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Tourne autour du héros et redoublant les feintes,
Il cherche le moment d'assurer ses atteintes.
Mais Taucrède le serre, et le pousse, et du fer
Aux visières du casque il fait briller l'éclair.
Tout affaibli qu'il est de blessures récentes,
Le combat seul lui rend des forces renaissantes.
C'est aux endroits mortels qu'il adresse ses coups;
De son glaive animé l'impétueux courroux,

Montrant toujours la mort, la fait craindre sans cesse.
En vain de cent détours la prompte et souple adresse
Y dérobe Raimbaud sous ses armes caché:
Son bouclier fendu, son cimier arraché,
Prêtent à peine encor leur défense mal sûre ;
Son sang plus d'une fois humecta son armure.
Ses coups sont sans effet: Le dépit et l'amour,
La honte et le remords l'irritent tour à tour.
Par un effort dernier rappelant son courage,
Il y veut rassembler ses forces et sa rage,
S'approche, et loin de lui jetant son bouclier,
Sur son glaive à deux mains il pèse tout entier,
Le balance, et l'abat avec un cri terrible.
Dans le flanc du héros il porte un coup horrible,
Et le coup sur sa tête est soudain redoublé.
Le casque a retenti, Tancrède a chancelé.
Sans entamer l'airain, ces atteintes pesantes
Font sentir au guerrier des angoisses cuisantes ;
Mais plus que ses douleurs, il ressent tout l'affront
Du coup audacieux qui fit courber son front;
La vengeance étincelle à travers sa visière.
Raimbaud ne soutient pas l'aspect de sa colère.
Et voyant se lever le redoutable bras,
Sent déjà dans son cœur le fer et le trépas;
Il recule, et le coup qui dans les airs résonne,
Des limites du pont va frapper la colonne,

Dont le bronze en éclats se disperse à grand bruit ;
A ce coup foudroyant Raimbaud tremble et s'enfuit,
Il ne peut plus domter l'effroi qui le possède,
Il remonte le pont, le parcourt, mais Tancrède
Suit et presse ses pas, et le bras étendu,

Il l'atteignait déjà, Raimbaud était perdu.

Inespéré secours! les clartés disparaissent,

Les flambeaux sont éteints, les ténèbres renaissent,
Tout se noircit, tout rentre en la profonde nuit ;
Le ciel est un désert où nul astre ne luit.
Tancrède enveloppé de ces magiques ombres.

Ne voit, n'entend plus rien, il erre en ces lieux sombres.
Dans ce silence affreux s'avançant pas à pas,
Il passe sur un seuil que son pied ne sent pas,
Entre sans le savoir, et sous la voûte obscure
La porte se referme avec un long murmure.

La Harpe. Jérusalem Délivrée, Chant VII.

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Combat de Rodrigue contre les Maures.
CETTE obscure clarté qui tombe des étoiles,
Enfin avec le flux nous fait voir trente voiles ;
L'onde s'enfle dessous, et d'un commun effort
Les Maures et la mer montent jusques au port.
On les laisse passer; tout leur paraît tranquille;
Point de Soldats au port, point aux murs de la ville.
Notre profond silence abusant leurs esprits,
Ils n'osent plus douter de nous avoir surpris;
Ils abordent sans peur, ils ancrent, il descendent,
Et courent se livrer aux mains qui les attendent.
Nous nous levons alors, et tous en même temps
Poussons jusques au ciel mille cris éclatans.
Les nôtres au signal de nos vaisseaux répoudent ;
Ils paraissent armés; les Maures se confondent;
L'épouvante les prend à demi descendus ;
Avant que de combattre ils s'estiment perdas.
Ils couraient au pillage, et rencontrent la guerre ;
Nous les pressons sur l'eau, nous les pressons sur terre,
Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang,
Avant qu'aucun résiste, ou reprenne son rang.
Mais bientôt, malgré nous, leurs princes les rallient,
Leur courage renaît, et leurs terreurs s'oublient;
La honte de mourir sans avoir combattu

Arrête leur désordre, et leur rend leur vertu.
Contre nous de pied ferme ils tirent leurs épées;
Des plus braves soldats les trames sont coupées ;
Et la terre, et le fleuve, et leur flotte, et le port,
Sont des champs de carnage où triomphe la mort.
O Combien d'actions, combien d'exploits célèbres,
Sout demeurés sans gloire au milieu des ténèbres,
Où chacun, seul témoin des grands coups qu'il donnait,
Ne pouvait discerner où le sort inclinait !
J'allais de tous côtés encourager les nôtres,
Faire avancer les uns, et soutenir les autres,
Ranger ceux qui venaient, les pousser à leur tour ;
Et ne l'ai pu savoir jusques au point du jour.
Mais enfin sa clarté montre notre avantage :
Le Maure voit sa perte, et soudain perd courage;
Et voyant un renfòrt qui nous vient secourir,
L'ardeur de vaincre cède à la peur de mourir.

Ils gagnent leurs vaisseaux, ils en coupent les câbles,
Nous laissent pour adieux des cris épouvantables,
Font retraite en tumulte, et sans considérer
Si leurs Rois avec eux peuvent se retirer :
Pour souffrir ce devoir leur frayeur est trop forte.
Le flux les apporta, le reflux les remporte ;
Cependant que leurs Rois, engagés parmi nous,
Et quelque peu des leurs, tous percés de nos coups,

Disputent vaillamment et vendent bien leur vie.
A se rendre moi-même en vain je les convie ;
Le cimeterre au poing ils ne m'écoutent pas :
Mais voyant à leurs pieds tomber tous leurs soldats,
Et que seuls désormais en vain ils se défendent,
Ils demandent le chef; je me nomme, ils se rendent.
Je vous les envoyai tous deux en même temps;
Et le combat cessa faute de combattans.

Corneille. le Cid. act. IV, sc. 3.

Le Combat du Lutrin.

LOIN du bruit cependant les chanoines à table
Immolent trente mets à leur faim indomtable.
Leur appétit fougueux, par l'objet excité,
Parcourt tous les recoins d'un monstrueux pâté ;
Par le sel irritant la soif est allumée;

Lorsque d'un pied léger la prompte Renommée,
Semant partout l'effroi, vient au chantre éperdu
Conter l'affreux détail de l'oracle rendu.
Il se lève, enflammé de muscat et de bile,
Et prétend à son tour consulter la Sibylle.
Evrard a beau gémir du repas déserté,
Lui-même est au barreau par le nombre emporté.
Par les détours étroits d'une barrière oblique,
Ils gagnent les degrés, et le perron antique,
Où sans cesse, étalant bons et méchans écrits,
Barbin vend aux passans des auteurs à tout prix.
Là le chantre à grand bruit arrive et se fait place,
Dans le fatal instant que, d'une égale audace,
Le prélat et sa troupe, à pas tumultueux,
Descendaient du Palais l'escalier tortueux.
L'un et l'autre rival s'arrêtant au passage,
Se mesure des yeux, s'observe, s'envisage ;
Une égale fureur anime leurs esprits :
Tels deux fougueux taureaux, de jalousie épris,
Auprès d'une génisse au front large et superbe,
Oubliant tous les jours le pâturage et l'herbe,
A l'aspect l'un de l'autre embrasés, furieux;
Déjà le front baissé, se menacent des yeux.
Mais Evrard, en passant coudoyé par Boirude,
Ne sait point contenir son aigre inquiétude :
Il entre chez Barbin, et, d'un bras irrité,
Saisissant du Cyrus un volume écarté,
Il lance au sacristain le tome épouvantable.
Boirude fuit le coup: le volume effroyable
Lui rase le visage, et, droit dans l'estomac,
Va frapper en sifflant l'infortuné Sidrac.

Le vieillard, accablé de l'horrible Artamène,
Tombe aux pieds du prélat, sans pouls et sans haleine.
Sa troupe le croit mort, et chacun empressé

Se croit frappé du coup dont il le voit blessé.

Aussitôt contre Evrard vingt champions s'élancent ; Pour soutenir leur choc les chanoines s'avancent. La Discorde triomphe, et du combat fatal Par un cri donne en l'air l'effroyable signal. Chez le libraire absent tout entre, tout se mêle : Les livres sur Evrard fondent comme la grêle Qui, dans un grand jardin, à coups impétueux, Abat l'honneur naissant des rameaux fructueux. Chacun s'arme au hasard du livre qu'il rencontre : L'un tient l'Edit d'amour, l'autre en saisit la montre; L'un prend le seul Jonas qu'on ait vu relié ; L'autre un Tasse Français, en naissant oublié. L'élève de Barbin, commis à la boutique, Veut en vain s'opposer à leur fureur gothique ; Les volumes, sans choix à la tête jetés, Sur le perron poudreux volent de tous côtés : Là, près d'un Guarini, Térence tombe à terre; Là, Xénophon dans l'air heurte contre un La Serre. Oh! que d'écrits obscurs, de livres ignorés, Furent en ce grand jour de la poudre tirés ! Vous en fûtes tirés, Almerinde et Simandre: Et toi, rebut du peuple, inconnu Caloandre, Dans ton repos, dit-on, saisi par Gaillerbois, Tu vis le jour alors pour la première fois. Chaque coup sur la chair laisse une meurtrissure: Déjà plus d'un guerrier se plaint d'une blessure, D'uu Le Vayer épais Giraut est renversé : Marineau, d'un Brébeuf à l'épaule blessé, En sent par tout le bras une douleur amère, Et maudit la Pharsale aux provinces si chère. D'un Pinchêne in-quarto Dodillon étourdi A long-temps le teint pâle et le cœur affadi. Au plus fort du combat le chapelain Garagne, Vers le sommet du frout atteint d'un Charlemagne, (Des vers de ce poème effet prodigieux !) Tout prêt à s'endormir, bâille, et ferme les yeuxA plus d'un combattant la Clélie est fatale ; Girant dix fois par elle éclate et se signale. Mais tout cède aux efforts du chanoine Fabri. Ce guerrier, dans l'église aux querelles nourri, Est robuste de corps, terrible de visage, Et de l'eau dans son vin n'a jamais su l'usage. Il terrasse lui seul et Guibert et Grasset, Et Gorillon la basse, et Grandin le fausset, Et Gerbais l'agréable, et Guérin l'insipide. Des chantres désormais la brigade timide

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S'écarte, et du Palais regagne les chemins.

Telle, à l'aspect d'un loup, terreur des champs voisins,
Fuit d'agneaux effrayés une troupe bêlante :
Ou tels devant Achille, aux campagnes du Xanthe,
Les Troyens se sauvaient à l'abri de leurs tours.
Quand Brontin à Boirude adresse ce discours :

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Ilustre porte-croix, par qui notre bannière "N'a jamais en marchant fait un pas en arrière, "Un chanoine lui seul triomphant du prélat "Du rochet à nos yeux ternira-t-il l'éclat ? "Non, non pour te couvrir de sa main redoutable, "Accepte de mon corps l'épaisseur favorable.

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Viens, et, sous ce rempart, à ce guerrier hautain "Fais voler ce Quinault qui me reste à la main." A ces mots, il lui tend le doux et tendre ouvrage. Le sacristain, bouillant de zèle et de courage, Le prend, se cache, approche, et, droit entre les yeux, Frappe du noble écrit l'athlète audacieux. Mais c'est pour l'ébranler une faible tempête, Le livre sans vigueur mollit contre sa tête. Le chanoine les voit, de colère émbrasé : "Attendez, leur dit-il, couple lâche et rusé, "Et jugez si ma main, aux grands exploits novice, “ Lance à mes ennemis un livre qui mollisse.” A ces mots il saisit un vieil Infortiat,

Grossi des visions d'Accurse et d'Alciat,
Inutile ramas de gothique écriture,

Dont quatre ais mal unis formaient la couverture,
Entourée à demi d'un vieux parchemin noir,
Où pendait à trois clous un reste de fermoir.
Sur l'ais qui le soutient auprès d'un Aviceune,
Deux des plus forts mortels l'ébranleraient à peine :
Le chanoine pourtant l'enlève sans effort,
Et, sur le couple pâle et déjà demi-mort,
Fait tomber à deux mains l'effroyable tonnerre,
Les guerriers, de ce coup, vont mesurer la terre,
Et, du bois et des clous meurtris et déchirés,
Long-temps, loin du perron, roulent sur les degrés.

Au spectacle étonnant de leur chute imprévue,
Le prélat pousse un cri qui pénètre la nue.

11 maudit dans son cœur le démon des combats,
Et de l'horreur du coup il recule six pas.
Mais bientôt rappelant son antique prouesse
Il tire du manteau sa dextre vengeresse,
Il part, et, de ses doigts saintement allongés,
Bénit tous les passaris, en deux files rangés.
Il sait que l'ennemi, que ce coup va surprendre,
Désormais sur ses pieds ne l'oserait attendre,
Et déjà voit pour lui tout le peuple en courroux
Crier aux combattans: Profanes, à genoux!

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