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succinctement, et même d'une manière très-infidèle pour flatter sa famille, nous allons rapporter les récits des auteurs Grecs, Arméniens et Arabes, qui pourront contribuer à bien faire connoître les diverses circonstances de cette mémorable expédition.

Le moine Cédrénus, qui vivoit avant la fin du XI. siècle, est le premier des écrivains Grecs, et, à proprement parler, le seul qui ait raconté l'histoire de l'invasion des Seldjoukides dans l'Arménie et sur les terres de l'empire d'Orient. Comme il étoit à-peu-près contemporain, son récit paroît mériter une grande confiance; nous allons donc le rapporter dans toute son étendue.

Après avoir parlé de l'origine des Turks Seldjoukides et de l'établissement de leur empire, d'une manière un peu confuse, Cédrénus raconte l'expédition de Koutoulmisch [Krnovμs], cousin du sultan Thoghrul-Begh, dans la Mésopotamie, contre les princes Arabes qui en étoient les maîtres; il parle de sa défaite, de sa retraite à travers les montagnes des Kurdes et les possessions Romaines dans la Médie et sur les bords du lac de Van, ainsi que des combats qu'il eut à soutenir contre les généraux Romains qui gouvernoient dans ces provinces, et qui lui refusèrent le passage (Cédrénus, tome II, pages 769 et 770). Ces événemens sont rapportés avec bien plus de détails dans l'Histoire Arménienne de Mathieu d'Édesse (ms. Arménien, n.o 95, fol. 85 recto et verso, et n.o 99, fol. 127 recto et verso), et dans la Chronique d'Ibn-alathir (ms. Arabe non coté, tom. III, fol. 208 recto-213 verso). Pour venger cet affront, le sultan Thoghrul-Begh [Taylegrim] envoya son neveu Asan, surnommé le Sourd ('Acar,

λegóμevor nwoor), pour ravager l'Arménie. Ce général paroît être le même qu'Arslan, l'un des premiers princes Seldjoukides venus dans l'occident. Il fut aussi vaincu. Le sultan envoya alors son autre neveu, Ibrahim-Inal ['Abequios Aneiu ], avec une armée bien plus nombreuse que les précédentes, pour faire la conquête de l'Arménie.

« Asan, qui avoit été envoyé par le sultan [8xTavos] contre les » Romains, s'avança au-delà de Tébriz [ Tabpéliov ] et de Téflis [Teqxis], et entra dans le Vasbouragan [ Baas@axavias], brûlant et » dévastant tout, tuant tous ceux qu'il rencontroit, et n'épargnant pas même les enfans en bas âge. Aaron-Vestès ['Aapar BéoTMns] (a),

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Y) Le nom ou le titre de Biens se rencontre souvent dans l'histoire Byzantine, toujours porté

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» fils de Vladisthlave [ Bradiobrabos], frère de Prusianus [Пporavis], » qui étoit alors gouverneur du pays, voyant qu'il n'étoit pas en » mesure de combattre et qu'il n'avoit point une force suffisante pour » résister à une si grande quantité de Turks, envoya un message à »Vestès-Catacalon [ Béns Karandywor], surnommé le Brûlé [ỏ xexavó μένος ], gouverneur d'Ani et de libérie [ + ̓Ανίου καὶ τῆς Ἰβηρίας και l'aporta], pour qu'il vint le secourir, quelles que fussent ses forces. » Aussitôt que celui-ci eut reçu ce message, il anima par ses discours » les soldats qui étoient auprès de lui et se hâta de se mettre en marche, » pour faire sa jonction avec Aaron. Lorsque ces deux généraux eurent » réuni leurs forces, on mit en délibération si l'on devoit attaquer de »nuit, ou s'il falloit combattre les ennemis en plein jour. Catacalon » rejeta l'un et l'autre avis, et par un autre moyen il parvint à »tromper les Turks. I ordonna d'abandonner le camp dans l'état » où il étoit, avec les tentes, les bêtes de somme et tous les bagages; » puis, pendant la nuit, il fit disposer dans des lieux convenables » des embuscades, pour que, quand les Turks viendroient, trouvant

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camp vide de guerriers, ils se livrassent an pillage, et qu'alors, en » sortant subitement des embuscades, on pût fondre sur eux. Ce qu'il » avoit prévu arriva. Le lendemain, Asan sortit de son camp qui » étoit situé sur le bord du fleuve Stragna (a), et s'avança pour >> combattre. Comme personne ne se présenta, il parvint jusqu'au » camp des Romains: n'y trouvant aucune garde, n'entendant aucune » voix, il pensa que tout étoit en sa puissance et que les Romains » avoient pris la fuite; on fit alors, par plusieurs endroits, irruption » dans le camp, et il ordonna d'enlever le butin. Cependant, à » la tombée du jour, les Romains sortirent de leurs embuscades, >>formèrent leurs bataillons, et fondirent sur les Turks, qui ne "purent résister à leur choc et prirent aussitôt la fuite. Asan fut »un des premiers qui succombèrent en combattant. Toute la fleur » de l'armée périt; ceux qui échappèrent étoient en petit nombre

par des personnages marquans. On le trouve aussi chez les Arméniens, sous la forme hum vesd, et, selon eux, il signific noble ou grand prince. (Tchamtch. Histoire d'Arménie, tome II, Pages 919, 968 et 972.) Je le crois d'origine Arménienne, car l'histoire ne le donne qu'à des princes Arméniens et Georgiens de naissance ou d'origine, ou bien à des généraux Grees qui avoient commandé, soit dans l'Arménie, soit dans la Géorgic.

(a) Ziggyva. J'ignore dans quelle partie de l'Arménie il faut placer ce fleuve.

pet nus. Ils se réfugièrent par les montagnes dans les villes de la » Persarménie.

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» Le sultan, instruit de cette défaite par les fugitifs, tomba dans un >>"fort grand chagrin, et ne s'occupa plus que des moyens de réparer » ce malheur. Il forma une armée choisie de cent mille hommes, » composée de Turks, de Cabires (a) et de Dilémites (b); il en » confia le commandement à Ibrahim-Inal (c), son frère, issu d'un » autre lit, et il l'envoya contre les Romains. Lorsque les généraux >> dont nous avons déjà parlé furent informés de son approche, ils » réunirent leurs troupes, et tinrent conseil pour savoir ce qu'ils avoient » à faire. Catacalon pensoit qu'il étoit convenable de marcher avec » ce qu'on avoit de forces, de se porter à la rencontre des Turks » hors des limites du territoire Romain, et de les y combattre, parce » que la plupart d'entre eux étoient sans chevaux, que le reste de >> leur armée étoit fatigué de la longueur du chemin, et qu'enfin ils » manquoient des fers nécessaires pour garnir les pieds de leurs che»vaux, tandis qu'au contraire les Romains, animés par leur précé» dente victoire, étoient pleins d'audace et brûloient de se mesurer » avec l'ennemi. Malgré cela, Aaron fut d'un avis contraire; il dit qu'il >> falloit retenir l'armée, fortifier les villes et les châteaux en les >> environnant tous de murs, puis en avertir l'empereur, et qu'il ne » falloit point, sans son consentement, aller combattre avec le peu » de troupes qu'on avoit cette multitude de barbares. Tous les généraux >> furent convaincus par le discours d'Aaron; ils conduisirent aussitôt » l'armée vers l'Ibérie, et vinrent dans une plaine nommée par les » indigènes Osourtrou ['Oripov ], où ils campèrent en rase campagne. » Bientôt toute la population des campagnes, les femmes et les en» fans, s'enfermèrent dans les lieux fortifiés avec tout ce qu'ils avoient » de plus précieux. On expédia ensuite un courrier à l'empereur

(a) Kalipo. J'ignore quel étoit ce peuple, dont il est souvent question dans Cédrénus. Ce sont peut-êt être les Kurdes, dont il aura corrompu le nom.

(4) Au lieu de Aquity, nom d'un peuple inconnu. Je pense que ce nom est altéré dans le texte de Cedrenus, et qu'il faut le remplacer par celui de son, les Dilémites, qui étoient fort célèbres alors dans l'Orient.

(ε) Αβραμίες Αλείμ ὁ ἑτεροθαλής αδελφὸς αὐτῷ, Scion tous les écrivains Orientaux, il étoit fis de Mikhail et frère du sultan Thoghrul-Begh, comme dans Cédrénus. (Ibn-alathir, ms. non coté, tome IV, folio 10 recto. - Abou'lféda, Annal. Moslem. tom. III, p. 131.) Cependant Mirkhond en fait un oncle maternel de ce prince,; j'ignore sur quelle autorité. Voyez Rouzatassafa, ms. de l'Arsenal, tome IV, folio 84 verso.

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» pour l'informer de l'arrivée des ennemis. Lorsque ce prince eut lu les lettres qui lui annonçoient cette nouvelle, il ordonna à ses » généraux de différer le combat jusqu'à ce que Liparitès fût arrivé » avec les troupes Ibériennes, et qu'il eût fait sa jonction avec les » Romains. Il envoya ensuite à ce général des lettres qui le pressoient, » s'il étoit l'ami et l'allié des Romains, de réunir toutes ses troupes >>et de partir pour aller joindre les généraux de l'empire et pour >> aller avec eux combattre les barbares. Quand les généraux eurent >> reçu les lettres qui leur annonçoient tout cela, ils s'arrêtèrent comme

on le leur ordonnoit, et ils attendirent Liparitès, qui avoit reçu >>l'ordre de l'empereur, et qui rassembloit et armoit ses soldats avec >> lenteur.

» Pendant que Liparitès rassembloit ses troupes particulières, le temps se passoit, et Ibrahim-Inal occupoit le Vasbouragan [ Baas@gravias]. Informé que les Romains qui y étoient rassemblés a s'étoient retirés en Ibérie, quand ils avoient appris son arrivée, et >> pensant que c'étoit par lâcheté, comme cela paroissoit être en effet, » il dédaigna de ramasser le butin qu'il avoit fait, et il se mit à leur poursuite en toute hâte, pour les combattre avant qu'ils eussent » reçu des renforts. Lorsque les généraux Romains furent instruits » de la marche d'Ibrahim, ils craignirent d'être forcés d'en venir aux » mains avant l'arrivée de Liparitès; ils se retirèrent donc dans un » endroit de difficile accès, environné de tous côtés de précipices et de » lieux escarpés; puis ils s'y reposèrent, et ils écrivirent à Liparitès » de venir sans aucun retard.

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» Ibrahim, cessant alors de poursuivre l'armée Romaine, vint à » un endroit nommé Artze, qui étoit un bourg très - riche et très» peuplé, car, avec les habitans, il s'y trouvoit encore une grande quan» tité de marchands Syriens, Arméniens et d'autres nations. Se fiant sur >> leur nombre, ils ne voulurent point s'enfermer dans des murailles, » quoiqu'ils fussent voisins de Théodosiopolis, ville grande et envi» ronnée d'une enceinte forte et inexpugnable. Les Turks attaquèrent » le bourg, les habitans bouchèrent les rues, montèrent sur les toits » de leurs maisons, et lancèrent des pierres, des flèches et des pièces » de bois sur les assaillans. Ils combattirent ainsi pendant six jours » entiers. On avertit les généraux Romains de la position des assiégés. » Catacalon pressoit et s'agitoit vivement pour qu'on se mît en marche,

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» et qu'on fondit sur les Turks pendant qu'ils étoient occupés du » siége; il ne vouloit pas qu'on restât plus long-temps dans l'inaction en » attendant le secours de Liparitès, et qu'on négligeât une occasion » aussi favorable et qui ne se retrouveroit pas facilement. Aaron s'opposa » à cette proposition, disant qu'il ne feroit rien sans l'ordre de l'em» pereur, et il resta encore en repos. Ibrahim, voyant cependant que » les choses n'alloient pas à son gré et qu'il ne pouvoit prendre le bourg, méprisa le butin et les richesses qu'il pouvoit y trouver, >> et ordonna de jeter du feu sur les toits des maisons. Les Turks » aussitôt saisissent des torches, les allument avec des matières inflam»mables et les lancent sur les maisons; le feu se répand par-tout, » et il s'élève un immense incendie. Les Artzéniens ne pouvant plus » résister au feu et aux flèches, se décidèrent enfin à fuir. On dit qu'il périt dans ce bourg cent quarante mille hommes, soit par l'épée, » soit par les flammes, car beaucoup d'habitans qui voyoient que leur » perte étoit inévitable, se jetèrent au milieu du feu avec leurs femmes » et leurs enfans. Quand Artze fut pris, Ibrahim y trouva beaucoup » d'or, des armes et des instrumens de fer qui n'avoient point été » consumés. Après avoir rassemblé une grande quantité de chevaux » et de bêtes de somme, et avoir armé ses soldats comme il con» venoit, il partit pour aller chercher l'armée Romaine.

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Lorsque les Romains furent informés de l'arrivée de Liparitès, >>ils descendirent de la forte position où ils étoient, et vinrent dans » la plaine, au pied d'une colline, sur laquelle étoit situé le fort » de Kapetrou [ Kamrçs peguesor]. Comme les Turks s'avançoient en désordre, Catacalon proposa de nouveau de fondre sur eux pendant qu'ils étoient éparpiliés et qu'ils ne s'étoient pas encore mis en » bataille. Liparitès ne le voulut point à cause du jour; c'étoit alors » un samedi, le 18 de septembre de la 2. indiction [1049 de J. C.]. » Comme il avoit beaucoup d'aversion pour ce jour, qu'il rangeoit >> parmi les jours malheureux, on ne put combattre, et les Romains reste>> rent dans le même état. Ibrahim, instruit par ses coureurs du lieu où les » Romains étoient postés, et informé qu'ils y séjournoient, rangea son » armée en bataille, et s'avança pour combattre. Quand l'armée Ro» maine vit cette manœuvre, elle fut contrainte malgré elle d'en faire » autant; Catacalon commanda l'aile droite, Aaron eut la gauche, »et Liparitès fut placé au centre. On étoit alors vers le soir. Ibrahim

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