveur de Sophocle; et son concurrent, blessé de cette préférence, se retira quelque temps après en Sicile.

Barthélemy. Voyage d'Anacharsis.

Euripide.

Le triomphe remporté sur Eschyle par Sophocle devait assurer pour jamais à ce dernier l'empire de la scène mais le jeune Euripide en avait été témoin, et ce souvenir le tourmentait, lors même qu'il prenait des leçons d'éloquence sous Prodicus, et de philosophie sous Anaxagore. Aussi, le vit-on, à l'âge de 18 ans, entrer dans la carrière, et pendant une longue suite d'années, la parcourir de front avec Sophocle, comme deux superbes coursiers qui, d'une ardeur égale, aspirent à la victoire.

Quoiqu'il eût beaucoup d'agrémens dans l'esprit, sa sévérité, pour l'ordinaire, écartait de son maintien les grâces du sourire et les couleurs brillantes de la joie.

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