Images de page
PDF
ePub

mort peu solvable. Il fit donc plaider « que le droit de mutation est le prélèvement d'une fraction du capital au profit de l'État, qui assure à chacun le droit de disposer des biens dont l'État a été le propriétaire primitif, et de les transmettre dans l'ordre exprès ou présumé de ses affections. » Ce sont les termes mêmes des conclusions de l'avocat général de la Baume devant la Cour de Paris, en 1855; et elles furent adoptées par la Cour1.

Ce fut un beau scandale, à une époque où le Gouvernement venait de « terrasser l'hydre de l'anarchie », de <«< consolider les bases de la société », qu'avait ébranlées la crise de 1848, de « restaurer les principes sacrés » sur lesquels elle repose. On déclarait officiellement que « la propriété est de droit naturel; elle est la conquête de la liberté de l'homme s'exerçant sur la matière; elle est la récompense du travail et le complément de la famille. L'État a des devoirs envers elle, il n'a pas de droit sur et contre elle; il n'a que celui de la police et de la souveraineté politique Ainsi s'exprimait Troplong, interprète de la pensée gouvernementale. De même, en 1804, Portalis avait proclamé, au nom du pouvoir impérial naissant, que l'Etat, en se procurant par la levée des subsides les moyens de pourvoir aux frais de son gouvernement, n'exerce point un droit de propriété, mais un simple pouvoir d'administration; que ce n'est pas comme propriétaire supérieur et universel du territoire, mais comme administrateur suprême de l'intérêt public, que le souverain fait des lois civiles pour régler l'usage des propriétés privées 3.

On s'émut donc fortement en haut lieu de voir le fisc réclamer, au nom de l'État, l'impôt successoral à titre de reconnaissance d'un droit primordial qu'il aurait sur la

1. V. la note précédente.

2. De l'impôt sur les successions (Revue Wolowski, 1848, II, p. 222).

3. Exposé des motifs du titre II, liv. II, C. Civ., dans Fenet, XI, p. 119.

propriété privée. C'était une « insolente hardiesse 1», une faute insigne. On le lui fit bien voir. La Cour de cassation fut saisie. Sur le rapport de M. le conseiller Laborie, et sur les conclusions de M. l'avocat général de Marnas, elle déclara, dans un arrêt fameux, qu'il est faux de considérer l'impôt de mutation par décès comme « dérivant d'un droit de propriété ou de copropriété de l'État », et comme « la condition d'une concession primitive et le prix d'une investiture nécessaire à chaque mutation; qu'une semblable thèse, empruntée au régime féodal avec une extension qu'elle ne comportait pas, même alors, serait non seulement un démenti à la vérité historique, mais aussi une négation de tous les principes de notre droit public et de notre droit civil, soit sur la nature et les conditions d'existence de l'impôt, soit sur la plénitude et sur l'indépendance du droit de propriété tel qu'il est défini avec une énergique précision par les art. 544 et 545 C. Nap... 2. » Le fisc perdit son procès. Au lieu du droit de prélèvement sur le capital, il dut se contenter d'une simple créance, qu'il devait arriver plus tard à faire déclarer privilégiée sur les revenus des biens à déclarer 3. Il avait été obligé d'ailleurs, même avant l'arrêt qui rejeta ses prétentions, de les présenter sous une autre forme, tant avaient été énergiques et unanimes les protestations qu'elles avaient soulevées.

11. A l'heure actuelle où les doctrines socialistes sont au pouvoir, on peut affirmer que les lois qui ont été rendues récemment en matière de successions, et les projets de lois qui sont à l'étude, reposent tous sur cette idée fondamentale que si la propriété individuelle est à la rigueur

1. Troplong, loc. cit.

2. Cass., 24 juin 1857 (D. 57, 1, 233). Le rapport de M. Laborie est reproduit dans les recueils de Dalloz et de Sirey, sous cet arrêt. Les conclusions de M. de Marnas ont été publiées dans la Gazette des tribunaux, du 1er juillet 1857.

3. Cass., 2 décembre 1862 (D. 62, 1, 513). Ce privilège a été expressément confirmé par la loi du 25 février 1901, art. 19.

REVUE DE L'INSTITUT CATHOLIQUE, 1908. - No 3.

18

admissible, le droit d'hérédité ne doit pas exister. Par exemple, dans un projet de 1884, signé de MM. Giard, Henry Maret, etc., et qui proposait de supprimer les successions ab intestat du 4o au 12e degré, et de frapper les autres successions d'une taxe pouvant s'élever jusqu'à 50 °, on avoue que « cette progression, sagement échelonnée sur une longue série d'années, permettrait d'arriver sans secousse à l'abolition totale, ou presque totale, de l'héritage. »

Dans un autre projet, de 1887, signé de cinquante députés, parmi lesquels M. Clémenceau, nous voyons abolir toutes les successions en ligne collatérale : c'est, bien entendu, l'État qui se les attribue. Et comme il faut prévoir la fraude (!) qui consistera, de la part du propriétaire ne laissant point d'héritiers en ligne directe, à tester au profit d'un collatéral ou d'un ami, la validité de ces dispositions testamentaires serait subordonnée à certaines conditions d'occupation personnelle des biens transmis. « Le légataire doit habiter et exploiter lui-même l'immeuble qu'il reçoit, pour être investi par l'État du droit de le posséder. L'État se considère tellement, dans cette hypothèse, comme le véritable propriétaire des successions, qu'il en détermine les servitudes à son gré. Lui, qui n'oblige même pas ses débitants de tabac à gérer personnellement leurs bureaux, voudrait ici contraindre tout héritier, enfant, vieillard, femme, savant, invalide, à travailler de ses mains, à labourer, à cultiver ses champs avec défense expresse de jamais les affermer; faute de quoi l'investiture leur sera refusée 1. »

On peut dès à présent prévoir le jour où les parents collatéraux au delà du 4o degré ne seront plus appelés à l'hérédité ab intestat. Cette réforme est dans l'air, et elle se fera. Non seulement les politiciens la réclament; mais

1. Stourm, Syst. génér. d'impôts, p. 231. Cf. Leroy-Beaulieu, p. 247.

les théoriciens commencent à s'en occuper 1. Et si ces parents ne sont pas exclus de la succession testamentaire, ce qui n'est pas sûr, ils auront du moins à payer les droits de 15 à 20 %, et plus, qui sont aujourd'hui imposés aux héritiers non parents, c'est-à-dire qu'ils devront abandonner à l'État à peu près le cinquième de ce que le défunt a voulu leur transmettre 2.

[ocr errors]

On en est donc venu à se poser cette question : « A qui appartiennent les successions? » Est-ce au défunt, et, par suite, à ceux qu'il a choisis? N'est-ce pas plutôt à l'État. Et l'impôt qu'il perçoit n'est-il pas une conséquence et une atténuation de son droit, un prélèvement qu'il veut bien n'exercer que dans une certaine mesure, mais qu'il lui serait permis d'augmenter et d'étendre jusqu'à la totalité des biens héréditaires? Tel est l'aspect sous lequel, à l'heure actuelle, se présente au contribuable français l'impôt des successions. C'est, croyons-nous, l'aspect sous lequel cet impôt doit leur paraître le moins acceptable. CH. LESCOEUR.

(A suivre)

[ocr errors]

1. Gide, Ec. pol., p. 517, note. Cauwès, no 1032 - Nitti, p..516: « On ne peut méconnaître que les systèmes héréditaires en vigueur ont singulièrement exagéré le principe de la famille, quand ils ont admis que, dans les successions sans testament, les parents héritent jusqu'au 9o, au 10o ou au 12o degré. Qui connaît ses parents au 12 degré? Ils se confondent avec le genre humain. Il est absurde d'admettre qu'étant donnée la famille moderne, il y ait des héritiers légitimes en dehors des descendants ou des ascendants, ou au maximum des cousins germains et des neveux, enfants de frères ou de Sœurs. » P. 522: « Il est excessif de considérer autrement que comme des étrangers, dans l'impôt de succession, les parents au-delà du 4 degré.:

[ocr errors]

2. Dès à présent les parents au delà du 6o degré paient autant de droits que les étrangers. V. infra, n. 16 in fine.

3. Stourm, p. 224. M. Kergall, à la Société d'éc. pol. de Paris (séance du 5 avril 1898), disait très justement que le principe antique de l'État propriétaire sommeille dans l'impôt successoral. Il consique cet impôt est sans base rationnelle.

dère

[ocr errors]

CHRONIQUE DE L'INSTITUT CATHOLIQUE

Aucun de nos lecteurs n'aura été surpris, en ouvrant le présent numéro de notre Revue, d'y lire d'abord le nom de M. Albert de Lapparent. C'est là, en première page, qu'il convenait d'évoquer le souvenir de celui que nous pleurons de ce maître qui fut un des fondateurs de l'Institut catholique et dont la mort, après tant d'autres deuils récents, est pour nous une perte aussi douloureuse qu'irréparable; de ce savant chrétien dont la vie tout entière, inspirée par la foi la plus profonde et vouée au culte le plus désintéressé de la science, fut la plus vivante des apologétiques; de cet homme admirable par le cœur autant que par l'esprit, qui ne se refusait à aucun dévouement, à aucune bonne œuvre, et que regrettent unanimement aujourd'hui l'enseignement libre tout entier comme l'Institut catholique, le monde de la charité comme celui de la science, l'Église comme la France.

Nous remercions vivement M. Désiré André, son collègue et ami, de la substantielle et délicate notice qu'il a bien voulu composer pour la Revue; nos lecteurs, nous en sommes sûrs, n'auront pu la lire sans émotion.

Pour répondre au désir qui nous a été exprimé, nous donnons ici une liste des principaux ouvrages de M. de Lapparent.

Le Pays de Bray (mémoire pour servir à l'explication de la carte géologique de France). 1 vol. in-4o de 178 pages, avec 20 gravures dans le texte, 1 carte géologique et 3 planches gravées. Imprimerie Quantin. Publié en 1879, par le Ministère des Travaux publics. Traité de géologie: 1re édition, 1883. 5o édition, 3 vol. gr. in-8 de xvi-2016 pages, avec 883 figures, cartes et croquis; Paris, Masson et Cie, 1905.

Abrégé de géologie: 1re édition, 1886. 6o édition, avec 163 figures dans le texte; Paris, Masson et Cie, 1906.

Cours de minéralogie: 1re édition, 1884. 3o édition, Paris, MasSon et Cie, 1897.

Précis de minéralogie: 1re édition, 1889. 5e édition, in-12, Paris, Masson et Cie, 1907.

Leçons de géographie physique: 1re édition, 1895. 3e édition,

« PrécédentContinuer »