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PARALLÈLES.

Mayenne et d'Aumale.

MAYENNE, dès long-temps pourri dans les alarmes,
Sous le superbe Guise avait porté les armes :
Il succède à sa gloire, ainsi qu'à ses desseins;
Le sceptre de la ligue a passé dans ses mains.
Cette grandeur saus borne, à ses désirs si chère,
Le console aisément de la perte d'un frère;
Il servait à regret ; et Mayenue aujourd'hui
Aime mieux le venger que de marcher sous lui.
Mayenne a, je l'avoue, un courage héroïque ;
Il sait, par une heureuse et sage politique,
Réunir sous ses fois mille esprits différens,
Enneruis de leur maître, esclaves des tyrans :
11 connaît leurs talens, il sait en faire usage;
Souvent du malheur même il tire un avantage.
Guise, avec plus d'éclat éblouissant les yeux,
Fut plus grand, plus Héros, mais non plus dangereux.
Voilà quel est Mayenne, et quelle est sa puissance.
Autant la ligue altière espère en sa prudence,
Autant le jeune Aumale, au cœur présomptueux,
Répand dans les esprits son courage orgueilleux,
D'Aunale est du parti le bouclier terrible;
Il a jusqu'aujourd'hui le titre d'invincible :
Mayenne, qui le guide au milieu des combats,
Est l'âme de la Ligue, et l'autre en est le bras.

Voltaire. Henriade, ch. III.

L'armée de Joyeuse, et l'armée de Henri IV.

DE tous les favoris qu'idolâtrait Valois,
Qui flattaient sa mollesse, et lui donnaient des lois,
Joyeuse, né d'un sang chez les Français insigne,
D'une faveur si haute était le moins indigne:
Il avait des vertus; et si de ses beaux-jours
La Parque, en ce combat, n'eût abrégé le cours,
Sans doute aux grands exploits son âme accoutumée
Aurait de Guise, un jour, atteint la renommée.
Mais nourri jusqu'alors au milieu de la cour,
Dans le sein des plaisirs, dans les bras de l'amour,

Il n'eut à m'opposer qu'un excès de courage,
Dans un jeune Héros dangereux avantage.

Les courtisans en foule, attachés à son sort,
Du sein des voluptés s'avançaient à la mort.
Des chiffres amoureux, gages de leurs tendresses,
Traçaient sur leurs habits les noms de leurs maîtresses;
Leurs armes éclataient du feu des diamans,

De leurs bras énervés frivoles ornemens.
Ardens, tumultueux, privés d'expérience,

Ils portaient au combat leur superbe imprudence :
Orgueilleux de leur pompe, et fiers d'un camp nombreux,
Sans ordre ils s'avançaient d'un pas impétueux.

D'un éclat différent mon camp frappait leur vue:
Mon armée, en silence à leurs yeux étendue,
N'offrait de tous côtés que farouches soldats,
Endurcis aux travaux, vieillis dans les combats,
Accoutumés au sang, et couverts de blessures;
Leur fer et leurs mousquets composaient leurs parures.
Comme eux vêtu sans pompe, armé de fer comme eux,
Je conduisais aux coups leurs escadrons poudreux ;
Comme eux, de mille morts affrontant la tempête,
Je n'étais distingué qu'en marchant à leur tête.
Je vis nos ennemis vaincus et renversés,
Sous nos coups expirans, devant nous dispersés:
A regret dans leur sein j'enfonçais cette épée,
Qui du sang espagnol eût été mieux trempée.

Il le faut avouer, parmi ces courtisans
Que moissonna le fer à la fleur de leurs ans,
Aucun ne fut percé que de coups bonorables:
Tous fermes dans leur poste, et tous inébranlables,
Ils voyaient devant eux avancer le trépas,
Sans détourner les yeux, sans reculer d'un pas.
Des courtisans Français tel est le caractère :
La paix n'aimollit point leur valeur ordinaire ;
De l'ombre du repos, ils volent aux hasards;
Vils flatteurs à la cour, héros aux champs de Mars.

Pour moi, dans les horreurs d'une mêlée affreuse,
J'ordonnais, mais en vain, qu'on épargnât Joyeuse;
Je l'aperçus bientôt, porté par des soldats,
Pâle, et déjà couvert des ombres du trépas.
Telle une tendre fleur, qu'un matin voit éclore
Des baisers du zéphyr et des pleurs de l'aurore,
Brille un moment aux yeux, et tombe, avant le temps,
Sous le tranchant du fer, ou sous l'effort des vents.

Le même. Henriade, ch. III.

Philippe II et Sixte-Quint.

PHILIPPE, de son père héritier tyrannique,
Moins grand, moins courageux, et non moins politique,
Divisant ses voisins pour leur donner des fers
Du fond de son palais croit domter l'univers.

Sixte, au trône élevé du sein de la poussière,
Avec moins de puissance, a l'âme encor plus fière,
Le pâtre de Montalte est le rival des rois ;
Dans Paris, comme à Rome, il veut donner des lois :
Sous le pompeux éclat d'un triple diadême,
Il pense asservir tout, jusqu'à Philippe même.
Violent, mais adroit, dissimulé, trompeur,
Ennemi des puissans, des faibles oppresseur,
Dans Londres, dans ma cour, il a formé des brigues;
Et l'univers, qu'il trompe, est plein de ses intrigues.

Le même. Henriade, ch. III.

Richelieu, Mazarın.

DU prince et de l'Etat l'un et l'autre est l'arbitre.
Richelieu, Mazarin, ministres immortels,

Jusqu'au trône élevés de l'oibre des autels,
Enfans de la fortune et de la politique,
Marcheront à grands pas au pouvoir despotique.
Richelieu, grand, sublime, implacable ennemi;
Mazarin, souple, adroit, et dangereux ami ;
L'un fuyant avec art, et cédant à l'orage,
L'autre aux flots irrités opposant son courage:
Des Princes de mon sang ennemis déclarés;
Tous deux haïs du peuple, et tous deux admirés ;
Enfin, par leurs efforts, ou par leur industrie,
Utiles à leurs Rois, cruels la patrie.

Voltaire, Henriade, ch. VII.

Condé, Turenne.

LE premier, dit Louis, de ces noms éclatans
Est ce fameux Condé, Général à vingt ans,
Couvert, dans les combats, d'une gloire immortelle,
Né pour être un Héros, plus qu'un sujet fidèle.
Lui seul de son génie il connut le secret ;
Lui seul, en osant tout, ne fut point indiscret.
Entouré de périls, le grand-homme ordinaire
Balance les hasards, consulte, délibère ;
Pour lui, voir l'ennemi, c'était l'avoir domté ;
En mesurant l'obstacle, il l'avait surmonté ;

Sa prudence, sortant de la route commune,
Par l'excès de l'audace, enchaînait la fortune.
Pour guider des Français le ciel l'avait foriné;
Mais, ce feu dévorant dont il fut animé,
Fit ses égaremens, ainsi que son génie ;
Il ne put d'un affront porter l'ignominie:
Maître de la victoire, et non maître de soi,
Pour punir un Ministre, il combattit son Roi !
Un remords lui rendit sa patrie et sa gloire.

Turenne, ainsi que lui, formé par la victoire,
Habile à tout prévoir, comme à tout réparer,
Différant le succès pour le mieux assurer,*
Couvrant tous ses desseins d'un voile impénétrable,
Ou vainqueur, ou vaincu, fut toujours redoutable.
Tantôt avec ardeur précipitant ses pas,
Tantôt victorieux, sans livrer de combats,
De vingt peuples ligués spectateur immobile,
Son génie enchaînait leur valeur inutile.
Bourbon dut son succès à son activité :
L'ennemi de Turenne a souvent redouté
Sa lenteur inenaçante et son repoš terrible.

Thomas. Pétréide.

Virgile et Homère dans la poésie didactique.

SANS atteindre si haut, du moins il faut savoir
Emprunter quelquefois le secret d'émouvoir,
En connaître le prix, les effets et l'usage.
Virgile a peint les champs; mais cet esprit si sage
N'a-t-il fait qu'entasser, sans dessein et sans art,
Des tableaux imparfaits, ramassés au basard?
Il conçat, il remplit l'ensemble d'un ouvrage;
Il sut entremêler la leçon et l'image,

A sa morale aimable intéresser le cœur,
Et toujours vers un but conduire le lecteur.
Ce style si parfait, prodige de ses veilles,

Et ce charme qu'il prête aux travaux des abeilles,
Et la pompe des vers, sont encor peu pour lui :
L'imagination, son guide, son appui,

Vient partout sur ses pas prodiguer les merveilles.
Elle attire à sa voix les monstres des déserts;
A l'amant d'Euridice elle ouvre les enfers;
Peint Cerbère muet et sa rage étouffée,
Et l'Erèbe implacable attendri par Orphée.

Homère au premier rang serait-il donc assis,
S'il n'eût fait qu'étaler, dans ses brillans récits,
Les combats des héros, leurs sanglantes blessures,

Et la course des chars, et le choc des armures ?
Il sait avec plus d'art varier ses portraits,

Et dans le cœur humain chercher ses plus beaux traits.
Qu'ils sont vrais et frappans! Assis sur le rivage,
Achille aux Immortels se plaint de son outrage.

La fille de Priam. dans ses tristes adieux,

Tend aux bras d'un époux l'enfant qu'il offre aux Dieux ;
Et l'enfant, à l'aspect d'une aigrette guerrière,

Se rejette d'effroi dans le sein de sa mère :
Hector fixe sur lui des regards attendris,
Et désarme son front pour embrasser son fils.
Andromaque est en proie aux plus tendres alarmes,
Et mêle un doux sourire à de plus douces larmes.
Qu'alors il paraît grand, le peintre des béros,
Quand l'homme tout entier respire en ses tableaux !

La Harpe. Epitre au comte de Schowalow..

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