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saint Augustin; mais le génie humain donne parfois le spectacle d'inconséquences étranges. Bossuet nous dit que Grotius s'arrêta dans un chemin uni sans avoir enfanté l'esprit de salut qu'il avait connu ; « tant il est difficile aux savants <«< du siècle, accoutumés à tout mesurer à leur propre sens, << d'en faire cette parfaite abdication qui seule fait les « catholiques'. »

CHAPITRE LIV

Correspon

Réconciliation du comte Boniface avec l'impératrice Placidie. dance de saint Augustin avec Darius. Lettre à Honoré sur les devoirs des prêtres dans les calamités publiques. — Peinture de la dévastation de l'Afrique par les Vandales. - L'Ouvrage imparfait contre Julien. Mort de saint Augustin.

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Les Vandales, qui menaçaient l'empire dans les régions africaines, menaçaient aussi la foi catholique : ils professaient un arianisme passionné. Les intérêts romains et les intérêts catholiques en Afrique étaient les mêmes. L'alliance du comte Boniface avec Genséric était quelque chose de monstrueux et de funeste qu'il fallait d'abord faire cesser: c'est à quoi tendaient toutes les pensées, tous les vœux des fidèles africains. On soupçonnaît que l'origine de ces déplorables événements cachait une trame de mensonge; mais comment se faire jour dans les ténébreuses profondeurs des intrigues de cour? Augustin s'en occupait tristement et presque sans cesse; sa sévère et belle lettre à Boniface avait parlé de devoir et de dévouement; il avait disposé le comte à revenir à la cause impériale, et depuis lors, il travaillait à lui ouvrir la porte de la réconciliation. Par son inspiration, une ambassade d'évêques, à la tête

Dissertation sur Grotius.

desquels figurait Alype, prit le chemin de l'Italie; cette ambassade avait mission de découvrir la vérité et d'opérer un rapprochement entre l'impératrice Placidie et le comte Boniface. A la fin d'une lettre à Quodvultdeus, diacre de Carthage, Augustin lui disait : « Si vous avez des nouvelles « du voyage de nos saints évêques, je vous prie de m'en <«< informer1. » Nous ne savons rien de précis sur la manière dont furent découvertes les machinations d'Aetius; la vérité put sortir des explications échangées entre Placidie et les évêques africains et de la comparaison des lettres à Carthage. Dès que la fatale erreur de Placidie se trouva reconnue, des amis apportèrent au comte les regrets de l'impératrice, et négocièrent la réconciliation 2.

Le retour sincère de Boniface est une des plus belles pages de sa vie; il fallait pour cela une force d'âme bien supérieure à la grandeur qu'on déploie sur un champ de bataille. C'est la religion qui, par la bouche d'Augustin, avait préparé Boniface à cet acte d'héroïsme. Le négociateur principal fut Darius, personnage important de la cour impériale, élevé, quelques années après, à la dignité de préfet du prétoire. Il parvint aussi à obtenir des Vandales une trêve. L'évêque d'Hippone ne le connaissait point; mais il se hâta de lui écrire une lettre de félicitation, qui exprime la joie des populations catholiques de l'Afrique ; il lui vantait les bienfaits de la paix, et l'invitait à se réjouir d'avoir été chargé d'une si heureuse mission. Augustin se serait rendu auprès de Darius, si les infirmités de la vieillesse le lui avaient permis.

La réponse de Darius fut prompte et toute pleine d'une respectueuse admiration pour l'évêque d'Hippone; elle est

1 Lettre CCXXII.

2 Procope, Guerre des Vandales, livre I.

3 Lettre CCXXIX.

un monument de l'opinion contemporaine sur ce grand homme, et l'élégance du style nous prouve que les belles traditions littéraires ne périssaient point encore dans les rangs élevés de la société romaine. Cette lettre1 de Darius est la vive expression du regret de n'avoir vu ni entendu Augustin. S'il avait pu voir la lumière céleste du visage de l'évêque, et entendre cette voix divine qui ne profère rien que de divin, Darius ne s'écrierait pas comme Virgile : Trois et quatre fois heureux, mais heureux mille et mille fois! Si jamais un tel bonheur lui arrivait, il croirait recevoir, non pas du haut du ciel, mais dans le ciel même, les instructions qui mènent à l'immortalité; il croirait les recevoir, non de loin et comme hors du temple de Dieu, mais au pied mème du trône de sa gloire. A défaut de cette félicité, il s'est rencontré que deux évêques, Urbain et Novat, aient dit du bien de lui à Augustin. Leur témoignage a été comme une couronne magnifique qu'ils ont posée sur sa tête, couronne formée, non point de fleurs périssables, mais de pierreries d'une beauté qui ne passe pas. Darius demande à Augustin de prier pour lui, afin de pouvoir un jour ressembler au portrait qu'ils ont fait de son àme. La plus grande des peines de Darius, après celle de ne pas jouir encore de la vue de Dieu, était de ne pas avoir vu Augustin et de n'être pas connu de lui, et voilà qu'Augustin lui dit qu'il connaît sinon son visage, au moins son esprit et son cœur!

Augustin avait dit que Darius avait étouffé la guerre par la force de sa parole; Darius en convient, et ajoute que s'il n'avait pas étouffé la guerre, il l'aurait au moins fort éloignée, et qu'il a écarté de menaçantes tempêtes; il espère que la trêve deviendra une paix solide. Quoique Darius fût

1 Lettre CCXXX.

chrétien et que ses parents fussent chrétiens aussi, pourtant il n'avait pas tout à fait rompu avec les superstitions païennes; il avoue à Augustin qu'il doit à ses ouvrages de s'être complétement séparé du paganisme. Darius le prie de lui envoyer un exemplaire de ses Confessions. Les dernières lignes de sa lettre contiennent un ardent désir de recevoir une seconde lettre de l'évêque d'Hippone.

:

1

Les vœux de Darius ne tardèrent pas à être comblés. Dans une nouvelle lettre 2, Augustin parlait à Darius du plaisir que lui avait fait l'expression de ses sentiments. Ce n'est pas de l'éloquence de cette lettre, ni des louanges de Darius que le grand docteur se montre le plus touché les éloges de tout le monde n'arrivent pas au cœur d'Augustin; mais ce qui lui a plu dans la lettre de Darius, c'est d'avoir été loué par Jésus-Christ même. Dans un brillant festin en Grèce, on pria Themistocle, un des convives, de jouer d'un instrument; il s'en excusa, et témoigna peu d'empressement pour ces sortes de plaisirs : « Qu'aimezvous donc ? » lui dit-on. « J'aime, répondit-il, à entendre dire du bien de moi. » Lorsqu'on lui demanda ce qu'il savait, Themistocle répondit qu'il savait faire une grande république d'une petite. « Il n'y a personne, disait Ennius, qui << n'aime à être loué. » Augustin trouve du bien et du mal dans ce sentiment naturel à tous les hommes. Il faut se garder d'aller jusqu'à la vanité: Horace, qui avait l'œil plus perçant qu'Ennius, disait : « Êtes-vous malade de l'amour « des louanges? certaines expiations pourront vous en « guérir après une lecture de choix trois fois répétée3. »

1 Il est question, dans la lettre de Darius, de la fameuse lettre d'Abgare et de la réponse de Jésus-Christ, rangées depuis longtemps au nombre des. pièces apocryphes.

2 Lettre CCXXXI. C'est la dernière lettre de saint Augustin dont la date soit connue. Elle doit être de la fin de l'année 429.

3 Epit. I.

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Les louanges des hommes ne doivent pas être le but de nos actions, mais il ne faut pas toujours les repousser; les louanges données aux gens de bien sont utiles à ceux qui les donnent. L'Apôtre a fait entendre sur ce point de beaux enseignements. Une chose dans la lettre de Darius a surtout ravi l'évêque d'Hippone, c'est de voir que Darius est son ami. En lui envoyant les Confessions, Augustin lui dit : << Regardez-moi là dedans, de peur que vous ne me jugiez meilleur que je ne suis; là c'est moi et non pas d'au« tres que vous écouterez sur mon compte; considérez-moi << dans la vérité de ces écrits, et voyez ce que j'ai été lorsque j'ai marché avec mes seules forces; si vous y trouvez << quelque chose qui vous plaise en moi, faites-en remonter <«< la gloire à Celui que je veux qu'on loue, et non pas à «< moi-même. Car c'est Dieu qui nous a faits et nous ne << nous sommes pas faits nous-mêmes; nous n'étions parvenus qu'à nous perdre; mais Celui qui nous a faits nous a refaits. Quand vous m'aurez connu dans cet ouvrage, << priez pour moi afin que je ne tombe pas, mais afin que « j'avance; priez, mon fils, priez »>

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Le saint vieillard envoie à Darius, outre les Confessions, le livre de la Foi des choses invisibles, les livres de la Patience, de la Continence, de la Providence, et le livre de la Foi, l'Éspérance et la Charité. Si Darius peut les lire tous durant son séjour en Afrique, il est supplié d'en dire son avis à Augustin, de le lui transmettre ou de le confier au vénérable Aurèle à Carthage. Le saint docteur le remercie des remèdes qu'il a envoyés pour le soutien de sa santé débile, et de ses générosités pour l'augmentation et la réparation de la bibliothèque de la communauté.

La paix que se promettait Darius, et avec lui Augustin et toute l'Afrique catholique, ne devait pas être de longue durée. Comment espérer que les Barbares, une fois entrés

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