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aux morts', composé en réponse à une lettre de saint Paulin de Nole. Augustin et Paulin, âmes tendres et d'une exquise sensibilité, devaient mieux que d'autres comprendre cette piété pour ceux qui ne sont plus, ce besoin d'être utile aux proches et aux amis, après même qu'ils ont disparu de la vie.

Une dame d'Afrique, Flora, qui était veuve, ayant perdu son fils au pays de Nole, avait prié saint Paulin de permettre qu'on l'ensevelît dans une église; une autre mère avait obtenu que le corps de son fils, appelé Cynegius, reposât dans la basilique Saint-Félix à Nole. A cette occasion, Paulin écrivit à l'évêque d'Hippone pour lui demander s'il pouvait servir de quelque chose à un mort d'être enterré dans une église; il pensait, quant à lui, que les soins de ces parents religieux et fidèles ne devaient pas ètre inutiles, et que la coutume universelle de l'Église de prier pour les morts ne pouvait pas être vaine. La réponse d'Augustin fut admirable.

L'évêque d'Hippone commença par dissiper un doute de saint Paulin fondé sur ce passage de l'Apôtre : « Nous pa<< raîtrons tous devant le tribunal du Christ, pour que «< chacun soit jugé selon les choses qu'il a faites par son « corps, soit le bien, soit le mal. » Ces paroles de saint Paul établissent la nécessité des œuvres personnelles pour mériter ou démériter aux yeux de Dieu; on ne saurait en conclure l'inutilité de la prière pour les morts; elles prouvent seulement que le pieux souvenir donné aux trépassés ne leur profitera qu'autant qu'ils l'auront mérité durant leur vie.

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Augustin rappelle que les livres des Machabées 1 parlent d'un sacrifice pour les morts. Si rien de pareil ne se ren

i De Cura pro mortuis gerenda. Liber unus.

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contrait dans les anciennes Écritures, ce ne serait pas peu de chose que la coutume du prêtre catholique priant à l'autel pour les trépassés. Nous laisserons aux païens la croyance que les âmes qui n'ont pas reçu les honneurs de la sépulture ne passent point le sombre fleuve ; la sépulture du corps ne fait rien à la destinée de l'âme que de corps -de chrétiens la terre n'a point couverts! Ces fidèles n'auront pas perdu le ciel pour cela; Dieu, qui remplit la terre de sa présence, saura bien trouver et ressusciter les corps perdus à travers l'espace. Les obsèques solennelles sont plutôt des consolations pour les vivants que des secours pour les morts; les funérailles du pauvre couvert d'ulcères, emporté par les anges dans le sein d'Abraham, sont plus illustres devant Dieu que les pompeuses funérailles du mauvais riche et le marbre de son monument. Mais si la destinée de l'âme humaine n'est point soumise au soin qu'on prend du corps après le trépas, il faut se garder de mépriser les corps des morts, vases et organes de l'esprit pour toutes les bonnes œuvres. Le vêtement, l'anneau paternel est cher aux enfants: combien doivent être plus chers les corps, ces restes qui, durant la vie, ont appartenu plus étroitement à des parents aimés! Le corps est plus qu'un ornement de l'homme, il fait partie de sa propre nature. Tobie fut agréable à Dieu en ensevelissant les morts. Le Sauveur loue d'avance la sainte femme qui devait répandre sur ses membres ressuscités un parfum précieux; et l'évangéliste saint Jean loue ceux qui s'étaient occupés de l'ensevelissement du divin Maître. Le dogme de la résurrection future place sous la providence de Dieu le corps de ceux qui ne sont plus.

S'il y a une sorte de religion pour l'ensevelissement des morts, le lieu de leur sépulture ne saurait être indifférent. En les plaçant sous le patronage d'un saint, on a des occa

sions de songer à lui recommander ceux qu'on aime. La magnificence d'un monument a pour but de retracer plus vivement une image chérie ou vénérée; la basilique d'un martyr, qui abrite des dépouilles bien chères, invite à l'affectueuse oraison. L'Église, comme une tendre mère, prie pour tous les morts, sans les nommer, afin de réparer l'oubli de ceux qui négligent leurs devoirs envers les proches ou les amis. Nul n'a jamais haï sa chair, dit l'Écriture, et c'est cet amour de la chair qui inspire le désir qu'on prenne soin de notre sépulture; nous avons peur que quelque chose ne manque à notre corps après la mort. Les martyrs, vainqueurs de cet amour de la chair, ne songeaient point à leur sépulture; les fidèles y songeaient pour eux, et, après le supplice, s'attristaient de ne pouvoir rendre les derniers devoirs aux confesseurs de la foi. Pourquoi, dit Augustin, pourquoi le roi David bénit-il ceux qui donnèrent la sépulture aux ossements arides de Saül et de Jonathas? C'est que la pitié avait ému leurs cœurs, et qu'ils accordaient ce qu'ils désiraient pour eux après leur mort. Augustin parle ensuite des apparitions des morts dans nos rêves et aussi des apparitions des vivants.

Voilà toute la fleur de ce livre qui achevait d'établir dans le monde catholique un mystérieux commerce inconnu à l'antiquité, le commerce des vivants avec les morts, à l'aide de la prière. Par là le temps et l'éternité se touchent, le monde visible et le monde invisible conversent ensemble comme il nous appartient de soulager encore ceux qui sont sortis de la vie, nous triomphons en quelque sorte du trépas, et nous pouvons dire à la mort : Où est ton aiguillon? où est ta victoire?

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CHAPITRE XLVII

Les chrétiens de Fussale. - Affaire d'Antoine de Fussale.— La Règle de Saint-Augustin.

422-423

Il semble que ceux-là seuls qui ont éprouvé toutes les infirmités de l'âme humaine puissent bien les comprendre : on croit avoir le droit d'attendre plus de miséricorde de la part des hommes qui sont tombés. Voilà pourquoi Augustin est un des saints personnages vers lesquels nous nous sentons le plus attirés; les fautes de sa jeunesse en ont fait l'un de nous; et comme il est sorti de nos rangs pour prendre son essor vers les hauteurs divines, plus la pauvre humanité s'est montrée en lui, plus nous admirons les merveilles de sa vie nouvelle. L'exemple d'Augustin nous prouve qu'il n'est pas d'abîme d'où l'homme ne puisse être tiré, et que les plus sombres ténèbres se changent en resplendissantes lumières quand il plaît à Dieu. Cet exemple glorieux nous prouve aussi que l'amour de la vérité est déjà une bien grande chose, et que Dieu le couronne par une science vaste et soudaine dont le monde est étonné. Nous verrons jusqu'à lå dernière heure ce ferme génie debout dans les combats chrétiens; les tristesses et les embarras du fardeau épiscopal importuneront en vain l'illustre pasteur d'Hippone.

Nous n'avons rien de nouveau à tirer de la réponse d'Augustin aux huit questions religieuses du tribun Dulcitius, frère de Laurentius, dont il a été parlé au chapitre précédent. Il nous faut raconter une affaire qui causa un grand ennui à l'évèque d'Hippone. L'année 423 le vit malheu

reux.

Il y avait à quarante milles d'Hippone un bourg appelé Fussale : quelques faits merveilleux s'étaient passés de ce côté-là. Un ancien tribun, nommé Hesperus, possesseur d'une métairie appelée Zubedi, auprès de Fussale, se plaignait que les esprits malins tourmentassent ses esclaves et son bétail1; Augustin était absent d'Hippone; Hesperus demanda un de ses prêtres pour mettre en fuite les démons avec des prières; un prêtre se rendit sur les lieux, offrit le saint sacrifice de la messe, et la métairie fut délivrée. Hesperus avait reçu d'un de ses amis un peu de terre de Jérusalem, de cette terre consacrée par les pas et la sépulture de Jésus-Christ; il s'en était muni comme d'un préservatif contre les démons, car il craignait fort d'être livré lui-même à leurs atteintes. Il tenait dans sa chambre cette terre révérée; mais après l'expulsion des malins esprits, Hesperus crut qu'il fallait trouver pour la relique une destination digne de son grand prix. Dès qu'Augustin fut de retour à Hippone, l'ancien tribun le pria de vouloir bien venir le voir; le saint docteur se trouvait dans le voisinage de Fussale avec Maximin, évêque de Sinit; les deux pontifes arrivèrent chez Hesperus. Après que celui-ci leur eut tout raconté, il leur proposa de déposer la sainte terre de Jérusalem dans quelque endroit où pût s'élever une chapelle catholique. Les intentions d'Hesperus furent remplies. Un jeune paysan paralytique recouvra l'usage de ses jambes par la vertu de la terre apportée du Calvaire.

Malgré ces prodiges, dont il serait difficile d'apprécier l'authenticité, le territoire de Fussale renfermait à peine quelques catholiques; presque tous les habitants du bourg et des environs appartenaient au schisme des donatistes. La piété d'Augustin en était vivement affligée. Les pre

1 Cité de Dieu, liv. XXII, chap. VIII.

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