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Mon Fils, sur les humains, que ton âme attendrie,
Habite l'univers, mais aime sa patrie.

Le sage est citoyen: il respecte à la fois
Et le trésor des mœurs, et le dépôt des Lois :
Les Lois! raison sublime et morale pratique,
D'intérêts opposés balance politique,

Accord né des besoins, qui par eux cimenté,
Des volontés de tous fit une volonté.
Chéris toujours, mon Fils, cet utile esclavage
Qui de ta liberté doit épurer l'usage.

Chamfort. Poésies diverses.

Amour de la Retraite.

JE voudrais inspirer l'Amour de la Retraite.
Elle offre à ses amans des biens sans embarras ;
Biens purs, présens du ciel, qui naissent sous ses pas.
Solitude où je trouve une douceur sccrète,

Lieux que j'aimai toujours, ne pourrai-je jamais,
Loin du monde et du bruit, goûter l'ombre et le frais !
O! qui m'arrêtera sous vos sombres asiles?

Quand pourront les neuf Sœurs, loins des cours et des villes,
M'occuper tout entier, et m'apprendre des cieux
Les mouvemens divers inconnus à nos yeux;
Les noms et les vertus de ces clartés errantes,
Par qui sont nos destins et nos mœurs différentes ?
Que si je ne suis né pour de si grands projets,
Du moins que les ruisseaux m'offrent de doux objets,
Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie.
La Parque à filets d'or n'ourdira point ma vie ;
Je ne dormirai point sous de riches lambris:
Mais voit-on que le somme en perde de son prix ?
En est-il moins profond et moins plein de délices?
Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices.
Quand le moment viendra d'aller trouver les morts,
J'aurai vécu sans soins, et mourrai sans remords.
La Fontaine. Fables.

L'Amitié.

NOBLE et tendre Amitié, je te chante en mes vers :
Du poids de tant de maux semés dans l'univers,
Par tes soins consolans, c'est toi qui nous soulages.
Trésor de tous les lieux, bonheur de tous les âges,
Le ciel te fit pour l'homme, et tes charmes touchans,
S nt nos derniers plaisirs, sont nos premiers penchans,
Qui de nous, lorsque l'âme encor naïve et pure
Commence à s'émouvoir, et s'ouvre à la nature,

N'a pas senti d'abord, par un'instinct heureux,
Le besoin enchanteur, ce besoin d'être deux,
De dire à son ami ses plaisirs et ses peines ?

D'un zéphyr indulgent si les douces haleines
Ont conduit mon vaisseau vers des bords enchantés,
Sur ce théâtre heureux de mes prospérités,
Brillant d'un vain éclat, et vivant pour moi-même,
Sans épancher mon cœur, sans un ami qui m'aime,
Porterai-je moi seul, de mon ennui chargé,

Tout le poids d'un bonheur qui n'est point partagé ?
Qu'un ami sur mes bords soit jeté par l'orage,
Ciel ! avec quel transport je l'embrasse au rivage!
Moi-même entre ses bras si le flot m'a jeté,
Je ris de mon naufrage et du flot irrité.

Oui, contre deux amis la fortune est sans armes ;
Ce nom répare tout, sais-je, grâce à ses charines,
Si je donne ou j'accepte? Il efface à jamais
Ce mot de bienfaiteur, et ce mot de bienfaits.
Si, dans l'été brûlant d'une vive jeunesse,
Je saisis du plaisir la coupe enchanteresse,
Je veux, le front ouvert, de la feinte enuemi,
Voir briller mou, bonheur dans les yeux d'un ami.

D'un ami! ce nom seul me charme et me rassure;
C'est avec mon ami que ma raison s'épure,
Que je cherche la paix, des conseils, un appui ;
Je me soutiens, m'éclaire, et ine calme avec lui.
Dans des piéges trompeurs si ma vertu sommeille,
J'embrasse, en le suivant, sa vertu qui m'éveille :
Dans le champ varié de nos doux entretiens,
Son esprit est à moi, ses trésors sont les miens.
Je sens, dans mon ardeur, par les siennes pressées,
Naître, accourir en foule, et jaillir nes pensées.
Mon discours s'attendrit d'un charme intéressant,
Et s'anime à sa voix du geste et de l'accent.

Ducis. Epitre sur l'Amitié.

La Vertu.

IL est une Vertu dont la puissance active Commande anx passions, les calme ou les captive, Arrache enfin notre âme à la séduction,

Au sein de ses erreurs désabuse Ixion :

Et d'un plaisir plus vrai lui présentant l'image
Dans ses bras enchantés dissipe le nuage.
Que nos cœurs sont heureux quand la loi du devoir
De nos plus doux penchans confirme le pouvoir !
Il est une Vertu : qui résiste à ses charmes
Vivra dans les douleurs, gémira dans les larmes ;

Et devant elle uu jour, malgré tous ses efforts,
Portera pour tribut le poids de ses remords.
Des mortels les plus sourds sa voix est entendue ;
L'âme qui fuit ses bras y retombe éperdue.
Qui connut son pouvoir, qui sentit sa douceur,
Pourrait-il la confondre avec son oppresseur,
Avec le vide impur, ce complaisant barbare,
Qui souffle dans nos sens les flammes du Tartare,
Nous laisse moissonner quelques stériles fleurs,
Sûr, aprés nos plaisirs, d'éterniser nos pleurs?
Si la vertu n'est rien pourquoi l'humble innocence
A-t-elle sur nos cœurs conservé sa puissance ?
D'où vient qu'une bergère assise sur les fleurs,
Simple dans ses habits, plus simple dans ses mœurs,
Impose à ses amans surpris de sa sagesse ?
Sévère avec douceur, et tendre sans faiblesse,
Elle a l'art de charmer, saus rien devoir à l'art :
Son devoir est sa loi, sa défense un regard,
Qui, joint à la fierté d'un modeste silence,
Fait tomber à ses pieds l'audace et la licence.
D'où vient qu'un villageois, assis sous un ormeau,
Juge les differends qui naissent au hameau ?
Pauvre, chargé de soins, et consumé par l'âge,
Qui peut l'avoir rendu le Dieu du voisinage?
Les pasteurs rassemblés viennent autour de lui
Chercher dans ses leçons leur joie et leur appui.
Eh! ne voyez-vous pas, qu'amant de la sagesse,
Il est juste sans faste, et prudent sans finesse,
Et que l'intégrité conduisant ses projets,
De ses concitoyens il s'est fait des sujets ?
La vertu sous le chaume attire nos hommages;
Le crime sous le dais est la terreur des sages.

Bernis.

Les Religions Antiques.

Avec plus de noblesse encore et plus d'éclat,
De la Religion la pompe solennelle,

Consacrait la victoire et marchait devant elle,
Et du pied des autels semblait dire aux humains :

"Rome commande au monde, et le ciel aux Romains."
Le juste ciel, sans doute abhorrait ces conquêtes;

Mais si quelque vertu pent expier ces fêtes,

C'est que Rome honora dans ses jours de splendeur,
Ces simples déités qui firent sa grandeur:
Le Dien du Capitole habita des chaumières.

Loin de ces chars sanglans, de ces pompes guerrières,

Où le sang des taureaux satisfaisant aux dieux,
Du sang humain versé rendait grâces aux cieux,
Que j'aime à revoler vers ces fêtes champêtres,
Oú Rome célébrait les dieux de ses ancêtres,
La déesse des blés et le dieu des raisins,
Les nymphes des forêts, les faunes, les sylvains,
Toi surtout, toi, Palès, déité pastorale !

A peine blanchissait la rive orientale,
Le berger seconant un humide rameau,
D'une oude salutaire arrosait son troupeau.
O Palès, disait-il, reçois mes sacrifices,
Protège mes brebis, protège mes génisses
Contre la faim cruelle et le loup inhumain ;
Que je trouve le soir le nombre du matin ;
Qu'autour de mon bercail, vigilant sentinelle,
Sans cesse en haletant rôde mon chien fidèle ;
Que mon troupeau connaisse et ma flûte et ma voix ;
Que le lait le plus pur écume entre mes doigts;
Rends mon bélier ardent, rends mes chèvres fécondes ;
Puissent de frais gazons, puissent de claires ondes
Dans un riaut pacage arrêter ines brebis :
Que leur fine toison compose mes habits;
Et quand le fuseau tourne entre leurs mains légères,
Ne blesse pas les doigts de nos jeunes bergères."
Il dit, et tout à coup un faisceau pétillant
S'allume, et dans les airs s'élève un feu brillant
Que trois fois, dans sa vive et folâtre alégresse,
D'un pied léger franchit une ardente jeunesse.
Jeux charmans, vous régnez encor dans nos hameaux !
Eh! qui n'est point ému de ces rians tableaux ?
La superstition sied bien au paysage ;
Triste dans les cités, elle est gaie au village,
Et le sage lui-même aine à voir, en ces vœux,
La terre à ses travaux intéressant les cieux.

Delille. l'Imagination. ch. VIII.

Respect des Romains pour les Morts.

DES sépulcres muets perçant la noire enceinte,
Et d'un ami, d'un père évoquant l'ombre sainte,
Ce peuple, enveloppé de sombres vêtemeus,
Trois fois se promenait an fond des monumens,
Y brûlait de Saba les parfums salutaires,
Et couronnait enfin ces lugubres mystères
Par des libations d'un vin religieux
Sur l'urne où reposaient les restes précieux.

Ce respect pour les morts, fruit d'un erreur grossière,
Touerait peu, je le sais, une froide poussière
Qui tôt ou tard s'envole éparse au gré des vents,
Et qui n'a plus enfin de nom chez les vivans;
Mais ces tristes honneurs, ces funèbres hommages,
Ramenaient les regards sur de chères images;
Le cœur près des tombeaux tressaillait ranimé,
Et l'on aimait encor ce qu'on avait aimé.
Je l'éprouve moi-même : oui, cent fois, à la vue
Du voile de la mort, d'une tombe imprévue,
L'image de ma mère enlevée en sa fleur
M'a frappé, m'a rempli d'une sainte douleur:
J'ai cru voir sa vertu, sa jeunesse, ses charmes ;
Et ce doux souvenir a fait couler mes larmes.

Astre des nuits, je veux à ton pâle flambeau,
Qui, je veux m'avancer vers ce sacré tombeau !
Guide-moi.....Vain espoir que non cœur se propose !
Hélas! Trop loin de moi cette cendre repose!
Ma mère ! O! si mon oil revoit le bord chéri
Où ton sein me conçut, où ton lait rn'a nourri,
Cù tes soins aux vertus formèrent mon jeune âge,
Je voue à ton sépulcre un saint pélerinage;
J'irai te faire ouïr le cri de ines douleurs,
Et, courbé sur ta tombe, y répandre des pleurs.

Roucher. Les Mois.

Le Jour des Morts.

ENTENDEZ-VOUS ces sons mornes et répétés,
Retentissant autour de nos toits attristés,
De cent cloches dans l'air le timbre monotone,
Qui si lugubrement sur uos têtes résonne,
Avertit les mortels rappelés à leur fio,
D'implorer pour les Morts un tranquille destin,
D'apprécier la vie ouverte à tant de peines,
De ne point consuiner en mutuelles haines
Ce fragile tissu de momeus limités,

Qu'aux humains fugitifs la nature a comptés.

Quels enclos sont ouverts! quelles étroites places
Occupe entre ces murs la poussière des races!
C'est dans ces lieux d'oubli, c'est parmi ces tombeaux
Que le Temps et la Mort viennent croiser leurs faulx.
Que de morts entassés et pressés sous la terre !
Le nombre ici n'est rien, la foule est solitaire.
Qui peut voir sans effioi ces couches d'ossemens,
Tons ces débris de l'homme abandonnés aux vents!
Ah! si du sort commun que ce lieu nous retrace,
Le spectacle fatal nous saisit et nous glace,
Qu'un retour plus cruel sur les pertes du cœur
Eveille en nous de peine et répand de douleur !

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