Images de page
PDF
ePub

ORDONNANCE

DE MIHR-NERSÈH,

GOUVERNEUR DE L'ARMÉNIE POUR LE ROI DE PERSE,

ADRESSÉE

AUX PRINCES DE LA GRANDE ARMÉNIE (1).

MIHR-NERSÈH aux grands gouverneurs (2) et aux princes de la grande Arménie, salut.

Vous saurez que tout homme qui habite sous le ciel et ne suit pas la religion des Mazdéïesnans, est sourd, aveugle et trompé par le serpent brûlant des dews. Lorsque les cieux et la terre n'existoient point encore, le grand Dieu Zervan (2) faisoit une prière depuis mille ans, et disoit : « Peut-être » qu'il me naîtra un fils appelé Ormizt, qui fera les cieux » et la terre (4). » Il conçut alors deux enfans dans son ventre, un pour faire la prière (5), et l'autre pour dire peut-être (6). Quand il connut qu'ils étoient tous deux dans son ventre, il dit : « Celui qui viendra le plutôt, je lui donnerai l'em» pire. » Celui qui avoit été conçu dans l'incrédulité, lui fendit le ventre et sortit dehors. Zervan lui dit : « » Ton fils Ormizt, répondit-il.

כל

Qui es-tu? Mon fils est éclatant de

» lumière et répand une douce odeur, lui répliqua Zervan,

» tandis que tu es ténébreux et ami du mal. » Et comme celui-ci pleura très - amèrement, son père lui donna l'empire pour mille ans, et le nomma Arehmen. Il engendra ensuite un autre fils, qu'il appela Ormizt, et il ôta l'empire à Arehmen, et le donna à celui-ci, en lui disant : « Aujourd'hui je t'adresse » ma prière ; adresse-moi aussi la tienne. » Ormizt créa alors le ciel et la terre; mais Arehmen, au contraire, créa le mal. Les créatures furent partagées de la même façon : les anges viennent d'Ormizt, et les dews d'Arehmen; tous les biens qui viennent des cieux et d'ici- bas procèdent également d'Ormizt, et tous les maux qui se répandent là et ici sont de même d'Arehmen. Tout ce qu'il y a de bien dans le ciel, c'est Ormizt qui l'a fait; ce qu'il y a de mal à été produit par Arehmen. Toutes les haines, les malheurs qui arrivent, les guerres désastreuses, sont les effets de la partie méchante; mais, au contraire, les choses heureuses, l'empire, la gloire, l'illustration, la santé du corps, la beauté du visage, la véracité dans les paroles, la longue durée de la vie, prennent leur existence du bon principe, et tout ce qui est ainsi procède de lui. Mais le mal est mêlé à tout. Tous les hommes qui disent que Dieu a créé la mort, et que le bien et le mal viennent de lui, sont dans l'erreur, comme, par exemple, les chrétiens, qui disent que Dieu, irrité de ce que son serviteur avoit mangé une figue, créa la mort, et châtia l'homme par cette punition. Ainsi donc Dieu est susceptible de colère, et quoiqu'il ne soit pas homme, il a quelque chose de commun avec l'homme, outre que, bien qu'il soit Dieu, on l'assimile aux hommes aussi peut-on dire avec raison que celui qui parle ainsi, est sourd, aveugle et trompé par le serpent des dews. Il est venu ensuite une autre erreur, qui est celle des gens qui disent: « Dieu, qui a fait les cieux et la

> terre, est venu et est né d'une certaine femme qu'on ap

כל

peloit Marie, dont le mari se nommoit Joseph; » et beaucoup de personnes ont été trompées par cet homme. Le pays des Romains, qui suit cette grossière erreur, est dans la plus profonde ignorance; ils sont privés entièrement de religion, ce qui cause la perte de leurs ames. Vous aussi, pourquoi suivez-vous leurs erreurs insensées! Embrassez donc la religion de votre maître; embrassez-la, car nous avons à rendre compte de vous devant Dieu. Ne croyez pas à vos chefs, que vous nommez Nazaréens (7), parce qu'ils sont très-fourbes, et qu'ils vous enseignent par des paroles, tandis que par leurs actions ils ne font rien. «< Manger de la viande, >> disent-ils, 'n'est pas un péché; » et cependant ils n'en mangent pas. « Prendre une femme est une chose convenable, » disent-ils encore, et cependant ils ne veulent pas même en regarder. Selon eux, celui qui amasse des richesses commet un grand péché. Ils louent bien plus la pauvreté que la richesse; ils la vantent et ils injurient les riches; ils insultent au nom de la fortune (8) et se moquent de ceux qui sont comblés de gloire. Ils aiment la grossièreté dans les vêtemens et préfèrent les choses viles à celles qui sont honorables. Ils louent la mort et méprisent la vie ; ils dédaignent d'engendrer un homme et vantent la stérilité. Si vous les écoutez et si vous n'approchez plus des femmes, la fin du monde viendra bientôt. Je ne veux pas dans cet écrit combattre tout ce qu'ils disent; mais ce qu'ils ont écrit de plus détestable que tout ce que nous avons dit, c'est que Dieu a été mis en croix par les hommes, qu'il est mort, qu'il a été enterré, et qu'ensuite il est ressuscité et qu'il est monté aux cieux. Ne seroit-il pas indigne de vous de faire une réponse à des opinions aussi détestables! Les dews, qui sont méchans,

ne peuvent être pris et tourmentés par les hommes, et il en seroit ainsi du Dieu créateur de toutes les créatures. Il est honteux pour nous et pour vous d'entendre des choses aussi indignes de croyance. Il ne vous reste que deux choses à faire : ou de faire une réponse, article par article, ou bien encore de la faire et de venir à la cour, pour que nous soyons en présence au milieu d'un grand tribunal.

NOTES

SUR L'ORDONNANCE DE MIHR-NERSÈH.

(1) JE me borne à donner ici la traduction de cette pièce et de la suivante, que je voulois d'abord publier avec leur texte original. J'espère avoir bientôt l'occasion de publier la première, avec la réponse des évêques et des princes de l'Arménie (Elisée, Histoire des Vart. édit. de Constantinople, chap. 2, pag. 23—26 et pag. 26—39), que sa longueur m'a empêché de mettre ici. Quant à la lettre des princes de l'Arménie au pape, que nous donnons à la suite de cette pièce, elle n'est pas, dans sa totalité, d'une assez grande importance pour y joindre le texte.

(2) Dans l'édition de Constantinople, on lit, rb4 Spansiun uppur, et dans l'Histoire d'Arménie de Tchamichéan (tom. II, բ. 26 ), վզուրկ հրամանատարերան. Les noms de verrig hramanadr ou vezourg hramandar, c'est-à-dire, grand donneur d'ordres, qui ont pris une forme Arménienne, me paroissent désigner la dignité qui

-bouzourg بزرك فرماندار existoit en Perse sous la dénomination de

fermandar, ce qui est à-peu-près la même chose qu'en arménien.

(3) Le nom du dieu Zerwan, en arménien, Ompur Zarvan, se trouve très-rarement dans les livres modernes des sectateurs de Zoroastre ; on ne le rencontre même qu'une seule fois dans ce qui nous reste des livres de ce législateur, sous la forme Zende de Zarouano. C'est le temps sans bornes, comme Saturne ou Chronus, auquel il répondoit assez parfaitement. Il ne paroît pas qu'il ait jamais été l'objet d'une grande vénération, puisqu'il n'eut même jamais de temple; ce que les évêques Arméniens remarquent, dans leur réponse à Mihr-Nerseh (Hist. des Vart. chap. 2, p. 30). De même que le

« PrécédentContinuer »