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Le grand docteur était resté à Carthage après le concile du 1er mai. Il y passa tout l'été jusqu'au mois de septembre, époque de son départ pour Césarée. Durant ce temps il reçut de ses amis Pinien, Albine et Mélanie, une lettre au sujet d'un entretien que ces illustres et pieux Romains avaient eu en Palestine avec Pélage, à la fin de l'année 417. Augustin leur adressa une réponse qui forme les deux livres de la Grâce de Jésus-Christ et du Péché originel. Pélage, qui reculait souvent devant sa propre doctrine, avait dit à Pinien :

<< J'anathématise celui qui pense ou qui dit que la grâce « de Dieu, par laquelle le Christ est venu sauver les pé<«< cheurs en ce monde, n'est pas nécessaire, non-seulement « pour chaque heure et pour chaque moment, mais encore « pour chacun de nos actes. Que ceux qui s'efforcent de « détruire cette grâce soient condamnés aux peines éter<< nelles. >>

Ces paroles paraissaient fort suspectes à Augustin; il pensait qu'il fallait juger Pélage, non point sur des aveux arrachés par l'argumentation catholique, mais sur les ouvrages qu'il avait envoyés à Rome, et qui étaient le produit réfléchi de sa pensée. Or Pélage ne vit jamais dans la grâce que la faculté de choisir et la connaissance de la loi. Augustin cite des fragments de l'ouvrage de Pélage sur le Libre Arbitre, qui établissent cette doctrine en termes formels. Il démontre ensuite qu'autre chose est la loi et autre chose la grâce, et développe les caractères de la vraie grâce chrétienne. Il venge saint Ambroise des louanges que lui donnait Pélage en l'invoquant à l'appui de son erreur, et cite les paroles de l'évêque de Milan, tirées de son second livre de l'Exposition de l'Évangile selon saint Luc :

« Vous voyez que partout la vertu du Seigneur se mêle « aux efforts humains; personne ne peut édifier sans le

« Seigneur, garder sans le Seigneur, et rien commencer « sans le Seigneur. C'est pourquoi, selon l'Apôtre, soit « que vous mangiez, soit que vous buviez, faites toutes << choses pour la gloire de Dieu. »>

Augustin reproduit d'autres paroles du grand Ambroise. Pélage distinguait trois choses par lesquelles s'accomplissaient les commandements de Dieu : la possibilité, la volonté, l'action. Avec la première, l'homme peut être juste; avec la seconde, l'homme veut être juste; avec la troisième, l'homme devient juste. Augustin soutient avec saint Paul que c'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire'. Les lettres de Pélage à saint Paulin, à l'évêque Constantius, à la vierge Démétriade, sont conformes à ses quatres livres du Libre Arbitre pour la négation de la grâce qui justifie.

Dans le deuxième livre sur le Péché originel, Augustin fait voir que les Pélagiens n'osaient pas refuser aux enfants le bain de régénération et de la rémission des péchés, parce que les oreilles chrétiennes ne l'auraient point supporté, mais qu'ils ne croyaient pas au péché originel transmis par la génération charnelle. Le docteur cite un fragment des actes de l'assemblée de Carthage où fut jugé Celestius; interrogé par Aurèle sur le péché du premier homme, Celestius ne voulut jamais reconnaître que la rébellion d'Adam eût blessé le genre humain tout entier. Le saint évêque retrouve la même erreur de Celestius dans sa profession de foi adressée au pape Zozime. Il raconte comment Zozime condamna Celestius, et comment il enveloppa dans le même anathème Pélage, malgré ses efforts pour tromper le Siége apostolique. Un examen détaillé de la défense de Pélage ne montre à Augustin que la justice dans l'arrêt qui a frappé le moine breton.

1 Velle et perficere. Philip., 11, 12.

Les pélagiens, pour effacer sur leur front la tache d'hérésie, avaient imaginé de soutenir que la question du péché originel n'était pas une question de foi. Augustin leur met sous les yeux quelques exemples de questions qui sont du pur domaine des opinions humaines : ce qu'était, où était le Paradis terrestre, où Dieu plaça le premier homme; en quel lieu ont été transportés Élie et Énoch; comment saint Paul a été élevé au troisième ciel; combien il y a de cieux; combien d'éléments dans le monde visible; pourquoi les hommes des premiers temps du monde vivaient si longtemps; en quel lieu a pu vivre Mathusalem, qui, d'après plusieurs versions de la Bible, survécut au déluge sans avoir été sauvé dans l'arche de Noé. On peut penser ce qu'on veut sur ces divers points et d'autres semblables; mais il n'en est pas de même du péché originel. L'évêque d'Hippone fait consister la foi chrétienne dans la cause de deux hommes qui sont Adam et Jésus-Christ :

« Par l'un, dit-il, nous avons été vendus sous le péché; ༥ par l'autre, nous nous sommes rachetés des péchés; par <«< l'un, nous avons été précipités dans la mort; par l'autre, << nous sommes délivrés pour aller à la vie. Le premier << nous a perdus en lui, en faisant sa propre volonté et non « pas la volonté de Celui qui l'avait créé; le second nous « a sauvés en faisant non point sa volonté, mais la vo« lonté de Celui qui l'avait envoyé. Il n'y a qu'un Dieu, et « un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ << homme. »

Le péché originel est donc un dogme fondamental de notre foi. Augustin parle des anciens justes qui, contrairement aux opinions de Pélage et de Celestius, n'ont pu être sauvés que par la foi dans le médiateur, et multiplie, en finissant ce deuxième livre, les témoignages de saint Ambroise en faveur du péché originel et de la grâce de Jésus

Christ. Il faut que Pélage condamne son erreur, ou qu'il se repente d'avoir loué saint Ambroise.

Le séjour de Pélage en Palestine avait altéré les croyances, et surpris la bonne foi de beaucoup de chrétiens. Les ruses du moine voyageur avaient fait des ravages à Jérusalem, à Diospolis ou Lydda, à Ramatha, à Césarée. Il importait que ces pays, traversés chaque année par une foule de pèlerins, apprissent la vérité tout entière sur Pelage et Celestius, sur les écrits et les actes qui avaient motivé et précédé leur condamnation. Les deux livres d'Augustin à Albine, à Pinien, à Mélanie, allaient au-devant de tout, répondaient à tout et mettaient l'Orient en pleine connaissance de la question.

CHAPITRE XL

Césarée, aujourd'hui Cherchell.-Conférence de saint Augustin avec Emérite, évèque donatiste de Césarée. — Abolition d'une sanglante coutume de cette ville à la suite d'un discours de saint Augustin. Traits de mœurs de cette époque.

418

A vingt lieues à l'ouest d'Icosium, aujourd'hui Alger, s'élevait aux bords de la mer une ville qui ne le cédait qu'à Carthage en magnificence et en étendue : c'était Julia Césarée. Son enceinte, dont on peut suivre encore les traces, offrait plus de trois lieues de circuit. La dévastation n'a pas été aussi profonde, aussi complète à Césarée qu'à Carthage; de magnifiques colonnes, mille vestiges d'une grandeur antique étonnent encore les regards; si on en juge par tous les précieux débris que chaque jour révèle, on peut même croire que Césarée était pour les Romains un lieu de prédilection, et qu'ils se plaisaient à la faire resplendir de tout l'éclat des monuments et du luxe des arts. La beauté du

site explique cette prédilection des maîtres du monde; maintenant encore de riches vergers couvrent tout le versant de Césarée; des champs fermés par des haies de cactus y étalent leur fécondité. Les environs ne présentent que vignes et jardins. Césarée n'attirait pas seulement par ses coteaux fertiles et ses ravissants paysages; sa position était formidable. Du côté de la terre, on ne pouvait arriver à la ville que par deux défilés d'une très-facile défense; le côté de la mer présentait seul quelque chance de succès à l'invasion; et, du reste, un mur de quinze mètres de hauteur suivait, sur un espace de plus de trois mille mètres, toutes les sinuosités du rivage.

En 1842, quand les Français fouillèrent le sol pour la construction de deux casernes, des statues se rencontrèrent sous les coups des travailleurs; des dieux et des amours sortirent de dessous terre; le paganisme enseveli par les siècles revit le jour dans ses froides et muettes images; le fer des travailleurs les mutila; ce fut regrettable, car l'ancien génie des arts respirait dans ces statues. Sur un autre point, à deux mètres au-dessous du sol, on trouva des traces d'un ancien temple et de vastes palais entourés de péristyles.

On admire la hardiesse de ces monuments, qui reposaient sur une multitude de colonnes, dont les bases étaient demeurées intactes des tronçons de ces colonnes couvraient des pavés en mosaïque. Le théatre offre encore les siéges où se pressaient les spectateurs; la scène a disparu sous des constructions mauresques. Le cirque, plus vaste que celui de Nîmes, n'a point traversé aussi heureusement les âges. Une rivière qui se nomme aujourd'hui Hakem fournissait de l'eau aux fontaines de Césarée; elle passait sur un aqueduc superbe, aux arches colossales; l'imagination peut restituer à l'aqueduc toute sa beauté, par l'examen

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