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souffrant dans son Église, dira plus tard : « Saul, Saul, « pourquoi me persécutez-vous? »

L'évêque d'Hippone explique à son ami tous les versets du psaume prophétique. En interprétant ces mots : « Pour << moi je suis un ver et non un homme, » il rappelle le sens donné au nom de ver par d'anciens auteurs ecclésiastiques. Jésus-Christ, disent-ils, a voulu être désigné sous ce nom, parce que la formation du ver, né de la chair, mais sans l'alliance des sexes, a quelque rapport avec la naissance du Sauveur, sorti du sein d'une Vierge. L'explication du verset XXIV amène Augustin à parler du sacrifice de la nouvelle alliance. Il dit à Honoré, qui n'était encore que catéchumène : « Quand vous serez baptisé, vous saurez en quel « temps et de quelle manière on offre ce sacrifice. » La messe catholique est ici bien clairement indiquée. Personne n'ignore que le mystère de l'Eucharistie était caché aux catéchumènes, et de là viennent les obscurités de plusieurs Pères de l'Église sur le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ.

Nous avons une explication littéraire du psaume xxi par Bossuet. Il est intéressant de rencontrer deux des plus grands évêques du monde catholique dans l'interprétation du cantique où, selon l'expression d'Augustin, on croit entendre plutôt l'Évangile qu'un prophète. L'évêque de Meaux dit avec l'évêque d'Hippone que ce psaume est plutôt historique que prophétique. « Comme Jésus-Christ, ajoute Bossuet, y mêle sa mort douloureuse avec sa glorieuse résurrection, il faudrait, pour entrer dans son esprit, faire succéder au ton plaintif de Jérémie, qui seul a pu égaler les lamentations aux calamités, le ton triomphant de Moïse, lorsque, après le passage de la mer Rouge, il a chanté Pharaon défait en sa personne, avec son armée ensevelie sous les eaux. » Il y a beaucoup, d'éloquence dans l'explication

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de Bossuet. Il complète Augustin pour le verset: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé? » C'est ainsi qu'a traduit Bossuet. Il remarque, d'après saint Paul', que le Sauveur prononça ces paroles avec un grand cri et beaucoup de larmes. Si Jésus, dit-il, a pleuré si amèrement sur la ruine prochaine de Jérusalem, s'il a pleuré Lazare mort, encore qu'il l'allåt ressusciter, on doit bien croire qu'il n'aura pas épargné ses larmes sur la croix, où il déplorait les péchés et les misères du genre humain. Bossuet nous fait observer que le propre du pécheur c'est d'être délaissé de Dieu, et que, dans le sacrifice du Calvaire, Jésus-Christ faisait le personnage de pécheur, chargé des iniquités du monde. « Dieu, avait dit Isaïe 2, a mis sur lui l'iniquité de nous tous. » Et saint Paul disait : « Celui << qui n'a pas connu le péché, Dieu l'a fait péché pour nous, << afin que nous fussions faits en la justice de Dieu. » Ainsi Jésus-Christ a exprimé tout le fond de son supplice quand il a crié avec tant de force: Pourquoi m'avez vous délaissé ? Dieu ne voit plus en lui que le péché dont il s'est entièrement revêtu. Il l'abandonne à la cruauté de ses ennemis.

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« Ce n'est pas ici, dit Bossuet, une plainte comme on la << peut faire dans l'approche d'un grand mal. Jésus-Christ « parle sur la croix, où il est effectivement enfoncé dans « l'abîme des souffrances les plus accablantes, et jamais le « délaissement n'a été si réel ni poussé plus loin, puisqu'il « l'a été jusqu'à la mort, et à la mort de la croix, qui, par << une horreur naturelle, faisait frémir en Jésus-Christ son « humanité tout entière. La voix de mon rugissement est « bien éloignée de mon salut (la voix de mon rugissement ne « suffit pas pour empêcher que mon salut ne s'éloigne).

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« Mes cris, quoique semblables par leur violence au rugis<< sement du lion, n'avancent pas le salut que je demande, «<et rien ne me peut sauver de la croix : Dieu demeure toujours inexorable, sans se laisser adoucir par les cris « de l'humanité désolée. »

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<< Comme donc il (Jésus-Christ) est mort par puissance, << dit plus loin l'évêque de Meaux, qu'il a pris aussi par puissance toutes les passions, qui sont des appartenances « et des apanages de la nature humaine, nous avons dit << qu'il en a pris la vivacité, la sensibilité, la vérité, tout « ce qu'elles ont d'affligeant et de douloureux. Jamais << homme n'a dù ressentir plus d'horreur pour la mort que <«< Jésus-Christ, puisqu'il l'a regardée par rapport au péché,

qui, étant étranger au monde, y a été introduit par le << démon: il voyait d'ailleurs tous les blasphèmes et tous « les crimes qui devaient accompagner la sienne : c'est « pourquoi il a ressenti cette épouvante, ces frayeurs, ces << tristesses que nous avons vues.

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<< Nul homme n'a jamais eu un sentiment plus exquis; << mais pour cela il ne faut pas croire que l'agitation de «< ses passions turbulentes ait pénétré la haute partie de « son âmeses agonies n'ont pas été jusque-là, et le << trouble même n'a pas troublé cet endroit intime et << imperturbable; il en a été à peu près comme de ces << hautes montagnes qui sont battues de l'orage et des «< tempêtes dans leurs parties basses, pendant qu'au som« met elles jouissent d'un beau soleil et de la sérénité ( parfaite. »

Ainsi, à treize cents ans de distance, l'évêque de Meaux achevait de répondre au catéchumène de Carthage qui avait demandé à l'évêque d'Hippone ce que voulaient dire ces paroles: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné?

Augustin continue la réponse aux questions posées par son ami de Carthage. Les ténèbres extérieures, sur lesquelles Honoré demandait des explications, sont réservées aux orgueilleux qui n'auront mis leur confiance qu'en leurs propres œuvres, qui ne seront pas devenus enfants de la promesse, enfants de la grâce, enfants de la miséricorde. L'évêque d'Hippone distingue les ténèbres extérieures et les ténèbres plus extérieures; les unes sont le partage des âmes malades qui peuvent revenir encore à la vigueur de la vérité, des âmes plongées dans les ombres qui peuvent revenir à la divine lumière; les autres sont le partage de ceux qui sont à jamais séparés de Dieu, splendeur éternelle, et qui souffrent des tourments en expiation de leurs désordres. C'est à la charité soutenue par la vie du Christ que conviennent les quatre dimensions dont parle saint Paul, et qui faisaient le sujet d'une question d'Honoré. La charité s'exerce dans les bonnes œuvres, cherchant le bien à faire, s'étendant à tous les besoins : c'est là sa largeur. Elle est patiente dans les maux, persévérante dans les voies de la vérité : c'est là sa longueur. Le but auquel elle aspire, c'est l'éternel avenir qui lui est promis: c'est là sa hauteur. Le principe de la charité est dans les profondeurs divines : c'est là sa profondeur. La figure de la croix est une expression du mystère de la charité de Jésus-Christ, charité qui passe toutes nos pensées. Le choix de la croix comme instrument de son supplice a eu pour motif de nous remettre devant les yeux cette largeur, cette longueur, cette hauteur et cette profondeur dont nous parlons. Augustin indique le sens mystérieux de ces quatre parties de là croix.

Enfin, pour répondre à la dernière question d'Honoré, le grand évêque dit que la créature raisonnable ne doit pas se laisser aller aux louanges des hommes, de peur de ressembler aux vierges folles; elle doit plutôt imiter les vierges

sages, dont toute la gloire, à l'exemple de l'apôtre, est dans le témoignage de leur conscience. Telle est la signification de l'huile que les vierges sages portent avec elles, tandis que les folles sont réduites à en acheter de ceux qui font profession d'en vendre, c'est-à-dire des flatteurs ; car leurs louanges sont comme une huile dont ils trafiquent et qu'ils vendent aux insensés. Les lampes ardentes dans les mains de ces vierges sont les bonnes œuvres qui, selon la parole de Jésus-Christ, doivent luire aux yeux des hommes, afin qu'ils glorifient notre Père céleste. C'est cette glorification de Dieu que cherchent les vierges sages dans leurs bonnes œuvres. Leurs lampes ne s'éteignent point, parce qu'une huile abondante en nourrit la flamme: cette huile représente l'intention pure d'une bonne conscience. Les lampes des vierges folles s'éteignent à chaque moment faute d'huile, c'est-à-dire que leurs bonnes œuvres cessent de luire dès que les louanges des hommes leur manquent, parce que le motif de leurs œuvres c'est le désir d'être agréables aux hommes et non pas de rendre gloire à Dieu.

Dans la dernière partie de cette lettre, la manière dont Augustin parle des ennemis de la grâce mérite d'être citée. Les pélagiens gardaient encore de saintes apparences; l'évêque d'Hippone croyait à leurs vertus. ·

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« La grâce de la nouvelle alliance a des ennemis qui, « troublés par la profondeur de ce mystère, veulent attri«buer plutôt à eux-mêmes qu'à Dieu ce qu'il y a de bon

en eux. Ce ne sont pas des hommes que vous puissiez << aisément mépriser: ils vivent dans la continence et se << recommandent par leurs œuvres : ils n'ont pas une fausse «< idée du Christ comme les manichéens et d'autres héré«tiques; ils croient que le Christ est égal et coeternel au « Père, qu'il s'est véritablement fait homme et qu'il est <«< venu; ils attendent son second avénement; mais ils

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