créé, le même ensemble la métaphysique de Pythagore et de Parménide ; la physique de Thalès, d'Héraclite, de Philolaüs, la dialectique d'Euclide, la morale de Socrate; mais cette alliance est quelquefois confuse, et des termes vagues, des contradictions nous arrêtent. C'est peut-être à cette incertitude, qui naît presque toujours des dialogues du maître, qu'il faut attribuer le doute universel de la seconde Académie. Cependant, si j'ose soustraire quelque chose au redoutable que sais-je? de Socrate et de ses disciples, il me semble que plusieurs dogmes sortent triomphans du combat des opinions théologiques, morales, politiques. Le Platonisme enseigne un seul Dieu, esprit pur , éternel, immuable , immense ; tout-puissant; Dieu de bonté et de justice, qui voit et prévoit tout, qui gouverne en Père ce monde vivant, Fils de Dieu , une pensée de son Intelligence (1), d'après un monde idéal, seal vrai, seul incorruptible ; les causes secondes, anges, démons, génies ; la spiritualité et l'immortalité de l'âme, ouvrage du moteur suprême, et qui apporte avec elle sur la terre les idées innées des premiers principes; les récompenses et les peines d'une autre vie, représentées allégoriquement dans le Phèdre, le dixième livre de la République, le Phedon et le Timée , par des fables orientales et quelques idées de Pythagore et des brachmanes sur la métempsycose, ou les différentes mi (1) Cette trinité Platonique est développée avec beaucoup de sagacité par le P. Mourgues , Plan théologique du Pythagorisme , t. I, p. 113. « Platon, dit-il, est inintelligible d'un bout à l'autre pour quiconque ne comprend rien à cela : ce sont les fondemens de sa morale , et les principes d'une philosophie plus théologique que celle de notre temps ; c'est là sa religion, et la vraie clef de ses ouvrages. » V. Cudworth, System. Intellect. IV, 36, et les auteurs cités Pabricius, Biblioth. Gr. t. II, p. 39. , par par grations de celles des âmes qui, pendant leur exil terrestre, ont oublié leur céleste origine. Il commande la charité (1) ou l'amour de Dieu, souverain bien de l'homme, la foi (2), l'espérance, le culte et la prière. En morale, il enseigne la loi naturelle sur le juste et l'injuste; la prudence, la tempérance, la force ; l'amour du prochain (3); le libre arbitre ; le bonheur dans la vertu, sans laquelle tout le reste n'est rien; la soumission du corps à l'âme, et du plaisir au devoir; l'oubli des injures; l'humilité. La politique de Socrate paraît, en général, fondée sur la haine de la démocratie. La République, ou plutôt le Traité du juste et de l'injuste, n'a pour l'aristocratie dans l'homme comme dans l'état, c'est-à-dire, dans l'homme, l'empire de la raison ; dans l'état , le gouvernement des meillenrs citoyens. Socrate, pour arriver à ce but, cxamine tour à tour les divers caractères, ou timocratique, ou oligarchique, ou démocratique, ou tyrannique, de l'homme et de la cité. Celle qu'il imagine pour établir ce parallèle, dont j'écarte les digressions et les paradoxes, est formée des ministres de la loi, des guerriers et du peuple, ou, suivant ses propres termes, des bergers, des chiens et du troupeau: ainsi , dans l'homme, il trouve la raison, qui seule doit régner, et les deux autres parties but que 2 (1) L'amour de Dieu , reconnu dans Platon (Banquet, disc. de Diotime) par St. Augustin, De Civit. Dei, VIII, 8, se trouve aussi dans Sénèque, Epître 47 : « Quod Deo satis est, qui colitur et amatur, » Passage qu'on peut opposer à Barthélemy, not. 2 sur le chap. 79 d'Anacharsis. (2) La foi, mistös dráp, De Legib. V, 3; L'espérance, De Legib. V, 4; De Republ. VI, 10, etc. (3) L'amour du prochain , De Republ. III, 1; Le libre arbitre, De Republ. X, 14; De Leg. X, 12, etc.; L'humilité, De Leg. IV, 7. de l'âme, nommées irascible et concupiscible, qui doivent obéir à la raison. Voilà toute la République. L'auteur ne peut y dissimuler son penchant pour le despotisme de la у vertu; c'est là son aristocratie. Mais il rejette comme indignes d'une nation et comme injustes, la tyrannie d'un seul, et celle des grands, et celle du peuple; il veut que son aristocratie , qu'il appelle souvent gouvernement royal, nous garantisse à jamais de ces trois fléaux de la liberté. Quel est donc, enfin, ce régime salutaire, le seul raisonnable, le seul légitime? Ici, nous devons tout dire: dans le Politique, la monarchie absolue paraît lui plaire, et il fait du monarque le ministre des dieux, l'image de la raison et de la justice même. Mais, partout ailleurs, il recommande aux hommes une constitution mixte, composée des trois membres du corps social, maintenus dans cet équilibre, seul garant du juste contre l'injuste, et il n'accorde le droit divin sur la terre qu'à la loi : la loi, née du consentement du prince ou des princes, du sénat et du peuple, lui semble alors la seule raison, la véritable aristocratie ; il en fait un dieu. Les opinions du philosophe ont varié, comme celles de tanı de publicistes nos contemporains. Son incertitude eut peut-être la même cause. Il vit la démocratie d'Athènes, et il écrivit le Politique (1); il vit la tyrannie de Sicile, et il écrivit la République, les Lois, et la lettre aux Syracusains. Jamais il n'est dogmatique; on peut l'affirmer contre l'avis et les distinctions arbitraires de quelques modernes. J'ai donc seulement choisi ce qu'il paraît annoncer quelquefois comme des vérités. Même dans le Timée, ou il expose avec une merveilleuse sécurité les opinions les plus hardies sur la naissance du monde, il commence par (1) Ainsi la démocratie anglaise de 1640 inspira , dit-on, à Th. Hobbes son apologie du pouvoir absolu. dire : « Souvenez-vous que moi qui parle, et vous qui jugez, nous sommes des hommes; et si je vous donne des probabilités, ne demandez rien de plus (1). » La vérité, en effet, peut-elle se trouver ailleurs que dans le monde intelligible, dans la pensée de Dieu ? Nous n'avons que la vraisemblance. De là tant d'idées fécondes, jetées en passant, et presque inaperçues faute d'être présentées avec l'appareil d'un système. Le Théétète renferme les principes de la physique de Descartes, et Cudworth (2) l'a prouvé. On n'y songeait pas avant lui. Pour décider cette question, il suffit d'Aristote: Arislote voulut être tout ce que Platon n'était pas. Les traditions égyptiennes, orientales, pythagoriques, disparaissent déjà de son école. Et qu'on ne croie pas qu'il se rapproche ainsi davantage des opinions et du caractère de Socrate. Non : quoique Platon ait souvent mêlé aux sentimens de Socrate ceux de Pythagore, de Démocrite, d'Héraclite , et des philosophes qu'on appelait barbares, il ne s'est pas autant éloigné du vrai Socratisme que plusieurs savans l'ont prétendu. Il y a un milieu, je crois, entre la confiance religieuse que Stanley veut qu'on lui donne (3), et la critique soupçonneuse de Brucker. Socrate, dans Xénophou même , est-il donc si timide ? Il parle de son démon, il se dit inspiré des dieux: n'est-ce pas là l'enthousiasme de Pythagore? Xénophon, le seul qu’on veuille croire, a écrit des pages entières sur ce Génie : d'où vient qu'on les lui pardonne ? Accordez ce point, et tous les dialogues de Platon sont vraisemblables. Que dis-je? l'i : 7 (1) Ed. Francof. Pag. 1047, D. (2) System. intellect. I, 7, p. 11; et De æternis justi et honesti ntionibus , l. II, c. 3 sq. p. 15. (3) Stanley, Hist. Philosoph. p. 115; Brucker, Hist. Philosoph. t. I, p. 560. ronie, l'induction, toutes les autres formes du doute, viennent sans cesse y tempérer la hardiesse des pensées. Tel était Socrate. Aristote, pour être chef de secte, fut dogmatique ; il inventa le syllogisme, les catégories, les topiques ; il fit servir toute la sagacité de son esprit à contredire son maitre. L'univers, dit-il, est incréé; l'âme est mortelle ; les sens lui donnent toutes ses idées ; Dieu, sans immensité, sans toute-puissance, sans liberté, ne s'occupe pas du monde sublunaire ; une vie animale, passagère, sans espérance, voilà notre destinée ; la fin de l'homme n'est plus Dieu même, souverain bien , éternelle beauté, source d'amour et de joie, mais un mélange de richesse , de volupté, de verta. Toute la philosophie est née de ces deux écoles. Félicitons les hommes de s'être mieux reconnus dans le maître que dans le disciple! CHAP. II. Ancienne, moyenne et nouvelle Académies. Cependant, à peine la Grèce eut-elle perdu Platon, Aristote , si sévère pour lui dans ses ouvrages, lui consacra un autel , en défendant aux méchans d'invoquer son nom (1). Ainsi, au temps d'Auguste, Antistius Labéo élevait Platon au rang de ces Génies qu'il avait nommés protecteurs des hommes, et l'honorait du culte des demidieux comme Hercule et Romulas (2). Suivons d'abord l'histoire de sa doctrine entre ces deux apothéoses. (1) Ammonius, Vie d'Arist. |