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Revenant à la justification gratuite par la grâce sans les œuvres de la loi, le grand évêque dit que l'effet de l'esprit de grâce c'est de retracer en nous l'image de Dieu, à laquelle nous avions été primitivement formés, et que le mal avait gravement altérée.

Augustin répond aux pélagiens, qui voyaient dans la grace chrétienne la destruction du libre arbitre; il montre que la gràce, au contraire, établit le libre arbitre comme la foi établit la loi; la grâce, en guérissant l'àme humaine, lui rend l'amour de la justice, et replace la volonté dans l'équilibre primitif. Le docteur soutient que la foi est un don de Dieu, que tout pouvoir vient de Dieu, mais que Dieu, en donnant ce pouvoir, n'impose aucune nécessité. Si la volonté de croire vient de Dieu, tous les hommes, dira-t-on, devraient l'avoir, puisque Dieu appelle tous les hommes au salut. Augustin répond que le libre arbitre étant placé dans une sorte de milieu entre la foi et l'infidélité, il peut s'élever vers l'une ou se précipiter dans l'autre ; que la volonté même par laquelle l'homme croit en Dieu sort du fond de ce libre arbitre donné à l'homme au moment de sa création; en sorte que le libre arbitre et la volonté de croire lui viennent de Dieu. Or Dieu appelle tous les hommes au salut et à la connaissance de la vérité, mais sans leur ôter le libre arbitre, dont le bon ou le mauvais usage fait la moralité des œuvres.

L'évêque d'Hippone observe que la volonté de croire vient de Dieu, en ce sens aussi que Dieu, par sa lumière et sa persuasion, agit pour nous faire vouloir et nous faire croire; il agit au dehors par les instructions, au dedans par des mouvements secrets que nous sentons malgré nous, mais qu'il nous appartient de suivre ou de repousser : la volonté humaine consent ou ne consent pas à la vocation de Dieu. « Si quelqu'un demande, continue l'illustre Père, T. II. 4

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pourquoi l'un est persuadé des vérités qu'on lui prêche, « et pourquoi l'autre n'en est pas persuadé, il ne me vient « dans l'esprit que ces deux choses à lui répondre avec « l'Apôtre : O profondeur des richesses de la sagesse et de la « science de Dieu! combien ses jugements sont incompréhen«sibles et ses voies impénétrables! Y a-t-il en Dieu de l'injustice? Si cette réponse ne lui plaît pas, qu'il cherche « des hommes plus doctes; mais qu'il prenne garde d'en << trouver de plus présomptueux ! » Augustin termine le livre de l'Esprit et de la lettre par des louanges en l'honneur du grand Apôtre, qui, dans sa belle Épître aux Romains, a posé le fondement de la grâce chrétienne, et le premier a pénétré ce mystère de bonté divine et d'harmonie morale.

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Pauline, cette grande servante de Dieu, comme l'appelle Augustin, avait prié l'illustre évêque de lui écrire bien au long sur la question de savoir si Dieu peut être vu des yeux du corps; Augustin, accablé de soins et d'affaires, et livré à des travaux graves dont il lui répugnait de se distraire, avait différé de répondre à la pieuse Romaine. Dès les premières pages de sa lettre, il fait entendre à Pauline qu'une vie pure en apprend plus sur les choses de Dieu que les plus éloquents discours; il faut surtout ouvrir aux paroles de la sagesse le cœur de cet homme intérieur qui se renouvelle de jour en jour pendant que l'homme extérieur périt

3 Rom., XI, 33.

d'heure en heure sous les coups de la pénitence, de la maladie ou du temps; il faut ouvrir ce sanctuaire où JésusChrist habite par la foi, élever cette intelligence qui, se renouvelant par la connaissance de Dieu, exprime l'image du Créateur, cette partie de nous-même selon laquelle il n'y a ni Juif, ni Gentil, ni affranchi, ni esclave, ni homme, ni femme portion sublime par où Pauline n'a pas vieilli, quoiqu'elle soit chargée d'ans, et par où elle est sûre de ne pas mourir lorsque son âme se détachera de son corps. Ce que dira Augustin dans cette lettre, Pauline ne devra pas se faire une loi de le croire, uniquement parce qu'Augustin l'a dit on ne doit se rendre qu'à l'autorité des Écritures dans les choses qu'on ne comprend pas, ou à la lumière intérieure de la vérité dans les choses qu'elle fait comprendre. Il y a dans ces paroles d'Augustin à la fois une grande modestie et un grand respect pour la liberté de la raison humaine.

Augustin parle de deux vues: celle du corps, par laquelle nous voyons le soleil et tous les objets sensibles; celle de l'âme, par laquelle chacun voit intérieurement qu'il existe, qu'il est vivant, qu'il veut, qu'il cherche, qu'il sait ou qu'il ne sait pas. Cette définition de la vue de l'âme établit l'évidence intime comme base de certitude et renferme le fameux cogito de Descartes, dont les germes se retrouvent, ainsi que nous l'avons déjà plusieurs fois remarqué, dans l'ensemble des pensées philosophiques du grand évêque d'Hippone. Nous ne pouvons voir Dieu dans cette vie ni avec les yeux du corps ni avec les yeux de l'àme, mais nous savons qu'on peut voir Dieu par ces paroles de l'Écriture: <«< Heureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront « Dieu!» Voila un exemple de l'autorité des Livres saints. pour déterminer notre croyance. Dans tous les points où l'on n'est poussé à croire ni par les yeux de l'esprit ni par les

yeux du corps, en l'absence du témoignage des Livres canoniques, on est libre d'accorder ou de refuser son adhesion. - Reste la foi de l'histoire, la foi du genre humain, indépendante du témoignage de nos sens et du témoignage de l'Écriture. C'est ainsi que nous savons la fondation de Rome par Romulus, la fondation de Constantinople par Constantin; c'est ainsi que nous connaissons nos père et mère et nos aïeux. Ces diverses règles de certitude qu'Augustin donne à Pauline ont une grande valeur philosophique.

Après avoir montré la différence qu'il y a entre croire et voir des yeux de l'esprit, Augustin explique quelques apparentes contradictions de l'Écriture sur la vision de Dieu; il cite un beau passage de saint Ambroise, tiré de son traité de l'Évangile de saint Luc, et donne de ce passage de l'évêque de Milan un commentaire éloquent et profond, où son génie semble s'élever jusqu'aux splendeurs de l'essence divine. Il prouve par l'Évangile qu'on peut voir Dieu ; l'Évangile a dit : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, parce «< qu'ils verront Dieu. » Quand l'Écriture a dit que Dieu est invisible, elle a parlé de sa nature; Dieu s'est montré aux hommes, non pas tel qu'il est, mais sous la forme qu'il lui a plu d'emprunter. Nous verrons Dieu un jour comme les anges le voient; car dans le ciel nous serons égaux aux anges. On ne verra point Dieu comme quelque chose d'étendu dans l'espace, mais par la seule pureté du cœur; les organes de nos sens ne pourront pas l'atteindre; il ne frappera point l'oreille comme un son dans les airs. C'est le Verbe, Fils unique du Père, qui nous fera entrer dans la plénitude de la divine substance.

Le grand évêque fait ressortir l'excellence des yeux de l'esprit, leur supériorité sur les yeux du corps; il établit avec des traits admirables l'immatérialité de notre intelli

gence et de Dieu. Fermons les yeux, et considérons dans nos pensées le ciel et la terre; nous gardons en nousmêmes les images de la création; nul n'est assez fou pour croire que le soleil, la lune, les étoiles, les fleuves, les mers, les montagnes, les collines, les cités, les murs de sa maison ou de sa chambre, demeurent dans sa pensée comme des corps en mouvement ou en repos, placés de distance en distance; si donc les lieux et les corps représentés dans notre âme n'y sont pas placés comme dans un espace, que dirons-nous de la charité, de la joie, de la patience, de la paix, de l'humanité, de la bonté, de la foi, de la douceur, de la tempérance, qui n'ont aucun rapport avec l'étendue ? Nul intervalle ne les sépare entre elles, l'œil de l'àme n'a besoin d'aucune distance pour les voir; elles sont distinguées les unes des autres sans que nulle limite les sépare. Aperçoit-on le lieu qu'habite la charité? A-t-on mesuré sa grandeur comme on mesure une masse? Quand la charité nous invite intérieurement à suivre ses règles, entendons - nous un son qui frappe notre oreille? Ouvrons-nous la paupière pour la voir, les bras pour la saisir, et sentons-nous sa marche lorsqu'elle vient dans notre esprit?

Si donc ce peu de charité qui est en nous échappe à l'étendue, aux yeux et à tous les sens du corps, à toutes les limites, à plus forte raison Dieu, qui l'a mis dans notre àme, échappe-t-il à toutes les conditions de la matière? Si notre homme intérieur, image de Dieu lui-même, quoiqu'il se renouvelle de jour en jour, habite dejà cependant dans une lumière inaccessible aux yeux du corps; et si tout ce que nous voyons dans cette lumière avec les yeux de l'âme ne connaît ni espace ni limite, combien doit être inaccessible seulement aux cœurs purs, la lumière où Dieu réside! Puisque la paix de Dieu surpasse toute pensee, comme dit

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