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<< que tout le bien vient de Dieu, et tout le mal de nous « seuls. Que sert de rechercher curieusement les moyens « de concilier notre liberté avec les décrets de Dieu? << N'est-ce pas assez de savoir que Dieu qui l'a faite, la sait <«< mouvoir et la conduire à ses fins cachées, sans la dé<< truire?... Cette vie est le temps de croire, comme la vie « future est le temps de voir; c'est tout savoir, dit un « Père', que de ne rien savoir davantage : Nihil ultra scire, « omnia scire est. »

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Nous devons noter, dans l'année 427, le retour à la foi catholique du moine Leporius, par la puissante intervention de notre docteur. Quelques savants ont confondu ce Leporius avec un prêtre de ce nom, qui assistait à l'acte d'élection du successeur d'Augustin, et que nous avons vu figurer dans un des sermons de l'évêque d'Hippone sur la Vie et les mœurs des clercs. Celui dont il s'agit ici, originaire de Marseille, n'était point élevé à la dignité sacerdotale; Augustin, dans sa lettre à Proculus et à Cylinnius, évêque des Gaules, l'appelle son fils, et les évêques n'appliquaient cette désignation qu'à des laïques. Leporius avait nié l'incarnation du Fils de Dieu. Proculus, évêque de Marseille, qui a mérité les louanges de saint Jérôme, condamna et chassa des Gaules, de concert avec l'évêque Cylinnius, le moine rebelle à l'enseignement de l'Église. Leporius, venu en Afrique, suivi de quelques complices de son erreur, rencontra l'homme qui, par sa science et sa parole persuasive, pouvait le mieux éclairer son intelligence et toucher son âme. Il se rétracta solennellement dans une profession de foi que rédigea le grand Augustin lui-même; le moine de Marseille et ses compagnons la signèrent dans l'église de Carthage, en présence 1 Saint Augustin.

2 Lettre CCXIX.

d'Aurèle, d'Augustin et de deux autres évêques, Florent et Secondin. Cette profession de foi était destinée à rétablir la doctrine catholique sur l'incarnation du Verbe auprès de tous les chrétiens des Gaules que Leporius avait pu troubler ou scandaliser. Une lettre, signée d'Aurèle, d'Augustin, de Florent et de Secondin, mais rédigée par l'évêque d'Hippone, s'en alla dans les Gaules annoncer à Proculus et à Cylinnius le retour religieux de Leporius et de ses compagnons; les évêques africains joignaient à cette épître une copie de la rétractation, revêtue des signatures. Ainsi, Augustin avait pratiqué cette maxime du grand apôtre « Consolez les faibles, recevez les infirmes'. » Leporius ne voulut plus quitter l'Afrique; l'angélique séduction d'Augustin l'enchaîna loin de son pays.

CHAPITRE LII

Le comte Boniface, trahi par Aetius, appelle à son secours les Vandales pour le défendre contre les forces de l'empire romain.- Lettre de saint Augustin au comte Boniface. - Ses écrits contre les ariens.

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Les jours d'Augustin avaient été les jours les plus glorieux de l'Afrique chrétienne. Les manichéens vaincus devant Dieu et devant les hommes, et ne pouvant plus supporter les regards des catholiques, dont ils furent longtemps les perfides persécuteurs; les donatistes convaincus d'erreur, d'ignorance, de mauvaise foi, et le retour d'un très-grand nombre d'entre eux à l'unité religieuse; l'initiative prise à Carthage contre les pélagiens, et la controverse sur cette question capitale, soutenue avec tant

1 Thessal., v, 14.

de supériorité par l'évêque d'Hippone ces grands faits donnaient un vif éclat à l'Église africaine, plaçaient bien haut son autorité, et portaient sa renommée dans tout l'univers. L'Afrique chrétienne, du temps d'Augustin, est un puissant foyer de lumière, ou plutôt Augustin était à lui seul cette lumière dont les rayons allaient éclairer les peuples soumis à la loi de Jésus-Christ. Il avait plu à Dieu de faire de grandes choses par les mains du docteur d'Hippone; mais Dieu ne voulut point accorder à son serviteur la pieuse joie de quitter ce monde avec des consolations et des espérances pour son cher pays d'Afrique : les deux dernières années de la vie d'Augustin devaient être profondément attristées par le spectacle d'immenses malheurs; l'illustre et saint vieillard était condamné à voir sa patrie livrée aux barbares; et, ce qui ajoutait sans doute à son affliction, c'est que la main même d'un de ses amis avait ouvert la porte à d'effroyables calamités!

L'empire d'Occident était alors gouverné par Valentinien III, ou plutôt, dit Gibbon', régnait sa mère Placidie, qui n'avait ni le génie d'Eudoxie, morte exilée à Jérusalem, ni la sagesse de Pulchérie, sœur du jeune Théodose. Aetius, âme intrépide et fortement trempée, mais incapable de supporter la gloire d'un rival, conçut un affreux dessein qui devait être la vraie cause des désastres de l'Afrique, cette portion si riche et si belle de l'empire romain. Il jouissait d'un crédit considérable sur l'esprit de

1 Histoire de la décadence de l'empire romain.

2 Aetius fut chanté par deux poëtes, Quintianus et Mérobaudes : il n'est resté de Quintianus que son nom cité par Sidoine Apollinaire. Niebuhr (San-Galli, 1823) et Weber (Corpus poetarum latinorum, Francfort-sur-leMein, 1832) ont publié les chants de Mérobaudes, échappés au temps. Mérobaudes, comme Claudien, vit sa statue s'élever dans le forum de Trajan. M. Beugnot (Histoire de la Destruction du paganisme) a donné d'intéressauts détails sur ce poëte païen, qui fut général des troupes romaines en Espagne.

la mère de Valentinien. Voulant perdre Boniface, gouverneur de l'Afrique, il imagina de tromper à la fois Placidie et le comte. Aetius peignit Boniface comme un ennemi secret, et décida Placidie à le rappeler de l'Afrique; en même temps il fit dire au comte de se garder d'obéir aux ordres de l'impératrice, parce que son rappel cachait un piége horrible. Boniface demeura donc à son poste, et ce fut alors qu'Aetius put sans peine convaincre Placidie de la rébellion du gouverneur de l'Afrique. Bientôt le comte se vit menacé de toutes les forces de l'Occident, commandées par Aetius lui-même.

Les blessures que l'injustice fait au cœur sont toujours les plus profondes; l'amer ressentiment qu'on éprouve est de nature à pousser aux inspirations du désespoir. En présence du violent orage dirigé contre lui, sans avoir rien fait pour mériter de telles colères, Boniface songea aux barbares, ces instruments de toutes les vengeances divines et humaines. Il expédia à Gonderic, roi des Vandales, un messager fidèle, chargé de lui offrir l'alliance du comte et le tiers des possessions romaines dans l'opulente Afrique : de pareilles propositions n'étaient jamais refusées. En voyant le messager de Boniface, les Vandales croyaient déjà apercevoir les fécondes et magnifiques contrées promises à leur bravoure. La mort de Gonderic, qui mit Genseric à leur tête, vint donner à l'entreprise de terribles conditions de succès. L'armée vandale, mêlée de Goths d'Alains et d'hommes d'autres nations, évaluée à cinquante mille combattants, passa d'Espagne en Afrique, au mois de mai 428; les Espagnols, heureux d'être délivrés d'hôtes aussi redoutables, fournirent avec un joyeux empressement les navires pour franchir le détroit de Gibraltar.

Divers alliés que le génie de Boniface avait tirés de l'intérieur de l'Afrique étaient venus ajouter aux forces du

gouverneur romain, dont la trahison venait de faire un révolté. Trois généraux de l'empire furent mis en déroute; mais ces défaites, qui diminuaient les forces romaines, n'étaient qu'un déplorable acheminement vers l'exclusive domination des barbares.

On se demande ici quelle était l'attitude d'Augustin vis-à-vis de l'homme, son ami, que des décrets de l'empire venaient de déclarer ennemi public. A la fin de l'année 427, Boniface était allé le visiter à Hippone; mais le saint évêque se trouvait alors si souffrant, qu'il n'eut pas même assez de force pour lui adresser la parole. Depuis ce temps Augustin n'avait point vu Boniface et n'avait pu lui écrire. Il n'était plus facile de garder des relations avec le comte; on eût été frappé de suspicion pour la moindre trace de correspondance avec le rebelle. L'évêque d'Hippone gémissait des maux qui commençaient à désoler l'Afrique, et surtout des maux plus grands encore qui la menaçaient; il attendait une occasion sûre pour donner d'utiles conseils à son ami. Cette occasion se présenta: le diacre Paul fut chargé d'une lettre qui est un monument historique d'un grand prix. En voici la substance :

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Durant la maladie et quelque temps après la mort de sa première femme, Boniface avait eu le désir de quitter le monde et de se consacrer entièrement à Dieu; il confia ce dessein à Augustin, en présence d'Alype, dans un secret entretien qui eut lieu à Tubunes. L'évêque d'Hippone le détourna de son projet par des raisons tirées de l'intérêt de l'empire, et aussi de l'intérêt de la religion elle-même ; il pensait qu'en demeurant à la tête des troupes romaines, dans les provinces d'Afrique, Boniface rendrait plus de services à la religion qu'en embrassant la vie monastique;

1 Lettre CCXX.

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