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Dans le chapitre consacré à la tribu, le P. J. rapporte d'abord une série de légendes relatives aux origines et aux ancêtres de ces groupements de famille; il retrace ensuite avec clarté le sujet pourtant très compliqué de la constitution de la tribu; il en indique les conditions (tout homogène, chef unique, unité de nom et de race); il montre comment néanmoins l'adhésion, l'agglomération et l'adoption peuvent contribuer au développement de ce groupe si fier de son unité. Les relations et droits de pâturages (sujet qui donnera lieu à des redites au chapitre de la Vie économique), les rapports avec le gouvernement, la disparition des tribus, la place qu'y occupent les nègres venus de La Mecque depuis que l'esclavage est interdit par le gouvernement, attirent ensuite notre attention. Mais c'est surtout à propos du scheikh que ce chapitre devient intéressant; il y est question de son accession au pouvoir, de ses qualités telles que les Arabes les conçoivent et telles qu'en fait il les possède souvent (générosité, surtout envers les hôtes; valeur dans les guerres et les razzias; intelligence pour dirimer les litiges ou les prévenir; richesse, nombreux partisans et nombreuse famille), de l'étendue de son autorité au dedans de la tribu, de la direction qu'il donne aux rapports avec les autres tribus en temps de paix, de guerre ou de razzia. On sent que le P. J. compte des scheikhs parmi ses amis et a puisé aussi directement que possible aux meilleures sources d'information.

C'est peut-être à propos de la question des Rapports entre les tribus (chap. III), puis de celle des Droits (chap. IV) que sont signalés le plus grand nombre d'anciens usages.

L'un des plus curieux est l'alliance du Benameh, conclue en présence d'un grand scheikh, entouré de rites austères et de serments solennels. Munie de toutes les garanties possibles d'une éternelle durée, cette alliance fait, des membres de deux tribus voisines, autant de parents et de frères. Elle modifie les conditions d'une multitude d'événements inhérents à la vie du désert. Si une tribu s'oublie jusqu'à faire la razzia dans la tribu alliée, la restitution s'impose et doit être intégrale; en cas de vol, il faut rendre au quadruple; le bétail perdu est rendu à la tribu alliée sans que l'on réclame d'indemnité, hormis le cas de soins prolongés; les chefs d'une tribu interviennent auprès d'une autre tribu qui, dans une razzia, aura pris du bétail à la benameh. L'alliance restreint à la famille du meurtrier la responsabilité si lourde du sang versé qui pèserait sur toute la tribu du malfaiteur. On saisit sur le fait une des nombreuses influences qui tempèrent la violence instinctive des habitants du désert, leur âpreté au gain, la vigueur primesautière de leurs emportements, la cruauté de leur vengeance.

C'est dans la guerre surtout que la vengeance se donne libre carrière; mais l'emploi des moyens et des armes modernes enlève à ce sujet une grande partie de son intérêt. La razzia témoigne surtout de la rapacité de l'Arabe; le P. J. nous la décrit depuis le moment où, sous la conduite d'un chef habile, l'on se met en marche contre une tribu ennemie ou simplement non alliée, jusqu'au retour de l'expédition, au partage du butin, à l'immolation de la victime, et cette description est des plus capables de captiver le lecteur.

Lorsque ses droits sont violés, l'Arabe recourt au juge. En dehors du scheikh, qui remplira fréquemment ce rôle, il connaît dans la tribu un ou plusieurs juges de profession (qadys) auxquels il porte sa plainte; il connaît même un juge secondaire (qaşşaş) pour les questions de coups et de blessures. Après que, non sans difficulté, l'on se sera entendu sur le choix de l'arbitre, les formalités du jugement se déroulent. Si un serment, curieux dans sa forme le serment de la fourmi et du froment ne prévient pas à temps le commencement du procès en prouvant l'innocence de l'accusé, les débats seront longs, interminables; et pour y mettre fin, il faudra encore déférer le serment aux témoins.

Parmi les droits, ceux qui caractérisent davantage la vie du nomade sont ceux qui ont trait à la tente: droit de la tente, que revendique le propriétaire lorsque l'hôte a été injurié sous son modeste toit; droit du visage, qui engage le protecteur lui-même lorsque celui qui s'est confié à lui est lésé par un tiers; droit d'entrée (dans la tente), en vertu duquel un étranger ou un membre de la tribu demande secours ou protection à un Arabe plus fort que lui. Autant de droits dont on peut dire, comme du Benameh, qu'ils sont un tempérament de la férocité foncière du nomade.

La vie économique, tel est le sujet du cinquième chapitre. Il débute par un aperçu très clair des diverses formes de la propriété individuelle, quand il s'agit de la tente ou du troupeau; collective, mais avec tendance vers l'individualisme, quand il s'agit des champs cultivés; nettement collective pour les pâturages, en dépit de certains droits de priorité en faveur des tribus dans le domaine desquels ils se trouvent.

Le Bédouin est plein de dédain pour l'agriculture « Il prétend être un homme libre, maître de ses mouvements, allant et venant à sa guise sur son noble coursier; il fait la razzia et la guerre; il élève des troupeaux de moutons et de chameaux; quant à diriger un attelage sur le sillon, il ne s'abaisse pas à ce degré. » Ce sont les fellahs qui viennent chez les Bédouins et, sous la garantie de contrats de diverse nature, ensemencent les champs et font la moisson. L'opi

nion tend néanmoins à se modifier dans un sens plus favorable à la culture. Beaucoup de détails curieux à relever - bien que le sujet soit moins neuf que les précédents dans ce que le P. J. nous raconte des semailles, des dangers que courent la semence et la jeune plante, enfin de la moisson.

Le commerce comprend la vente du blé que le Bédouin possède en surplus de ses besoins, du bétail, du beurre, de la toison du troupeau; l'achat du café, du sel, du tabac, des vêtements. Le paiement en monnaie existe à côté de l'échange en nature.

A noter les paragraphes relatifs à la jument de l'Arabe, au chameau, au petit bétail. On lira de préférence encore celui qui traite des voyages; le lecteur aimera à voir le jeune Bédouin, avide de devenir quelqu'un dans sa tribu, entreprendre de longues courses dont la durée variera selon ses goûts et ses ressources, étudier chemins et routes, entrer en relations avec les personnages les plus influents des tribus voisines, s'ouvrir des moyens de commerce, etc.

Consacré à la Religion, le dernier chapitre attire tout naturellement une attention particulière. Ce n'est pas qu'il soit très riche de renseignements nouveaux; mais outre qu'il renferme un certain nombre de points de vue souvent inédits, il confirme et au besoin revise, à l'aide de faits précis, beaucoup de conclusions courantes.

Croyances et pratiques: tels sont les deux éléments d'une étude sur la religion.

Dans la première série, la foi en Dieu vient tout d'abord; et il faut lire le court mais bel article consacré à Allah pour comprendre ce qu'il y a de précis, mais aussi ce qu'il y a de flou, dans l'idée que l'Arabe se fait de l'Etre suprême. Le sujet du Wély, de son origine (personnage ayant joué un rôle important ou signalé sa sainteté pendant sa vie, personnage glorifié par Allah après sa mort), de sa puissance (que théoriquement il tient d'Allah, mais qui est en fait autrement redoutable que celle d'Allah) et de la terreur qu'il inspire, des pèlerinages faits à son tombeau, des rites que l'on y accomplit, est traité avec beaucoup de maîtrise et fécond en renseignements nouveaux. Très étudiée encore, la question des ancêtres et aussi, celle du djin. Les lecteurs de la Revue Biblique avaient eu (1906 p. 574 et suiv.) la primeur du paragraphe consacré au culte très curieux de la « Mère de la pluie ». Les arbres sacrés jouissent toujours d'une réelle importance; on ne trouve en revanche que des vestiges du culte des pierres.

Parmi les pratiques, celle de l'immolation occupe la plus grande place place très importante si l'on tient compte de sa fréquence, place souvent très indécise si l'on recherche les sens qu'au point de

vue religieux l'Arabe y attache. Le P. J. énumère toute une série d'immolations dont les plus saillantes sont celles qui ont trait à la tente (à son érection, à son agrandissement, au remplacement de ses principales pièces), à la maison du demi nomade, au mariage et à la répudiation. A raison de ses particularités, l'immolation pour la rançon ou fedou est étudiée à part; il en est de même de la șemâț ou offrande des prémices.

Le vague qui entoure les immolations quant à leur portée religieuse se reproduit quand il s'agit des fêtes et temps sacrés. Ceux qui paraissent avoir quelque lien avec la religion sont : le ramadan et la réjouissance qui le termine, les fêtes de la Dame et du dahieh.

Le P. J. parle encore, sous le titre de Religion, des jours fastes et néfastes, de la superstition; il termine son tableau en esquissant le sujet du faqir.

Parmi les appendices, il faut signaler celui qui est consacré à l'exode d'une tribu arabe, les Azeizat.

Tel qu'il se présente, le volume du P. Jaussen n'a pas l'importance du Canaan du P. Vincent; on peut dire néanmoins qu'il tient une très bonne place dans la série des Études bibliques.

Quelques remarques auront d'abord pour objet de signaler quelques lacunes. Il y en a dans le développement même des sujets: Ainsi l'on conçoit difficilement un chapitre de la Religion dans lequel on ne parle pas des ministres ou prêtres, ne serait-ce que pour faire remarquer que leurs fonctions ne sont pas dévolues à une catégorie réservée de personnes. Il y en a dans les appendices: la carte est trop petite, défectueuse, encombrée; on peut même se demander s'il n'y a pas une inexactitude quand elle place le Belqa au sud du Zerga Main; p. 6 et 7, en effet, le Belqa est situé entre les deux Zerqa. On voudrait trouver parmi ces appendices un lexique des termes techniques arabes les plus fréquents; on en oublie aisément le sens au détriment de la clarté des sujets.

Mais plus que les lacunes, de légers défauts de composition attirent l'attention. Des sujets sont mal répartis on parle à deux reprises du ramadan, p. 289 suiv. et p. 370; d'autres, mal divisés on parle des prisonniers de guerre à propos de la razzia, p. 169 et suiv. et immédiatement avant un paragraphe (p. 173 et suiv.) dont la guerre est le sujet précis. De là parfois des répétitions; il est question du droit de pâturage à propos de la tribu (p. 117 et suiv.) et à propos de la vie économique (p. 238 et suiv.). Des termes arabes demeurent. parfois inexpliqués (v. g. le taseh, p. 76, note; henneh, p. 95 et 346, etc.) ou ne sont expliqués que longtemps après qu'ils ont été

mentionnés pour la première fois ('abed mentionné p. 82 et expliqué p. 89; lanib mentionné p. 90 et expliqué p. 215, etc.). Tantôt et le plus souvent les transcriptions sont accompagnées du mot écrit en caractères arabes; p. 279 (dernières lignes) et suiv. on n'a que les transcriptions; le mot wély ne figure pas en caractères arabes au paragraphe consacré au santon de ce nom. Quand il s'agit des planches, qui d'ailleurs seraient mieux placées au cours du texte qu'en appendice, le défaut d'ordre est très frappant; elles viennent selon l'ordre suivant: fig. 1, 3, 2 (on voit la raison de cette interversion), 4, 6, 5, 5 (secundò; 7 manque), 8, 14, 16, 9, 17, 10, 11, 13, 12, 15, 18.

Autant de légères imperfections qui n'enlèvent rien à la valeur de l'ouvrage. Aussi nous espérons bieu que le P. J. en donnera bientôt une seconde édition. Il corrigera les fautes d'impression encore assez nombreuses v. g. p. 13 et ailleurs, ruag pour ruaq (transcription); p. 76, fromen pour froment; p. 94, C'est pour c'est (après une virgule); p. 112, hama't pour hama'ıl; p. 126, parenthèse deux fois fermée; p. 158, doi pour doit; p. 192, epaules pour épaules; p. 206, «< il en (du droit du visage) sera question au chapitre de la razzia », alors qu'il est question de la razzia p. 165-173, sans qu'il y soit guère parlé du droit du visage; p. 237 (note) « voir ci-après p. 216-217 »>, alors que la référence elle-même n'est pas exacte; p. 265, gts pour q7s (transcription); p. 272, les deux moitiés du mot arabe transcrit meïrekah sont interverties; p. 298, Ahmoud, d'après l'histoire même qui est racontée à cet endroit, est à tort placé dans la catégorie des wélys qu'Allah a glorifiés après leur mort; p. 313, excercée pour exercée; p. 350, fig. 7 pour fig. 5 (à moins que la fig: 5 secundò ne doive être marquée fig. 7); p. 357, « fig. 7 » (??); p. 362, le renvoi à la note 1 devrait être à la ligne précédente du texte, après la citation p. 422, ils on pour ils ont; p. 430, crétiens pour chrétiens. La note de la page 65 n'a pas de point d'attache, et renferme en plusieurs transcriptions des lettres manquant de leurs points diacritiques, etc.

J. TOUZARD.

13. La foi et l'acte de foi, par J.-V. BAINVEL, professeur de théologie à l'Institut catholique de Paris. In-12, 238 p., 2. fr. 50. P. Lethielleux, éditeur, rue Cassette, Paris (6).

L'éloge d'un ouvrage de ce genre, qui arrive à la réédition, n'est plus à faire. L'analyser même serait superflu, puisqu'il a passé dans tant de mains et qu'il a été cité fréquemment dans les controverses récentes. Ce qu'il est bon surtout de remarquer, c'est qu'il n'a pas

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