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REVUE DE L'INSTITUT CATHOLIQUE »

paraît le 5 des mois de février, avril, juin, août, novembre,

SOUS LA DIRECTION DE

MM. Cauvière, professeur de droit criminel; Rousselot, professeur d'histoire de la langue française et de phonétique expérimentale, et Peillaube, professeur de philosophie.

Chaque numéro contient 96 pages, dont 80 d'articles et 16 de << Notes et Nouvelles », chronique de l'enseignement supérieur en France et à l'étranger, et de comptes rendus d'ouvrages.

(Il sera rendu compte de tout ouvrage envoyé en double exemplaire.)

LE PRIX D'ABONNEMENT EST DE :

Paris et Départements, 5 francs. - Étranger, 6 francs. Le prix du numéro, de 1 fr. 25.

Tout ce qui concerne la rédaction doit être adressé à M. BOUSQUET, vice-recteur, et tout ce qui concerne l'administration à M. JOSEPH CHOBERT, secrétaire général de l'Institut catholique, 14, rue de Vaugirard.

Les treize premières années de la Revue sont en vente au Secrétariat.

Chaque volume broché, 5 francs, franco.

L'APOLOGÉTIQUE D'ORIGÈNE

D'APRÈS LES LIVRES CONTRE CELSE

Les conférences précédentes nous ont fait connaître, par les réponses des apologistes, les attaques principales de leurs adversaires, d'abord le mépris, puis les injures, les sarcasmes, les calomnies grossières; enfin la controverse, déjà plus savante et moins vulgaire, nous est apparue dans l'Octavius de Minucius Félix. Mais là même nous n'avons guère trouvé que les préjugés de la foule présentés avec moins de brutalité et plus de réflexion.

Les accusations auxquelles Origène répond, dans ses livres contre Celse, sont beaucoup plus sérieuses, et témoignent de l'attention que le christianisme imposait malgré eux aux lettrés, à la fin du second siècle.

Le Discours véritable de Celse, auquel Origène répondit en 248, fut écrit vers l'an 177 ou 178. Son auteur est traité par Origène comme un épicurien; certains critiques en font de préférence un platonicien; il semble plus exact d'y reconnaître un éclectique, esprit distingué, très au courant de la littérature et de la philosophie de son époque, mais non inféodé à une école particulière. Au surplus, c'est un homme d'État plus encore qu'un homme de lettres, fonctionnaire zélé de l'empire romain, et désireux d'en faire observer les traditions et les lois.

Beaucoup d'historiens, surtout non catholiques, lui ont

1. Leçon donnée à l'Institut catholique, le 25 février 1909. REVUE DE L'INSTITUT CATHOLIQUE, 1909. No 2.

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prêté volontiers des intentions conciliantes: cette thèse a été chez nous longuement plaidée par Aubé, et récemment encore M. Harnack représentait le Discours véritable comme une «<< proposition de paix à peine voilée » 1. Pour l'entendre ainsi, il faut tenir pour proposition de paix tout conseil de soumission; car ce que Celse propose aux chrétiens, ce n'est pas un concordat ni une transaction quelconque, c'est une soumission pure et simple aux lois de l'État et à la religion nationale.

Il faut reconnaître d'ailleurs que, s'il a voulu en effet provoquer cette soumission, il y a été bien maladroit, blessant les chrétiens le plus grossièrement et sur les points les plus sensibles; il ramasse les plus viles calomnies des juifs, et représente Jésus comme né d'un commerce adultère entre Marie et un soldat nommé Panther (1, 32); quant aux chrétiens, ce sont d'après lui des voleurs et des brigands qu'on a toute raison de faire disparaître (vi, 54). Après de telles déclarations, les exhortations touchent peu.

Cependant, si on compare Celse à ses devanciers, on constate qu'il a sur eux de grands avantages: les adversaires que visent Minucius Félix et Tertullien croient encore aux infanticides et aux incestes des chrétiens; Celse n'est pas si naïf pour attaquer ses adversaires, il dédaigne ces vagues rumeurs, il cherche des accusations plus précises et mieux prouvées, et, pour les réunir, il a travaillé beaucoup. Non seulement il a lu les Écritures des deux Testaments, mais aussi les écrits des chrétiens; il a même étudié les sectes gnostiques, et il se sert fort perfidement de la connaissance qu'il en a acquise, pour imputer à toute l'Église les folies ou les turpitudes des sectaires. Il fait parade de ses riches informations et il affirme non

1. Mission und Ausbreitung, I, p. 413.

2. Sur l'érudition chrétienne de Celse, cf. Geffcken, Zwei griechische Apologeten (Leipzig, 1907), p. 257).

sans rodomontade, que du christianisme il sait tout : пávτa yàp olda (1, 12). Origène a relevé, comme il convenait, cette forfanterie : « S'il avait lu les prophètes, dont les livres, on le reconnaît, sont énigmatiques et obscurs; s'il avait parcouru les paraboles évangéliques, la loi, l'histoire juive et les écrits des apôtres, et si, les ayant lus sans prévention, il eût voulu en pénétrer le sens, il ne dirait pas avec tant d'assurance: Je sais tout. Nous-mêmes, qui avons étudié de près tout cela, nous n'oserions pas dire: Je sais tout, car nous aimons la vérité. »

Entrant en matière avec cette assurance, Celse critique d'abord l'Ancien Testament et reprend les accusations courantes contre les Juifs: peuple de vagabonds chassés de l'Égypte et trompés par Moïse (II, 5; iv, 31); Moïse luimême est un plagiaire qui doit aux Égyptiens tout ce qu'il a de bon (1, 21). Les livres saints, la genèse surtout, sont un tissu de légendes grossières, indignes d'être tenues pour divines et de servir à la formation religieuse d'un peuple. Sans doute Juifs et chrétiens effacent par l'allégorie ce que ces vieux récits ont de choquant, mais ce n'est là qu'un artifice qui trahit leur embarras (Iv, 49).

Jésus surtout est l'objet de ses railleries et de ses attaques: né del'adultère et chassé avec sa mère, il a dû se placer en Egypte pour y gagner sa vie; là il a appris les arts magiques dont plus tard il s'est servi pour tromper les gens. Il n'a pu d'ailleurs de son vivant réunir qu'une dizaine d'hommes ignorants et grossiers. Son extérieur était vulgaire, sa sagesse toute d'emprunt, car il la devait à Platon; son courage bien inférieur à celui d'Héraklès ou d'Épictète. Sa résurrection est une fable, due à l'imagination d'une femme et de quelques fanatiques. « Vous croyez, dit-il que les légendes (d'Orphée et d'Héraklès) sont des mythes, et que la catastrophe de votre drame est ingénieuse et vraisemblable avec le cri poussé de la croix quand il expira, et le tremblement de terre et les ténèbres ? et lui, qui vivant

n'avait pu se défendre, est ressuscité après sa mort, il a montré les cicatrices de son supplice et ses mains percées? Et qui a cru tout cela? Une femme fanatique, d'après vous, et peut-être quelque magicien de la même bande, soit qu'il l'ait rêvé, soit qu'il se soit halluciné par son désir, comme il arrive à tant d'autres; soit plutôt qu'il ait voulu en éblouir d'autres par ce prodige et accréditer de nouvelles fourberies par ce mensonge» (11, 55).

Les chrétiens ne sont pas mieux traités (III, 52 sqq.). Ce sont des charlatans: ils évitent les hommes intelligents et s'attaquent aux ignorants, aux esclaves, aux enfants : « On voit dans les maisons particulières des cardeurs de laine, des cordonniers, des foulons, tout ce qu'il y a de plus ignorant et de plus grossier; devant les maîtres de maison âgés et prudents ils ne disent mot; mais quand ils trouvent en particulier quelque enfant ou quelque femme aussi ignorants qu'eux, ils leurs racontent des choses admirables: qu'il ne faut écouter ni père ni maître mais les croire, eux; que leurs pères sont sots et stupides, incapables de comprendre ni de faire ce qui est beau, mais absorbés par les bagatelles; eux seuls savent comme il faut vivre; siles enfants les écoutent, ce sera le bonheur pour eux et leur maison. Et pendant qu'ils parlent, s'ils aperçoivent le pédagogue on le père lui-même, les plus timides tremblent et se taisent... >> (m, 55). Ils sont comme les devins et les magiciens, incapables de demander ou de donner raison de leur foi; ils s'en vont répétant: Ne recherche pas, mais crois. Ta foi te sauvera. Ou encore la sagesse est un mal, la folie est un bien (1, 9).

Au reste, n'est-ce pas la marque d'une grands sottise, que tant d'hommes adhèrent, après la mort du Christ, à une doctrine qu'il ne put faire accepter de son vivant (11, 46)?

Après avoir tant raillé et tant attaqué, Celse se défend: accuse l'idolâtrie, mais les hommages ne s'adressent

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