voyageurs ont même comparé la vue immense que l'œil embrasse à celle de Corinthe et de Constantinople. Lorsque le ciel est pur, on découvre en effet jusqu'à Barfleur, dans le sud-ouest; à l'ouest, c'est Honfleur, Trouville et tous ces petits bains de mer 'que la spéculation a élevés depuis une dizaine d'années sur la côte normande : Villers, Houlgate, Cabourg, Beuzeval, etc.,enfin, plus loin, la Hougue, si tristement célèbre. Au nord, c'est le cap d'Antifer, et les rochers sombres et déchirés d'Etretat. Les phares de la Hève nous l'avons dit plus haut, sont les premiers dans lesquels on ait fait, en France, l'application de la lumière électrique. Cette lumière est évaluée à 5,000 becs de Carcel, et on lui donne une portée de 27 milles, qu'elle dépasse certainement, et de beaucoup. Les deux feux sont fixes, ils rayonnent à 20 mètres au-dessus de la falaise, et à 121 mètres du niveau des hautes mers. L'un de nos phares les plus importants est celui dont le feu fixe rayonne chaque nuit sur le vaste et dangereux espace compris entre la côte de Bretagne et les Roches-Douvres. Dans nos opulentes cités, il serait un monument de premier ordre, et sa célébrité égalerait celle des tours d'Eddystone et de BellRock si, comme elles, il comptait autant d'années, et s'il eût été bâti à l'époque où la science de l'ingénieur était moins avancée qu'elle ne l'est de nos jours. Soyons justes cependant, et remarquons que si sûr de lui-même qu'ait été son célèbre constructeur, lorsqu'il jeta les fondements de l'édifice sur les redoutables rocs des Épées de Tréguier, si bien renseigné qu'il fût sur les travaux de ses devanciers, M. Léonce Reynaud se trouva en face de difficultés qui ne furent ni moins nombreuses ni moins ardues que celles dont Smeaton et Stevenson sont venus à bout. Ils étaient assez inquiétants, ces obstacles, pour que la commission de l'éclairage des côtes de France ait hésité entre la mer et le continent, lorsqu'elle eut décidé qu'un phare serait élevé au débouché du golfe qui s'étend entre la Bretagne et le Cotentin. Le rocher sur lequel s'arrêta le choix des ingénieurs fait partie d'un groupe d'autres rochers que la mer recouvre presque tous lorsqu'elle est pleine. On ne devait donc pouvoir y travailler que pendant un certain nombre d'heures chaque jour. De plus, les courants de marée des parages dans lesquels il est situé sont d'une très-grande force; leur vitesse atteint jusqu'à 8 nœuds (4,11) par seconde, et lorsque l'agitation d'une tempête se joint à eux, la mer devient d'une violence excessive; ses lames s'élèvent à des hauteurs énormes, brisant avec fracas. On ne s'en mit pas moins à l'œuvre, en organisant d'abord les chantiers. Ceux-ci furent placés dans l'ile de Bréhat, située à 3 lieues environ du rocher. Outre que cette île présente plusieurs havres d'échouage parfaitement abrités, les courants la placent dans des conditions toutes particulières à l'égard du rocher des Héaux : le jusant porte de l'île au rocher et le flot ramène du rocher à l'île; et c'est justement à mer basse que devaient s'opérer les débarquements. Enfin l'île présentait toutes les ressources désirables pour le logement et la nourriture des nombreux ouvriers qu'exigeait un travail aussi considérable. Une jetée en pierres sèches de 50 mètres de longueur fut construite dans l'un des havres, celui de la Corderie, ouvert précisément en face des Héaux, pour faciliter les embarquements et les débarquements, qui allaient être fréquents. Indépendamment des bâtiments qui transportaient sur le rocher les matériaux préparés dans l'île, un plus grand nombre encore était employé à amener à Bréhat les matériaux bruts, qui étaient tirés de tous lieux. Ainsi le granite venait de l'Ile-Grande, îlot situé à 10 lieues à l'ouest; la chaux, du bassin de la Loire; c'est Saint-Malo qui envoyait les bois; enfin, les puits de l'île ne fournissant point assez d'eau pour les mortiers et le surcroît de la population, on était obligé d'en tirer, ainsi que des vivres, du continent. Une soixantaine d'ouvriers avaient paru suffisants pour le travail à exécuter sur le rocher. Il fallait qu'ils y fussent logés, car la navigation était trop incertaine et le temps pendant lequel les bâtiments pouvaient stationner trop court pour que l'on pût songer à les renvoyer chaque jour à terre. Heureusement, à très-peu de distance de l'emplacement choisi pour la construction, se trouvaient deux aiguilles assez rapprochées l'une de l'autre et assez élevées pour demeurer constamment au-dessus du niveau de la mer. L'intervalle qui les séparait fut comblé partie en pierres sèches, partie en maçonnerie, jusqu'à 4 mètres au-dessus du niveau des plus hautes mers; l'on obtint ainsi une plate-forme |