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tobre 1695, des réparations étant devenues nécessaires dans l'intérieur de la Confession de Saint-Pierre-du-Ciel-d'or, les ouvriers qui y travaillaient découvrirent la châsse d'Augustin, après avoir démoli un premier mur de briques qui la cachait. Aussitôt les travaux furent suspendus. Les chanoines réguliers et les ermites gardiens, qui les avaient ordonnés simultanément et à frais communs, s'empressèrent de venir vérifier 1 importante découverte; plus tard, une commission fut nommée par le pape Benoît XIII, pour tout examiner de nouveau. Après les enquêtes les plus sévères et les plus minutieuses, elle constata solennellement l'authenticité des reliques. Cette authenticité fut alors confirmée par une bulle du souverain pontife.

Aujourd'hui les reliques de saint Augustin reposent dans la cathédrale de Pavie. Le magnifique monument qui les renferme est dû surtout à la piété généreuse du saint vieillard qui gouverne en ce moment l'église Saint-Cyr.

Voilà, cher ami, l'histoire de toutes les translations des reliques d'Augustin qui ont devancé la translation solennelle à laquelle nous venons prendre part. Il est bien aisé, vous le voyez, de suivre de station en station ces restes vénérables, et s'il y a quelques incertitudes sur des dates peu importantes, il n'y en a point sur les faits principaux. Quand même l'authenticité de nos reliques ne serait pas appuyée sur l'autorité apostolique, qui est irréfragable pour tout catholique, elle ne le serait pas moins sur des preuves si nombreusss et si positives qu'il n'y aurait pas moyen de la nier sans nier en même temps les faits historiques les mieux attestés. J'espère qu'il se trouvera ici des gens qui raconteront tout cela au journaliste incrédule. Si nous ne partions pas demain matin, j'aurais pu m'en charger moi-même. Vous voyez que je suis assez bien au courant de cette histoire; ce n'est pas étonnant, puisque j'en ai lu aujourd'hui même tous les détails dans le tome VI des Bollandistes, qui m'est tombé sous la main en parcourant les tablettes d'un de mes amis de Toulon. Chacun pourra y lire facilement les pièces originales, qui s'y trouvent reproduites in extenso. Pour moi, j'aime bien mieux, en ce moment, aller prouver par mes hommages l'authenticité des reliques d'Augustin que de le prouver par une dissertation.

Adieu, cher ami; je crains vraiment que vous ne pensiez que j'ai pris trop au pied de la lettre mes obligations d'annaliste. Jamais chronique plus diffuse et plus bariolée que la mienne. Après toutes ces longues pages que je vous envoie pour l'acquit de ma conscience, votre conscience de lecteur pourra très-bien, sans scrupule, les laisser de côté si elles vous ennuient. Sur cela, bonsoir. Je vais dormir, si la folle du logis, que tous ces événements surexcitent, le permet. Demain matin, il nous faut être sur pied de bonne heure. On an

nonce que nous devons aborder à Cagliari. Si nous nous arrêtons un peu de temps en Sardaigne, je suis capable de vous écrire et de vous donner des nouvelles de notre départ de Toulon et de notre raversée.

LETTRE TROISIÈME.

A bord du Gassendi, en vue des côtes de Sardaigne, 27 octobre 1842.

Nous venons, cher ami, d'assister à un beau et bien touchant spectacle. J'en ai l'âme encore tout émue. Le pont du Gassendi s'est trouvé tout à coup transformé en nef de cathédrale. A l'arrière du vaisseau, autour des saintes reliques, posées sur un autel improvisé, sept évêques vêtus de leurs ornements sacrés étaient rangés comme en un sanctuaire. Leurs prêtres étaient près d'eux en habits de chœur. Tout l'équipage du Gassendi, composé de cent braves et religieux Bretons, se tenait debout en face à côté du grand mât, et se disposait à assister à l'office divin qu'on allait célébrer. Le ciel avait cette belle nuance de bleu tendre que nous lui voyons quelquefois dans nos journées les plus sereines d'automne, en Provence. L'air était si pur et si transparent que les côtes de Sardaigne, laissées à notre gauche à une distance d'environ dix lieues, nous paraissaient tout à fait voisines. La mer était calme et unie comme un lac. Le soleil, près de se plonger dans son sein, inondait l'horizon de ses feux. Les rayons réfléchis et brisés par les flots formaient à notre droite un immense torrent de lumière. L'astre se dressait comme un phare étincelant du côté des plages occidentales de l'Algérie, et semblait nous marquer le but radieux de notre voyage. De beaux nuages de pourpre se balançaient dans les airs comme des encensoirs d'or. Çà et là de légers flocons d'une vapeur argentée s'élevaient pareils à la fumée des saints parfums. On aurait pu les prendre aussi pour de petites nacelles aériennes nageant à travers l'azur des cieux. Le Gassendi, couvert de toutes ses voiles, paré de ses pavillons, avec ses mâts pour flèches et ses cordages semblables aux nervures d'une cathédrale gothique, marchait, poussé par une force mystérieuse et toute-puissante. A ce spectacle, dont je ne puis vous rendre que très-imparfaitement la magnificence, mon âme ravie a perdu un moment le sentiment de l'existence terrestre. Je me figurais que nous avions vraiment quitté le monde et que, montés sur la barque symbolique de l'Église, nous voguions vers les rivages de l'éternité. Tout à coup des chants bien

connus se sont fait entendre, et j'ai été tiré de cet état où mon esprit flottait entre la rêverie et l'extase.

Puisque aussi bien me voilà rappelé au sentiment de la réalité, il faut, ami, que je vous explique ce qui a donné lieu à cette scène imposante, que je voudrais mais que je ne puis vous retracer.

Vous savez qu'en partant de Toulon nous avions le projet de toucher à Cagliari. C'était une belle pensée de faire suivre aux restes d'Augustin, pour le retour triomphant, la même route qu'ils avaient suivie pour l'exil, de saluer en passant cette terre hospitalière qui avait recueilli les débris de l'Église d'Afrique, et de consoler un in*stant de son long veuvage cette tombe sacrée de la basilique de SaintSaturnin qui, durant plus de deux siècles, avait porté dans son sein les ossements d'Augustin. J'avais au fond du cœur un motif particulier qui me faisait souhaiter vivement cette relâche à Cagliari. Je puis vous l'accuser ici entre nous, ne fût-ce que pour donner un exemple de plus de cette étonnante diversité de sentiments et de mobiles que l'homme mène de front, qui agissent sur lui à la fois et déterminent confusément ses désirs et ses actions. Vous avez vu quelquefois chez moi un vieux maître d'italien. C'est un pauvre Sarde réfugié qui m'a appris, quand j'étais jeune, à bégayer la langue du Tasse. Compromis dans les événements politiques du Piémont, il a depuis vingt ans quitté son pays dont un jugement capital lui interdit l'entrée. Horreur des révolutions! En quoi donc, je vous le demande, cette tête aujourd'hui si calmée et toute grisonnante peut-elle importer au repos du monde? Quoi qu'il en soit, le pauvre exilé avait laissé en partant une femme encore jeune et un enfant au berceau. Bien souvent il m'en parlait en pleurant, tout en me donnant sa leçon d'italien. Alors émus l'un et l'autre nous oubliions notre version et le temps qui s'écoulait. Or cette femme et cet enfant habitaient Cagliari, et c'était pour moi un doux bonheur d'aller les voir, de leur parler de l'exilé, et d'apporter au retour de leurs nouvelles à l'époux et au père infortuné.

Malheureusement ce projet de relâche en Sardaigne n'a pas pu se réaliser. Il fallait arriver à Bône le 28 octobre. C'était ainsi annoncé, et d'ailleurs ce jour était l'anniversaire du sacre de monseigneur Dupuch. Il fallait aussi être arrivé à Alger le 1er novembre pour y célébrer la fête de la Toussaint. Or on pouvait craindre de voir tous ces beaux plans dérangés si l'on s'arrêtait à Cagliari. Les vents et les flots sont changeants. Nous pouvions être retenus en Sardaigne par des temps contraires; un retard de vingt-quatre heures venait tout gâter. Le concile des évêques ou, si vous aimez mieux, le conseil s'assembla à bord pour en délibérer. On voulut avoir, comme c'était raisonnable, l'avis du commandant, et celui-ci, avec la prudence d'un vieux ma

rin qui se confie tant qu'on veut, mais ne se fie jamais à la mer, conseilla sans hésiter de prendre le parti le plus sûr. Durant la délibération, les yeux tournés vers la Sardaigne où une douce brise, comme un souffle béni de la Providence, semblait nous pousser, j'avoue que je faisais des vœux ardents pour qu'on s'en tînt au projet primitif.

En nous annonçant qu'il était abandonné, on nous dit que, puisque le temps le permettait, on célébrerait au moins en face de Cagliari l'office des saints Confesseurs, en l'honneur d'Augustin et aussi en manière de salut pour la cité hospitalière. Aussitôt tous les préparatifs sont faits pour la cérémonie à laquelle monseigneur de Châlons est prié de présider. En même temps le Ténare, qui marche de conserve avec nous, reçoit avis de notre changement de direction. On essaie même de lui faire comprendre, au moyen de ce langage des signes usité en mer, et qui s'exprime par la couleur variée des pavillons, la cérémonie qui allait avoir lieu et à laquelle il était invité de s'unir. Les vêpres solennelles des Confesseurs commencent ensuite, et ce sont ces chants, ces préparatifs, toute cette pompe religieuse qui dans ce lieu, à cette heure, entre cette mer et ce ciel, ont pris tout à coup à mes yeux un caractère ravissant de sublimité.

Jamais je n'ai mieux compris, en effet, qu'en ce moment la beauté et aussi la nécessité de la prière. Tantôt la prière sortait de mon cœur comme un cri d'enthousiasme. Portée sur ses ailes de feu, mon âme montait à travers ces espaces infinis au milieu desquels nous flottions et s'élançait dans le sein de Dieu. Tantôt c'était le soupir de ma misère et le cri de mon néant. Suspendu sur un gouffre sans fond, entre l'immensité des cieux et l'immensité des mers, le pied posé sur ce cratère ardent qui mugissait dans les entrailles du navire, je me sentais emporté comme un atome léger et impuissant. Mon existence me semblait comparable à celle de la goutte d'eau perdue au sein de l'Océan ou à la fumée que le Gassendi vomissait.

A la fin des vêpres, le vénérable évêque de Châlons a pris entre ses mains les saintes reliques et il s'est avancé gravement au milieu du pont. Tourné du côté des rivages de la patrie que nos yeux ne pouvaient voir, il a béni d'abord solennellement, ou plutôt le bras d'Augustin a béni pour lui la France, cette mère magnanime et bien-aimée qui porte dans son sein tant de grandes pensées, et qu'on ne peut quitter un instant sans ressentir aussitôt pour elle cet attachement tendre et exalté qu'elle inspire à ses enfants.

Le vénérable prélat a béni ensuite l'Afrique, la patrie d'Augustin; France nouvelle qui nous appartient doublement, par le droit des armes et par celui des idées, et où nous sommes, à l'heure qu'il est, les germes d'une grande civilisation pour l'avenir.

Enfin il a béni la Sardaigne, que nous laissions à regret, et qui avait bien droit à ce souvenir et à cet hommage.

L'instant de cette triple bénédiction a été un instant sublime. La ́ voix du pontife était altérée par l'émotion. On sentait à ses paroles que son âme avait reçu l'impression de cette scène magnifique qui se déroulait sous nos yeux. Elles sortaient de son cœur imprégnées en quelque sorte de tous les sentiments que cette scène faisait naître, et que j'aurais voulu pouvoir vous exprimer.

Après les vêpres, monseigneur l'archevêque de Bordeaux a adressé quelques mots à l'équipage. Les matelots se sont aussitôt rangés en cercle autour de lui. Parmi eux j'avisai un vieux gargoussier qui tenait dans ses mains noircies un livre d'heures. Je l'avais vu quelquefois assis dans l'entre-pont et lisant. Sous sa mine de Sainte-Barbe, il avait un aspect recueilli et grave qui m'a frappé, et je suis sûr que si jamais le Gassendi reçoit son baptême de feu, mon vieux gargoussier fera vigoureusement son devoir. Devant les matelots se trouvaient les petits mousses, nu-pieds, nu-tète, avec leur air d'écureuil éveillé et étourdi qui me charmait.

Le noble orateur, comme s'il avait été le missionnaire ou le curé d'autrefois, a adressé à tous ces hommes des paroles simples et affectueuses qu'ils comprenaient très-bien et dont on voyait qu'ils étaient touchés. Il leur recommandait la fidélité aux habitudes et aux résclutions pieuses de leurs premières années passées sous le toit paternel, au milieu de la religieuse Bretagne. Il leur faisait entendre la voix de leur mère qui priait pour eux peut-être en ce moment, et de ce curé dont les conseils avaient guidé et éclairé leur jeunesse. Il leur rappelait les sentiments si purs et les émotions si vives qu'ils avaient éprouvés le jour de leur première communion. Il les exhortait à ne pas oublier ce Dieu qui avait été si bon pour eux, ce Dieu qui était si grand, et dont la puissance se manifestait si admirablement dans tous ces beaux et terribles spectacles qui frappaient si souvent leurs yeux dans leur vie de marin.

Que tout cela était touchant, cher ami, et combien la religion paraissait en ce moment imposante! Ah! qu'il est triste de penser que sa voix ne se fait plus entendre sur nos navires, et que ses consolations et ses secours sont refusés précisément à ceux dont la vie pleine de fatigues et de périls en aurait le plus besoin! Puisse un jour notre pays le comprendre! Puisse-t-il rappeler sur ses flottes et dans ses armées les ministres de Dieu, et avec eux la prière, qui attirent la bénédiction du ciel! Puissent surtout ces ministres se montrer toujours dignes, plus dignes peut-être en général que par le passé, de leur sublime et difficile mission!

Mais tandis que je me livre avec vous, cher ami, à ces réflexions

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