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l'empoisonnement par l'acide sulfurique, les tissus du tube intestinal peuvent présenter des colorations analogues. Le bord libre des lèvres, les gencives, la muqueuse buccale et pharyngée, sont blanches et comme brûlées dans les premières 12 heures, mais après, elles deviennent d'un jaune citron, et se dé tachent par fragments. On trouve aussi de semblables taches sur les dents, les ongles, le menton, les doigts, les vêtements, etc. La muqueuse œsophagienne est aussi colorée en jaune; elle se soulève par lambeaux, ou bien elle est friable et réduite en une matière pultacée, savonneuse. La muqueuse gastrique duodénale, et plus rarement celle des petits intestins, offrent aussi des modifications analogues. Ces membranes sont assez souvent tapissées d'un enduit gras, épais, pàteux, jaunâtre ou jaune-verdâtre, qui résulte probablement de l'action de l'acide azotique sur le mucus, sur les matières alimentaires, ou sur la bile, dont il précipite la matière colorante. Les ulcérations sont quelquefois entourées d'une auréole jaunâtre. Les matières vomies contenues dans le tube intestinal ou épanchées dans le péritoine sont réduites ordinairement en une espèce de bouillie pultacée, jaunâtre. Le péritoine, le foie, la rate, le diaphragme, peuvent aussi être colorés en jaune. Enfin, les parties atteintes par l'acide azotique répandent assez souvent l'odeur d'acide nitreux, surtout lorsqu'elles n'ont point été soumises à des lavages.

Traitement. Celui de l'empoisonnement des acides en général.

Faits pratiques.

La découverte de l'acide azotique date du milieu du quatorzième siècle. Il a été désigné sous les noms d'eau de nitre, d'espritde-nitre, d'eau-forte, d'acide nitrevx, d'acide nitrique, d'acide azotique. On appelle eaux-fortes première, seconde, troisième, l'acide nitrique plus ou moins étendu d'eau. Peu usité en médecine, l'acide nitrique l'est très-fréquemment dans les arts. On s'en sert dans les manufactures de toiles peintes, dans les laboratoires de chimie, de docimasie, de métallurgie. Les essayeurs,

les fondeurs, lesaffineurs, les relieurs, les peintres, etc., emploient aussi cet acide.

Les observations d'empoisonnement par l'acide azotique remontent vers le milieu du quinzième siècle; mais elles sont incomplètes, et ce n'est que depuis l'excellente thèse de Tartra (Empoisonnement par l'acide nitrique, an X, 1802), thèse qu'on devrait prendre pour modèle dans tous les travaux de toxicologie médicale, que son histoire médicale est parfaitement connue. Ces empoisonnements étaient très-fréquents vers la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci. Tartra, pendant les années 1801 et 1802, en a observé jusqu'à 6 par jour dans le même hôpital. De nos jours, ils sont plus rares, car on en trouve seulement çà et là quelques observations dans les journaux français; et, dans un relevé fait en Angleterre, pendant les années 1838 et 1839, sur 543 cas d'empoisonnements mortels, on n'en cite pas un seul par l'acide azotique. Les empoisonnements par cet acide ont presque toujours lieu par suicide ou par imprudence, aussi, sont-ils bien rarement le sujet d'une expertise légale. Sur 56 cas observés ou recueillis par Tartra, dont 30 hommes, 24 femmes, et 2 enfants, 31 ont eu lieu par imprudence, 24 par suicide, et 1 seul par homicide; encore était-ce dans une orgie, chez une femme įvre,

Quoique l'acide nitrique ne soit considéré comme poison que lorsqu'il est ingéré à l'intérieur, il peut cependant, étant appliqué à l'extérieur ou sur les muqueuses externes, occasionner des accidents très-graves et même mortels.

Une femme, sujette à une violente céphalalgie, consulte un charlatan, qui lui donne de l'acide nitrique, pour une eau céphalique, qu'elle répandit sur sa tête. Les cheveux ainsi que tout ce qui les environnait furent brûlés, la peau et le péricrâne désorganisés. Il survint des douleurs, des convulsions assez graves. Cependant, ces accidents cédèrent à un traitement convenable, et la malade fut guérie de son mal de tête, et d'un relâchement de la luette qu'elle avait avant. (Tartra.) Les vapeurs d'eau forte ont aussi une action très-intense sur la muqueuse nasale et pulmonaire; elles peuvent occasionner

l'inflammation chronique de ces membranes. Les personnes qui les respirent habituellement, tels que les graveurs, les fabricants d'eau forte, etc., sont exposés à des maux de tête opiniâtres, à des ulcérations de la muqueuse nasale, à l'ozène (comme nous l'avons observé chez un graveur), à des ophtalmies, à des crachements de sang, à des toux chroniques, à des oppressions, à des coliques, etc. Il est vrai que, dans la plupart des cas, ces accidents sont dus plutôt aux vapeurs nitreuses. Quant au traitement, la soustraction de la cause est la première indication; ensuite on a recours aux narcotiques, à la diète émolliente, l'observation ayant démontré, qu'en général, les anti-phlogistiques aggravaient la maladie. Voici un exemple très-remarquable, sous plusieurs rapports, d'empoisonnement par l'acide azotique introduit dans le conduit auditif.

Observation I. Catherine O'Neil, âgée de quarante ans, bien constituée, adonnée à l'ivrognerie, pendant que, ivre, elle dormait, son mari lui versa dans l'oreille droite une certaine quantité d'acide nitrique (pour la corriger, dit-il, de ce vice). Ce côté de la face et du cou prit immédiatement une couleur jaune, qu'on ne put enlever par les lavages. Au bout de six jours, une escarre membraneuse, épaisse, cordée, se détacha du conduit auditif. Cette élimination fut suivie, le lendemain, d'une hémorragie d'environ 20 onces de sang. Le jour suivant, la malade perdit complétement l'usage du bras droit, et devint tellement faible que, son mari, craignant pour ses jours, tenta de se suicider, en se coupant la gorge. Le docteur Morisson, appelé le huitième jour, trouva la malade dans l'état suivant : plusieurs ulcérations à la surface de l'oreille, surtout dans la conque; le lobule semblait complétement insensible. Une partie de la face et du cou étaient également ulcérés. Un écoulement ichoreux peu abondant sortait du méat externe. L'ouïe était complétement abolie, le pouls petit, faible, intermittent, 88 pulsations, sans autre appareil fébrile; la température de la peau plus basse que dans l'état normal. Pas de céphalalgie, de stupeur, de vertiges. Respiration stertoreuse. L'affaiblissement seul paraissait devoir attirer l'attention. Le tamponnement de l'oreille, les lotions astringentes, combinées à l'usage interne des toniques, du bouillon de veau, etc., ne purent arrêter l'hémorragie, qui se reproduisit tous les jours, pendant environ un mois, avec assez d'abondance; elle cessa alors, mais la débilité avait fait des progrès.

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Quinze jours après le début de la maladie, toute la moitié droite du corps était complétement paralysée et agitée de mouvements convulsifs fréquents, même pendant que la malade était dans son lit. La paralysie, qui s'était établie peu à peu, ainsi que les tremblements, persistèrent pendant six semaines, au bout desquelles, il y eut une amélioration marquée, tant sous ce rapport, que sous celui de l'état général. La malade alla voir son mari à l'hôpital, appuyée sur deux personnes. A son retour, elle était épuisée et tomba dans un état de prostration générale. Il survint un peu de toux avec expectoration mucoso-purulente, des sueurs nocturnes, et la patiente succomba six semaines après sa visite à l'hôpital. Le côté paralysé fut libre de tremblements et soumis à l'empire de la volonté plusieurs semaines avant sa mort. La parole, les facultés intellectuelles restèrent toujours intactes.

Autopsie. Émaciation générale considérable; partie inférieure de l'oreille droite détruite ; une cicatrice recouvrait la portion restante; conduit auditif externe plus large que dans l'état normal; la duremère de la partie correspondante au conduit auditif était de couleur foncée dans l'étendue d'une pièce de deux sous, elle n'était ni épaissie, ni adhérente. Un caillot sanguin, du volume d'un pois, bouchait exactement le conduit auditif. Pas d'épanchement de sérosité, de pus, de lymphe dans le cerveau, ni entre ses membranes. La portion du cerveau correspondante au rocher, offrait un peu de ramollissement, sur lequel même on pouvait élever des doutes. Le rocher du temporal était entièrement carié. Le nerf de la septième paire du côté droit, comparé à celui du côté opposé, semblait atrophié. La tête, la poitrine étaient d'ailleurs saines. (Archiv. génér. de Méd., tome II.)

Il est fâcheux que cette observation, très-importante par sa rareté et par les circonstances qu'elle présente ne soit pas plus détaillée. Telle qu'elle est, si elle ne démontre pas que la paralysie d'un côté du corps peut dépendre d'une lésion, d'une compression du même côté du cerveau, elle nous met sur la voie, sur un nouveau mode d'expérimentation, pour éclairer ce point important de physiologie. L'émaciation, l'épuisement général, ainsi que la diminution de température qu'on observe aussi dans les empoisonnements internes par l'acide azotique, dépendaient probablement, en ce cas, des hémorragies répétées et des lésions locales. Malheureusement, l'auteur de cette observation ne dit rien des fonctions digestives.

Dans les empoisonnements internes, l'acide azotique peut borner seulement son action à la gorge, au pharynx, et dans quelques cas atteindre le larynx, occasionner des accidents plus ou moins graves, et quelquefois mortels. Le docteur Arnold a observé un enfant chez lequel les lésions étaient confinées en grande partie au pharynx et au larynx, et chez qui, en outre d'une grande dépression générale, les principaux symptômes consistaient en une respiration croupale et une grande dyspnée qui nécessitèrent l'opération de la laryngotomie. La respiration fut soulagée, mais le malade succomba à un épuisement géné ral, sans présenter de symptômes du côté de l'estomac. Cet organe, distendu par des matières alimentaires, offrait des lésions peu graves. La fente de la glotte était contractée, l'épiglotte enflammée, ainsi que le commencement du larynx. Les boissons administrées au malade passaient par l'ouverture pratiquée au larynx.

Observation II. Le 25 septembre 1827, un jeune homme de dixhuit ans, d'une très-forte constitution, après avoir mangé du pain et du fromage, boit deux petits verres d'eau-de-vie, écrit une lettre à ses parents, et avale, vers onze heures du matin, 2 onces, 60 gram. environ d'acide nitrique du commerce. Aussitôt, douleurs brûlantes à la gorge et à l'épigastre, qui augmentèrent d'intensité avec la plus grande promptitude. Au bout d'un quart d'heure, vomissements d'une partie du déjeuner. Appelé auprès de lui, le docteur Leuret a délayé environ 60 gram. (2 onces) de magnésie dans une grande quantité d'eau, et, après bien des sollicitations, la première dose du contre-poison a été administrée environ vingt-cinq minutes après l'empoisonnement. La déglutition, d'abord gênée, n'a pas tardé à devenir plus facile. La bouche était toute blanche, non douloureuse. On voyait sur le menton une ligne jaune indiquant la nature de l'acide qui avait été avalé. Le pouls était un peu élevé. Une demi-heure après la première dose de magnésie, les vomissements se sont renouvelés, le malade a rendu d'abord des matières d'un blanc jaunâtre, puis quelques aliments, et ensuite un liquide épais de couleur rouge brique. Les premiers efforts ont été accompagnés de douleurs atroces, et d'un état d'anxiété inexprimable. Ces douleurs se sont calmées avec assez de promptitude, et, vers deux heures, l'épigastre ne faisait plus souffrir le malade; la pression sur cette partie déterminait à peine un léger sentiment de malaise; mais la

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