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de son temps était ainsi', et si les jeux d'esprit sont plus 'fréquents dans les œuvres de l'évêque d'Hippone que dans les œuvres de saint Ambroise ou de saint Jérôme, c'est qu'il était doué d'une plus vive intelligence, d'une nature plus subtile. Quant aux Pères grecs de cette époque, ils sont plus près du bon goût, parce que la langue grecque gardait mieux sa pureté que la langue latine. Saint Jean Chrysostome est un plus grand orateur que saint Augustin, saint Basile a plus de charme et de poésie dans la parole, saint Grégoire de Nazianze a plus d'éclat; mais l'évêque d'Hippone est plus touchant et plus persuasif que tous ces grands hommes-là.

Y a-t-il une parole humaine supérieure à celle qui sait le mieux remuer et persuader?

CHAPITRE XLIII

Lettre au comte Boniface sur les devoirs des hommes de guerre. Lettres à Optat sur l'origine de l'âme; au prêtre Sixte sur la question pélagienne; au diacre Célestin; à Mercator; à Aselicus.- Lettres à Hesichius sur la fin du monde.

418-419

Augustin, l'homme le plus occupé de son temps, l'homme à qui aboutissaient le plus de questions et d'affaires, ne pouvait pas rester plusieurs mois loin d'Hippone sans que de tous les points d'Occident et d'Orient les lettres vinssent s'y accumuler. Que de solutions et de conseils étaient attendus! combien d'intelligences, combien d'âmes soupiraient au loin après cette parole que le monde recevait comme un bienfait, et qui s'en allait à travers la terre ainsi qu'un rayon divin! Une lettre de l'évêque d'Hippone

Fénelon, dans ses Dialogues sur l'Éloquence, a apprécié l'éloquence de saint Augustin.

était un événement heureux; on s'en nourrissait, on s'en pénétrait, on s'efforçait d'en saisir jusqu'aux intentions les plus cachées, et de nombreuses copies mettaient une multitude d'hommes en possession du trésor. Lorsqu'on attendait une réponse d'Hippone, les semaines et les jours étaient comptés; les flots, les vents et les voyageurs étaient interrogés; et si rien n'arrivait, on endurait le supplice d'un trop long retard avec une impatience grande comme la joie qu'on se promettait. En revenant à Hippone après une absence dont s'affligeait son troupeau, Augustin trouva beaucoup de vœux à remplir.

La correspondance de l'année 418 trace tout d'abord leurs devoirs aux hommes de guerre. Augustin fait voir au comte Boniface qu'on peut se sauver dans la profession des armes, et qu'il est permis aux chrétiens de combattre pour les intérêts de la paix et la sécurité du pays. Il cite David, vainqueur en beaucoup de batailles; le centenier de l'Évangile, dont la foi fut si vive que Jésus-Christ déclara n'avoir point trouvé en Israël une foi pareille à la sienne; Corneille, cet autre centenier, à qui Dieu annonça par un ange qu'il avait agréé ses aumônes et exaucé ses prières. Augustin rappelle que saint Jean, répondant à des soldats venus pour lui demander le baptême et le supplier de leur prescrire leurs devoirs, leur adressa ces paroles: Ne faites ni fraude ni violence à personne, et contentez-vous de votre paie.

<«< Il en est qui, en priant pour vous, dit Augustin à Bo<< niface, combattent contre d'invisibles ennemis; vous, en << combattant pour eux, vous travaillez contre les barbares « trop visibles... Lorsque vous vous armez pour le com« bat, songez d'abord que votre force corporelle est aussi « un don de Dieu; cette pensée vous empêchera de tour<< ner un don de Dieu contre Dieu lui-même. La foi pro

<< mise doit être gardée à l'ennemi même à qui on fait la << guerre : combien plus encore elle doit l'ètre à l'ami pour << lequel on combat! On doit vouloir la paix, et ne faire la «< guerre que par nécessité, pour que Dieu nous délivre de «< la nécessité de tirer l'épée et nous conserve dans la << paix. On ne cherche pas la paix pour exciter la guerre; « mais on fait la guerre pour obtenir la paix. Restez donc << ami de la paix, même en combattant, afin que la victoire « vous serve à ramener l'ennemi aux avantages de la paix. « Bienheureux les pacifiques, dit le Seigneur, parce qu'ils « seront appelés enfants de Dieu! Si la paix de ce monde « est si douce pour le salut temporel des mortels, com<< bien est plus douce encore la paix de Dieu pour le salut << éternel des anges! Que ce soit donc la nécessité et non << pas la volonté qui ôte la vie à l'ennemi dans les com« bats. De même qu'on répond par la violence à la rébel« lion et à la résistance, ainsi on doit la miséricorde au << vaincu et au captif, surtout quand les intérêts de la paix « ne sauraient en être compromis. >>

Il y a dans ces paroles que nous venons de reproduire tout un plan de politique chrétienne à l'usage des armées; pendant que nos jeunes troupes, belles de gloire et de patriotisme, combattent en Afrique pour rejeter au loin le génie de la barbarie, elles peuvent entendre d'utiles et grandes leçons sortir des ruines d'Hippone.

Durant le séjour de notre docteur à Césarée, on avait reçu des lettres d'Optat, évêque de Tubunes, adressées aux évêques de la Mauritanie Césarienne; Optat voulait savoir quelle était la pensée d'Augustin sur l'origine de l'àme; deux pontifes prièrent le grand docteur d'écrire lui-même sur ce sujet à l'évêque de Tubunes; il céda à leurs instan

1 S. Matth., V, 9.

1

ces, et, dans une lettre étendue, il exposa ses doutes, et marqua ce qu'il importait de savoir sur la question pour laquelle on sollicitait son génie.

Augustin commence par déclarer qu'il ne s'est jamais prononcé définitivement sur cette matière, et qu'il ne poussera jamais la hardiesse jusqu'à donner aux autres pour certain ce qui lui paraît douteux à lui-même. On peut sans danger ignorer l'origine de l'âme; mais il faut se garder de croire qu'elle fasse partie de la substance de Dieu. L'âme est une créature; elle n'est pas née de Dieu, mais Dieu l'a faite; lorsqu'il l'adopte, c'est par une merveille de sa bonté, et non point par aucune égalité de nature. La présence de l'âme dans un corps corruptible n'est la peine d'aucune faute dans je ne sais quelle autre vie antérieure à la vie de la terre. Voilà les points qu'établit Augustin. Après avoir repoussé l'opinion de Tertullien, qui admet quelque chose de corporel dans la nature de l'àme comme dans la nature de Dieu, l'évêque d'Hippone fait observer que, parmi les sentiments divers sur l'origine de l'âme, la propagation des àmes s'accorde le mieux avec le dogme du péché originel. Toutefois Augustin ne trouve pas ce sentiment facile à admettre. Il ne conçoit guère comment l'âme de l'enfant peut sortir de l'âme du père et passer du père dans l'enfant, semblable à un flambeau qui allume un autre flambeau sans que ce nouveau feu diminue le premier. Il se demande si un germe d'âme passe du père dans la mère par quelque voie invisible et cachée, et si, chose incroyable, le germe de l'àme réside dans la matière génératrice: dans ce cas, que deviendrait le germe incorporel quand la matière se perd sans rien produire? rentrerait-il dans le principe d'où il est sorti?

1 Lettre CXC.

périrait-il? et, s'il périssait, comment d'un germe mortel sortirait-il une àme immortelle ? L'àme ne reçoit - elle l'immortalité qu'après qu'elle a été formée pour la vie, comme elle ne reçoit la sagesse que plus tard? Dirons-nous que Dieu forme l'âme dans l'homme, si elle naît d'une autre àme, comme on dit que Dieu forme les membres du corps quoiqu'un autre corps en ait fourni la matière? Si Dieu n'était pas l'auteur de l'àme humaine, l'Écriture' n'aurait pas dit : « Dieu fait l'esprit de l'homme dans << l'homme lui-même. Il fait séparément les cœurs". »> Quand l'homme, dit Augustin, pose des questions semblables, que notre entendement ne peut résoudre, et qui sont bien loin de notre expérience parce qu'elles sont cachées dans les secrets de la nature, il ne doit pas rougir de confesser son ignorance, de peur de mériter de ne rien savoir en se vantant de connaitre ce qu'il ignore. Dieu qui a fait chaque souffle 3, selon l'expression d'Isaïe, est l'auteur de toutes les âmes dont la succession doit remplir le temps; mais il a laissé leur origine dans une impénétrable obscurité.

3

La lettre à Optat renferme le fragment d'une des lettres dans lesquelles Zozime a condamné Celestius et Pélage; cette pièce ne se trouve dans aucune collection ecclésiastique; le fragment conservé par Augustin établit l'efficacité du baptême et le péché originel, et tire un grand prix de la perte de l'Épître pontificale. « Le Seigneur, disait Zo<< zime, est fidèle dans ses paroles, et son baptême, par la «chose et les paroles, c'est-à-dire par l'œuvre, la confes<«<sion et la véritable rémission des péchés, contient la << même plénitude pour tout sexe, tout àge et toute condi<«<tion du genre humain. Celui-là seul devient libre, qui

1 Zach., XII, 1.
2 Ps. XXXII, 15.
3 Isaïe, LVII, 16.

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