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Earse, Orfila, Dupaquier, ne purent répondre à la première question, parce que les matières suspectes étant fortement acides, auraient pu par conséquent dissoudre les préparations insolubles. La potasse dont s'était servi M. Barse leur a fourni une petite quantité de plomb; mais ils ne peuvent affirmer si ce métal provient de cet alcali ou de l'eau distillée dont ils se sont servis, car celle-ci en contenait une quantité notable. Ils ont carbonisé le restant des matières des vonissements de Pouchon dans une capsule de porcelaine, traité le charbon par l'acide chlorhydrique; la liqueur, filtrée à travers l'amiante, a précipité abondamment du sulfure de plomb, par l'acide sulfhydrique. Ces matières étaient terreuses, boueuses, entremêlées de brins de paille, de feuilles, et répandaient, sur les charbons, une odeur plutôt végétale qu'animale. A la suite de cè rapport, la femme Pouchon et son complice ont été condamnés à la peine de mort. Cet arrêt a été cassé par la cour de cassation, et l'affaire a été portée, le 29 novembre suivant, devant la cour d'assises du Puy. Les mêmes experts ont été entendus, et en outre, pour la défense, MM. Rognetta, Flandin et Danger.

M. Rognetta. Il est impossible qu'on puisse administrer criminellement l'acétate plombique dans du vin, dans une salade : la saveur de ces aliments est trop repoussante. Les symptômes éprouvés par Pouchon sont ceux d'une gastrite ulcérative, exaspérée par la salade. Dans l'intoxication par le plomb, il y a aphonie, perte de l'intelligence, etc. Le plomb retiré des gros intestins peut provenir des aliments, des réactifs, de l'acétate de plomb administré quinze mois auparavant en lavements. Pouchon n'est pas mort empoisonné.

MM. Flandin et Danger, après avoir reproduit à peu près les mêmes objections que M. Dupaquier, Rognetta, blàment M. Barse d'avoir employé toutes les matières organiques, de ne pas s'ètre assuré de la pureté des réactifs, et, comme principale objection, d'avoir carbonisé ces matières dans une marmite en fonte. Voici sur quoi ils fondent cette dernière objection. Si on laisse séjourner, si on fait bouillir an soluté de plomb dans

un vase en fonte, par un effet galvanoplastique le plomb est revivifié et se dépose non-seulement à la surface de la fonte, mais encore en pénètre les porosités. Par le décapage au sable, à l'acide azotique, on dissout bien le plomb précipité sur les parois du vase, mais non celui qui a pénétré dans les interstices. Si ensuite on carbonise dans ce vase, ainsi décapé, des matières organiques exemptes de plomb, le charbon cependant renferme de ce métal, parce que celui-ci alors se liquéfie, surgit en petits globules à la surface du vase, et se mêle au charbon. M. Orfila, dans un Mémoire qu'il a publié après les débats judiciaires de l'affaire Pouchon, admet la plupart de ces faits, mais il conteste que le plomb infiltré dans les pores de la fonte puisse se mêler au charbon des matières organiques qu'on y carbonise à la chaleur rouge. D'après lui, ce métal se liquéfie en effet, sort des pores du vase; mais au lieu de se mêler au résidu charbonneux, il tapisse les parois de la fonte, et l'on peut le dissoudre par l'acide azotique. Ces résultats différents tiennent probablement à ce que M. Orfila n'aura pas remué le résidu charbonneux jusqu'à complet refroidissement. Les inculpés ont été condamnés aux travaux forcés.

Nous aurions voulu présenter quelques réflexions sur ce cas de médecine légale; mais nous avons déjà trop consacré aux préparations plombiques. Nous ferons remarquer cependant, combien il importe, dans tous les cas d'expertise, de s'assurer, par les lavages, si le tube intestinal, les matières suspectes, etc., ne renferment pas des poisons insolubles; de s'assurer expórimentalement de la pureté des réactifs; d'agir séparément sur le tube intestinal et sur les autres organes; d'opérer les carbonisations dans des vases en porcelaine. Les matières supposées avoir été vomies par Pouchon nous paraissent trop impures pour tirer de leurs analyses des conclusions affirmatives. Les petites paillettes qui tapissaient l'estomac et qui offraient les plus grands rapports avec la litharge auraient dû être conservées pour être soumises à une nouvelle analyse. On ne peut non plus affirmer que le plomb trouvé dans les organes ne provenaît pas des terres du cimetière, parce que l'acide acétique ne

dissout pas toutes les préparations plombiques. Les expériences auxquelles les experts ont soumis les matières suspectes sont insuffisantes, comme nous le démontrer ons plus tard, pour affirmer qu'elles ne renfermaient aucun poison de nature organique. L'affaire Pouchon a soulevé les questions toxicologiques suivantes.

A. Les préparations plombiques solubles ou insolubles peuvent-elles étre administrées dans un but criminel, dans du vin, dans une salade? Cette question peut avoir deux solutions différentes. M. Rognetta ayant introduit 8 gram. d'acétate de plomb dans une bouteille de vin, dans une salade, le vin est devenu trouble, épais, et les deux aliments ont acquis une saveur si repoussante, qu'il faudrait avoir le goût le plus dépravé pour les prendre. Il en serait ainsi, quoique d'une manière moins marquée, pour les oxydes, les carbonates, quoique insolubles, avec des liquides, des aliments fortement acides. Cependant, lorsque les boissons sont peu acides, on peut faire dissoudre dans ces liquides une certaine quantité de litharge, pour les rendre toxiques, pour produire l'empoisonnement lent, même, dans quelques cas, l'empoisonnement aigu (voyez faits pratiques), sans que cependant ces liquides contractent une saveur désagréable. C'est ainsi qu'ont lieu les accidents par le vin, le cidre, adoucis par la litharge ou par leur séjour dans des vases en plomb.

B. Les composés plombiques insolubles sont-ils toxiques? Les oxydes, le carbonate, les préparations enfin attaquables par les acides de l'estomac, des aliments, ne donnent guère lieu aux accidents de l'empoisonnement aigu, chez les animaux, qu'à la dose de 30 à 60 gram. D'après M. Dupaquier de Lyon, les composés insolubles, non attaquables par les acides, ne seraient point toxiques, et à la dose de 15 à 60 gram. ne produiraient pas plus d'effet que le sable: c'est ce dont il s'est assuré sur les chiens avec les borate, tannate, phosphate, tartrate, oxalate, sulfate, les sulfures naturel et artificiel. Cependant, d'après Orfila, les deux premiers sels se dissoudraient dans de l'eau acétique, et tous dans le chlorure de sodium et

quelques gouttes d'acides acétique ou chlorhydrique. Si cette assertion était vraie, ces sels, administrés dans ces conditions, pourraient, sinon produire l'empoisonnement aigu, du moins l'empoisonnement lent.

C. Une préparation plombique ayant été administrée à un individu comme médicament, depuis douze, quinze, dix-huit mois, ses organes peuvent-ils donner du plomb à l'analyse chimique? Cette question, dans l'affaire Pouchon, résolue affirmativement par les uns et négativement par les autres, est extrêmement importante. Les sels plombiques solubles et même insolubles, d'après Orfila, forment, avec nos tissus, un composé insoluble, sans qu'on sache encore d'une manière certaine dans quel état ils s'y trouvent. MM. Orfila, Dupaquier, ont retiré du plomb du tube intestinal des chiens auxquels ils avaient donné de l'acétate de plomb, soit par la bouche, soit en lavement, le premier, dix-sept jours, et le second, environ un mois après. Dans le cas d'encéphalopathie, de paralysie saturnines, le cerveau, les muscles fournissent aussi de cé métal. Si l'affection saturnine peut récidiver quoique les personnes ne soient plus exposées depuis un, deux ans et plus aux émanations plombiques, il faut bien admettre que le plomb est resté pendant ce laps de temps dissimulé dans les organes. Nous verrons enfin que, chez les individus qui ont été soumis pendant un certain temps à l'usage du nitrate d'argent, la peau, les autres organes prennent une couleur brune, et peuvent donner, douze, dix-huit mois après avoir cessé l'usage de ce médicament, de l'argent à l'analyse. Cette question, de la plus haute importance toxicologique, nous paraît donc devoir être résolue affirmativement quant au plomb, à l'argent.

D. Une personne ayant une affection chronique du tube intestinal nécessairement mortelle succombe, il y a soupçon d'empoisonnement, on trouve du poison dans les organes; la mort est-elle due au poison, ou à la maladie organique antérieure? Cette question s'est présentée déjà aux préparations cuivreuses; nous n'avons pu la traiter, parce que le fait n'était qu'énoncé. Dans l'affaire Pouchon, les experts

ont été divisés d'opinion. Le poison, d'après les uns, a été la cause déterminante ou efficiente de la mort. D'après les autres, les symptômes étaient ceux que Pouchon avait déjà éprouvés, mais seulement exagérés. Il est difficile de se prononcer, puisque les symptômes n'ont rien offert de particulier, et qu'à l'autopsie on n'a pas non plus trouvé de lésions spéciales à tel ou tel poison. Dans le doute, il vaut donc mieux rapporter les symptômes à la lésion organique. Nous ferons remarquer, cependant, que les individus atteints d'une affection cancéreuse ou ulcéreuse de l'estomac s'éteignent soit lentement et par émaciation, c'est-à-dire par défaut d'alimentation, soit promptement, et ordinairement à la suite d'une imprudence dans les aliments, etc. Mais alors l'affection organique offre des traces de lésions récentes, telles que déchirures, ruptures de vaisseaux, etc. Ces lésions n'ont pas été constatées dans l'affaire Pouchon, et les premiers experts, à cause même de l'absence de ces lésions, ont attendu le résultat des recherches ultérieures pour se prononcer.

E. Quelle est la dose toxique des préparations plombiques solubles? Cette question ne peut être résolue d'une manière absolue. D'après les expériences sur les chiens, il faudrait 15, 30 gram. d'acétate de plomb pour produire l'intoxication; cependant, nous verrons aux faits pratiques que quelques centigram. de litharge, dissoute dans le vin, ont suffi pour produire des accidents graves, l'empoisonnement lent, et même, dans quelques cas, l'empoisonnement aigu. L'activité de ces poisons, comme celle de beaucoup d'autres, serait donc variable selon les circonstances dans lesquelles ils seraient administrés, etc.

AFFAIRE MERLE (Alger). Cette affaire, dont nous ne pouvons juger que par l'extrait d'un rapport lu à la Société médicale de LaRochelle par M. Lesieure, pharmacien major et professeur de chimie à Alger (1852), est celle de la fenime Adrien Merle, qui fut prise tout à coup de coliques atroces, auxquelles succédèrent des vomissements, de déjections alvines sanguinolentes, et qui succomba. A l'autopsie, la muqueuse estomacale était d'un rouge de feu ou cerise, corrodée en quel

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