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sons ni la profondeur ni l'étendue; il en est ainsi des autres facultés de l'homme. « Les forces de mon intelligence, dit « Augustin à Victor, ne me sont pas entièrement connues, « et je crois que vous êtes comme moi. » La volonté ignore aussi sa puissance comme sa faiblesse ; l'apôtre Pierre voulait mourir pour son Maître et n'avait pas trompé le Sauveur en le lui promettant; mais ce grand homme, qui avait connu que Jésus était le Fils de Dieu, ne se connaissait pas lui-même. Victor avait osé dire que si l'homme ne savait pas l'origine de son âme, il serait semblable à la bête. Augustin répond qu'on est pareil à la bête si on vit selon la chair, si on borne l'existence aux terrestres limites, si on n'espère rien après la mort, et non point si on confesse son ignorance. «Que ma timidité de vieillard, ô mon fils! dit « le grand évêque à Victor, ne déplaise pas trop à votre « présomption de jeune homme. >>

Abordant ensuite la question de la nature de l'âme, Augustin prouve à Victor que l'âme est esprit et non pas corps. Victor avait dit : Si l'âme n'est pas un corps, elle ne peut être je ne sais quelle substance vide. Or le jeune philosophe croyait que Dieu était esprit. L'évèque lui fait remarquer que Dieu, dont la substance est immatérielle, n'est pas pour cela quelque chose de vide. L'incorporéité de l'âme peut donc être quelque chose de réel. Victor, par une in⚫terprétation inexacte d'une parole de saint Paul', distinguait dans l'homme trois substances: l'âme ou l'homme intérieur, l'esprit ou l'homme intime, le corps ou l'homme extérieur. Mais saint Paul, dans ce même passage dont abusait le jeune Africain, dit que notre homme intérieur sera renouvelé à l'image de Dieu. Le grand apôtre établit par là l'unité et la spiritualité de notre âme : il n'appar

1 Thessal., V,

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T. II.

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tient qu'à une substance immatérielle de pouvoir être l'image de Dieu. Les idées de Victor sur la corporéité de l'âme seront renversées par l'argumentation et les explications d'Augustin. Le ciel et la terre, les fleuves, les mers, les forêts et les animaux nous apparaissent dans nos songes; les variétés de l'univers subsistent dans notre pensée et sont contenues dans les profondeurs de la mémoire; elles sortent de je ne sais quels coins secrets lorsque nous avons besoin de nous en souvenir, et se présentent en quelque sorte devant nos yeux. Si l'âme était un corps, pourraitelle saisir par la pensée ces grandes et vastes images, et la mémoire pourrait-elle les contenir?

Augustin, en finissant, engage le jeune Africain à ne pas se plaire dans son surnom de Vincent, le chef des rogatistes, s'il veut être le Victor (le vainqueur) de l'erreur : « Ne croyez pas savoir une chose quand vous l'ignorez, lui << dit-il; mais pour apprendre apprenez à ignorer 2. On ne << pèche point en ignorant quelque chose des secrets ou« vrages de Dieu, mais en donnant témérairement pour «< choses connues celles qui ne le sont point, mais en pro<< duisant et en défendant le faux à la place du vrai. » Si Victor désire connaître toutes les erreurs dont son ouvrage abonde, qu'il vienne à Augustin sans ennui et sans difficulté. « Ce ne sera point, lui dit ce grand homme, un dis<«<ciple qui viendra trouver un maître, mais un jeune <«< homme qui se rendra auprès d'un vieillard, un homme «< vigoureux qui visitera un malade. »

Cette douceur généreuse et cette parfaite condescendance, réunies à tout l'ascendant d'une admirable raison,

1 On reconnait ici un jeu de mots comme on en trouve souvent dans les écrits de saint Augustin; c'est un des défauts de la latinité africaine de cette époque.

2 Sed ut scias, disce nescire.

ne furent point inutiles; Victor, dont l'esprit était sincère et qui n'avait cédé qu'à un mouvement irréfléchi de jeunesse et à la fougue du génie africain, se rendit aux opinions de l'évêque d'Hippone; il reconnut qu'il s'était trompé, et remercia Augustin de lui avoir fait toucher du doigt ses erreurs avec une si paternelle bonté. La charité et le génie, ces deux grandes puissances de ce monde, ne se donnent pas toujours la main; mais quand leur sublime alliance vient à se montrer dans le même homme, oh! alors la vérité prend une force irrésistible.

CHAPITRE XLV

Autorité de saint Augustin établie par les plus illustres témoignages. - Les sept livres des Locutions et les sept livres des Questions sur les sept premiers livres de l'Ecriture. Les quatre livres contre les deux Épîtres des péla giens. Contre Gaudentius et contre le mensonge. Lettre à Optat. · Contre l'adversaire de la Loi et des Prophètes. — Durée et transformations diverses du manichéisme.

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Il est doux pour l'historien d'un grand homme de pouvoir s'entourer des hommages rendus à sa mémoire et prêter l'oreille aux concerts des siècles. Ces voix, parties de haut, nous excitent à l'accomplissement d'une grave et laborieuse tache, et donnent à notre ame une sorte d'énergie mélée de joie. On ferait un livre avec les témoignages imposants qui se sont produits depuis quatorze cents ans en l'honneur d'Augustin; nous ne songeons donc point à tout recueillir; nous voulons nous en tenir à quelques paroles qui expriment les opinions des plus glorieux représentants des divers ages chrétiens.

On a vu dans les chapitres précédents comment Augustin fut jugé par ses contemporains, et nous n'avons pas à nous

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occuper ici de l'admiration des Jérôme, des Paulin, des Simplicien et des Prosper; écoutons un moment les siècles qui ont suivi le siècle d'Augustin. Isidore de Séville' disait qu'Augustin, par sa science et son génie, avait vaincu les études de tous ses prédécesseurs. Ildefonse de Tolède ' ne croyait point permis de contredire Augustin. De même que le soleil surpasse en lumière toutes les planètes, disait Remi d'Auxerre 3, ainsi Augustin l'emporte sur tous les docteurs dans l'explication des Ecritures. Rupert * appelle Augustin la colonne et le firmament de la vérité : « L'évêque d'Hippone, ajoute Rupert, est la colonne lumineuse sur laquelle la Sagesse de Dieu a placé son trône. »

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Nous avons cité à l'occasiondes commentaires des Psaumes l'admiration de Cassiodore; nous pourrions citer Bède, qui nous représente dans sa tige le grand ordre de SaintBenoît, et Alcuin 3, le maître de Charlemagne. D'après le pape Martin V, tous ceux qui savent quelque chose du Christ, de la foi, de la religion, prononcent le nom d'Augustin, comme si sans Augustin rien ne pouvait être compris ni expliqué: « Grâce à Augustin, c'est Martin V qui « parle, nous n'envions point aux philosophes leur sa«gesse, aux orateurs leur éloquence; nous n'avons plus << besoin de la pénétration d'Aristote, du charme persuasif « de Platon, de la prudence de Varron, de la gravité de « Socrate, de l'autorité de Pythagore, de la pénétration « d'Empedocle... lui seul nous représente le génie et les

1 Etym., lib. VI, cap. VIII.

2 Sermon de B. Viry.

3 In Epist. II ad Cor.

4 De Operat. Spirit. sanct., lib. VII, cap. xIx.

5 Charlemagne eut un jour l'idée de s'entourer de douze clercs, comme saint Augustin et saint Jérôme; Alcuin lui répondit : « Le Créateur du ciel « et de la terre n'en a pas eu plusieurs, et vous voulez en avoir douze ! » 6 Sermon sur la translation de sainte Monique.

« études de tous les Pères... Qui voudrait défendre la re«<ligion sous un autre chef qu'Augustin? » Grégoire le Grand disait : « Si vous désirez prendre une délicieuse « nourriture, lisez les ouvrages du bienheureux Augustin; << ne cherchez pas notre son (nostrum furfurem) quand vous << avez la fleur de son froment 1. »

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Saint Thomas, la gloire de l'ordre de Saint-Dominique, et proclamé l'Ange de l'école, n'est autre chose dans le fond, dit Bossuet 3, et surtout dans les matières de la prédestination et de la grâce, que saint Augustin réduit à la méthode de l'école. Saint Bernard se faisait gloire de suivre la théologie de saint Augustin, et Pierre le Vénérable l'appelle le maître de l'Église après saint Paul. Des louanges infinies se presseraient sous notre plume si nous voulions mentionner les témoignages de tant de papes en faveur de l'évêque d'Hippone. Il sera plus curieux d'entendre Luther, Mélanchthon et Calvin, mêler leurs voix aux voix catholiques, dans cet hymne de louanges parti de tous les pays de la terre.

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Le moine de Wittemberg pensait que, depuis les apôtres, nul docteur n'avait été comparable à Augustin. Il était doux à Mélanchthon d'invoquer Augustin dans son école. «< Sa << doctrine, ajoute Mélanchthon, étant nécessaire à l'Église, <«< c'est avec raison que nous devons aimer Augustin, qui a

1 Reg., lib. VIII, cap. xxxvII.

2 Un biographe de saint Augustin, Lancilot, parle d'une vision où saint Thomas d'Aquin se montrait couvert d'une chape semée d'étoiles et lançant au loin de célestes rayons; un royal diadème ornait sa tête. A côté de l'Ange de l'école apparaissait un évêque revêtu des mêmes splendeurs et portant une barbe vénérable. L'évêque, prenant la parole, dit : Celui-là est Thomas, et moi je suis Augustin; j'ai fait de Thomas mon compagnon; dans les passages les plus difficiles de la doc'rine sacrée, il suit mon opinion et la défend.

3 Défense de la trad. et des saints Pères, liv. VI, chap. xxiv. 4 Déclamat. sur saint Augustin.

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