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neuf canons les doctrines pélagiennes. Ils informèrent' Zozime de leurs décrets, en le mettant en garde contre les piéges de l'ennemi.

La vérité était ainsi partie d'Afrique avec tous les caractères d'un assentiment universel et la plus imposante autorité. Qu'allait faire Zozime? Augustin attendit à Carthage sa réponse. Oh! que de prières et de pleurs il dut répandre pour que Dieu éclairât de sa lumière le pontife de Rome et détournât de l'Église la calamité d'une division! Ce n'est pas à son propre génie qu'il obéissait dans cette question: l'adhésion de tant de saints et savants évêques, et surtout les belles lettres du pape Innocent, lui apparaissaient comme l'infaillible interprétation des Écritures. La loi d'Honorius contre les pélagiens, datée de Ravenne, le 30 avril, lui fut sans doute d'un bon présage. Tillemont observe que saint Augustin appelle le rescrit d'Honorius une réponse, ce qui prouve que les évêques d'Afrique avaient demandé la loi à l'empereur. Baronius suppose gratuitement que Zozime sollicita cette loi ; la lettre de Zozime du 21 mars, si peu favorable aux décisions des évêques d'Afrique, rend inadmissible, au contraire, l'opinion de Baronius. On serait plutôt fondé à croire que le rescrit d'Honorius excita le pape à regarder de plus près et à mieux approfondir cette affaire.

Après avoir reçu la lettre synodale du concile du 1er mai 418, le souverain pontife somma Celestius de comparaître devant lui; l'hérésiarque refusa et sortit de Rome. Alors Zozime, plein d'une vive ardeur pour la vérité qui venait

1 Tome II, Concil. Le concile de Carthage, du 1er mai 418, publia aussi dix canons sur la réunion des donatistes pour mettre fin à plusieurs difficultés entre les évêques.

2 Cette lettre est perdue; saint Augustin en a donné des fragments (Liv. à Bonif.), et Mercator en parle, Commonit.

3 Appendix, tome X, p. 105.

de lui être révélée, écrivit aux évêques d'Afrique, et puis envoya aux quatre coins du monde une lettre 'où il condamnait Celestius, Pélage et leur enseignement tout entier: il disait que c'était par un instinct de Dieu, auteur de tout bien, qu'il avait communiqué cette affaire aux évêques d'Afrique.

L'univers catholique reçut les décrets des conciles de Carthage. L'Église africaine n'eut jamais une plus grande joie, ni un plus grand honneur. Une sorte de profession de foi de Zozime fut signée par tous les évêques de la terre, ce qui fait dire à saint Prosper que Zozime avait mis aux mains de tous les pontifes l'épée de saint Pierre ; dix-huit évêques, la plupart Italiens ou Siciliens, refusèrent de souscrire à cette déclaration catholique; la déposition et l'excommunication les punirent de leur résistance. Ils avaient pour chef Julien, évêque d'Éclane en Campanie, ce Julien contre lequel Augustin combattra jusqu'à sa dernière heure. Frappés par tant de condamnations, les pélagiens sollicitèrent, mais en vain, un concile œcuménique comme pour éterniser une cause définitivement jugée. On vit les dix-huit évêques pélagiens, chassés de leur pays, promener leur défaite à travers le monde, chercher des amis à Constantinople, à Thessalonique, à Éphèse, et s'épuiser en efforts pour ressaisir une puissance brisée. Pélage, plus tard, condamné encore à Antioche, fut chassé de Jérusalem par l'évèque Prayle. Le nouveau Catilina, disait saint Jérôme, a été expulsé de la ville sainte.

Ainsi l'Orient et l'Occident s'étaient unis dans une même réprobation de la doctrine pélagienne, et la foi chrétienne sortait triomphante d'une terrible épreuve. Saint Prosper, le poëte de la grâce comme saint Augustin en est

1 Cette lettre est perdue: saint Augustin, saint Prosper, le pape Célestin, nous en ont conservé des fragments.

le docteur, accorde à l'évêque d'Hippone la gloire d'avoir contribué entre tous à cette œuvre immense. Il dit qu'Augustin a donné à ses contemporains une lumière empruntée à la vraie lumière; que Dieu a été sa nourriture, sa vie et son repos ; que l'amour du Christ a été sa seule volupté ; qu'en ne s'accordant aucun bien, il a trouvé tout en Dieu, et que la sagesse a régné dans le saint temple. Abordant ensuite la question pélagienne, le poëte dit que, parmi les gardiens du troupeau sacré, Augustin est celui qui a le plus travaillé et le mieux travaillé; qu'il a arrêté l'ennemi, trompé ses ruses, coupé ses chemins; que de sa bouche des fleuves de livres ont coulé sur le monde, et que les doux et les humbles s'y sont abreuvés '. Julien de Campanie fait à Augustin le beau et magnifique reproche d'avoir tout inspiré et tout dirigé contre les pélagiens. En présence d'un tel service rendu à la foi, des paroles de notre bouche affaibliraient la louange, et nous sommes heureux d'avoir à reproduire ici quelques lignes du grand homme de Bethlehem adressées au grand homme d'Hippone.

« Courage, disait Jérôme à Augustin 2; votre nom est << illustre dans l'univers. Les catholiques vous vénèrent et «< vous admirent comme le restaurateur de l'ancienne foi3; <«<et, ce qui est le signe de la plus grande gloire, vous êtes « détesté par les hérétiques; ils me poursuivent d'une égale «< haine, et, ne pouvant nous tuer par l'épée, ils nous tuent << par leurs souhaits. »

Augustin aimait sans doute à voir le nom de son cher Alype se mêler au sien sur les lèvres de Jérôme. Je vou

« drais, » leur disait le vieux solitaire, et cette lettre est une des dernières qu'il ait écrites, « je voudrais avoir les

1 De Ingratis.

2 Lettre CXCXV.

3 Conditorem antiquæ rursum fidei.

<< ailes de la colombe pour m'envoler vers vous; Dieu sait << avec quelle joie je vous embrasserais tous les deux, sur<< tout en ce temps-ci où vous venez de donner le coup de << mort à l'hérésie de Celestius 1. »

CHAPITRE XXXIX

Utilité des hérésies. Les livres de la Grâce de Jésus-Christ et du Péché

originel.

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La tranquille possession de la vérité, sans combat, sans péril, sans tentation aucune, n'eût pas été en harmonie avec la condition actuelle de l'homme; elle eût exclu le courage, la vertu, tout ce qui fait notre gloire. L'hérésie est sur la terre ce qu'était l'arbre de la science dans l'Éden primitif : elle éprouve et donne à l'homme la mesure de sa propre valeur. L'hérésie est un choix, comme son nom l'indique; c'est l'indépendance de la raison se posant en face de la foi, qui révèle des vérités inaccessibles à notre entendement; c'est l'orgueil humain qui jamais n'abdique et qui proteste contre tout ce qu'il ne comprend pas; c'est l'insurrection de la philosophie contre l'autorité de la religion; c'est enfin le travail incessant de la passion humaine cherchant à briser tout ce qui arrête l'impétuosité de son élan. L'hérésie établit la lutte, et c'est par la lutte qu'on se purifie, qu'on devient fort et grand, qu'on entre en possession de toute son énergie; en ce monde, comme dans l'autre, la gloire n'est que le prix de la lutte; c'est la lutte qui classe les hommes et détermine les mérites de chacun; la lutte vous tient sans cesse en haleine, elle enfante le progrès moral et religieux.

1 Lettre CCII.

L'hérésie a prodigieusement servi au développement des idées et des croyances chrétiennes; elle a amené le développement d'un corps de doctrines le plus vaste et le plus complet qui ait jamais existé. A chaque attaque, la vérité répondait par un de ces puissants envoyés de Dieu qu'on nomme les pères de l'Église. A côté de chaque grand ennemi qui conjurait la ruine de l'œuvre divine, s'élevait un grand homme de foi pour le terrasser. Le point du christianisme qu'on menaçait, s'entourait alors de plus de force; des flots de clartés ruisselaient là où un peu de nuit avait servi de prétexte à des opinions nouvelles; tout ce qui n'était qu'en germe ou en indication dans les Écritures prenait d'imposantes et lumineuses proportions; on avait espéré détruire, et l'effet de ces coups multipliés, de ce long acharnement, c'était de faire monter plus haut, d'agrandir et d'achever l'édifice de la foi catholique. Sans l'hérésie, c'est-à-dire sans la nécessité de l'explication et de la défense, nous connaîtrions moins à fond la religion chrétienne, plus imparfaitement le sens des Écritures. Le divin fondateur du christianisme avait suspendu je ne sais quels beaux nuages autour de la majesté de son monument; pour honorer l'homme, il lui laissa la mission de dissiper peu à peu ces ténèbres sacrées, à mesure que l'incrédulité attaquerait un des points de l'œuvre immortelle : l'hérésie est venue, et, par la parole des Pères de l'Église, le jour s'est fait de tous côtés; le Verbe éternel leur donnait quelque chose de sa puissance; les Pères de l'Église répandaient la lumière sur toutes les parties de la création morale. Disons donc avec l'Apôtre : Il faut qu'il y ait des hérésies', et revenons à Augustin qui va porter les derniers coups à Pélage et à Celestius.

1 Oportet et hæreses esse.

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