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publiait sous le même titre une autre analyse; plus tard, Longin, ministre de la reine Zénobie, admirée et chérie de ses peuples, commentait le Phédon et le Timée à la cour de Palmyre. On dirait que cette philosophie, où conseillère des rois sages, ou simple témoin de leur règne, est inséparable du bonheur des hommes.

SECT. II. Mais c'est peu d'une gloire profane, le Platonisme est réservé à une destinée presque divine. La foi du philosophe crucifié, comme on parlait alors, cette foi, qui n'était que d'hier, étend ses conquêtes dans tout l'avenir; et les premiers Pères de l'Église, pour faire ac'cueillir l'heureuse nouvelle aux peuples qui résistent encore, cherchent un appui dans la religion de Socrate, la plus céleste des religions humaines.

Déjà les Juifs hellénistes et Philon à leur tête, Philon, qui a aussi sa trinité, avaient expliqué l'Ecriture, comme fit plus tard Synésius, par le secours de l'allégorie, qui devint trop souvent le moyen de tout admettre sans rien croire. Déjà les premiers chapitres du livre de la Sagesse, 'écrit sans doute à Alexandrie, et attribué à Philon luimême du temps de Saint Jérôme, offraient plusieurs idées platoniques mêlées aux doctrines orientales. On retrouve aussi, bien long-temps auparavant, quelques traces de cette alliance, dans l'Ecclésiastique de Jésus, fils de Sirach; mais elle se montre surtout, vers l'époque où nous sommes arrivés, dans le quatrième livre d'Esdras, qu'on prendrait pour l'ouvrage d'un catéchumène d'Alexandrie. Platon avait voulu que le philosophe parlât une langue sacrée : sa République, où Saint Clément voit l'image de la Cité sainte, fut traduite en Hébreu. Les Gnostiques, enfin, condamnés depuis par les conciles, mais qui comptent parmi eux d'illustres propagateurs de la foi, sortirent de cette école Alexandrine, si féconde en symboles et en mystères.

Mais avant leur condamnation, et celle des Valentiniens et des Ariens, nés de la même origine, des hommes que l'Eglise révère ne dédaignèrent pas le crédit d'un grand nom accoutumé au respect des peuples. Les lettres d'Ignace, de Clément de Rome, en sont la preuve. L'auteur de l'Epitre à Diognèie, ouvrage voisin des temps apostoliques, prend quelquefois le Théétète pour modèle. Le Pasteur, publié sous le nom de Saint Hermas, livre d'emblèmes et de paraboles, est empreint de cette mysticité égyptienne et platonique, accueillie alors avec enthousiasme par la communauté des fidèles.

Si l'apôtre Saint Paul, homme d'un génie merveilleux, qui, selon d'anciennes traditions, apprit la sagesse grecque sous le docteur Gamaliel (1), ne doit pas être confondu avec ces écrivains dont l'authenticité est fort douteuse, il nous prouve du moins par son exemple (2) que les prédicateurs de la parole sainte n'avaient pas tous méprisé les études profanes.

Que dirons-nous de Saint Justin, le premier des Pères grecs, né vers l'an 89, à Flavia-Néapolis? Il confirma et accrut peut-être, par ses Apologétiques et son Dialogue avec Tryphon, l'erreur de ceux qui ne voyaient dans les disciples de Paul qu'une nouvelle secte de philosophes. Il ne faut pas, comme les Sociniens, le croire auteur de la trinité et du baptême; mais quelques passages avaient pu les tromper. Ce philosophe, qui fut martyr, s'était adressé long-temps, pour trouver la vérité, aux sectateurs de Zénon, d'Aristote, de Pythagore: il lut Platon, et il devint chrétien. Il le compare sans cesse à Moïse, aux prophètes, aux apôtres. Il dit: « Ce qui fut autrefois

(1) Guil. Cave, Antiq. Apost. Vita Pauli, c. 5, p. 331. (2) St. Paul cite Aratus, dans son discours à l'Aréopage, Act. XVII, 28; Epiménide, ad Tit. I, 12; Ménandre, Cor. I, 15, 33.

révélé à Socrate par le Verbe, l'a été aux barbares par le même Verbe qui s'est fait homme, et qu'on a nommé le Christ (1). ›

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Tatien, son disciple, à l'exemple des principaux Gnostiques, essaya de prouver, dans son Discours aux Grecs, que les Grecs devaient aux barbares ou aux Hébreux toutes leurs idées et toutes leurs croyances; il s'égara souvent, et les rêveries de l'Orient finirent par l'aveugler.

Athénagoras l'Athénien, après avoir enseigné dans les musées d'Alexandrie la philosophie Socratique, présenta aux empereurs Marc-Aurèle et Commode son Apologie pour la philosophie évangélique, suivant l'expression de Théodoret. « Princes, leur dit-il (2), si Platon, en reconnaissant un seul Dieu, créateur et conservateur du monde, n'est pas un impie, nous ne sommes pas non plus des impies en adorant, dans un seul Dieu, le Verbe qui a créé et l'Esprit qui conserve. »

Enfin, le plus savant de tous ces défenseurs que la religion allait chercher dans les écoles profanes, St. Clément d'Alexandrie, à qui Philippe de Side donne Athénagoras pour maître, écrivit, dans les dernières années du second siècle, son Exhortation aux payens, son Pédagogue et ses Stromates, où il conduit le catéchumène par tous les degrés du doute, de l'instruction, de la croyance, et, pour ménager sa foi, lui enseigne imprudemment à soumettre les dogmes de la théologie aux interprétations séduisantes, mais presque toujours arbitraires, de notre faible raison. Il se fit Platonicien, et l'Eglise s'étonna de lui voir des Chrétiens pour disciples.

Quelques erreurs étaient inséparables de ce hardi système. Origène d'Alexandrie en recula les bornes avec une (1) Apolog. II, 5.

(2) Legat. pro Chr. p. 7, A, édit. 1636.

incroyable liberté. Les leçons de ses maîtres, Saint Clément et Ammonius, sont trop souvent confondues dans les nombreux ouvrages de cet infatigable écrivain (1). Ses Hexaples, recueil polyglotte des livres sacrés, vaste monument que les modernes ont tenté de reconstruire, auraient dû suffire à sa gloire; le rôle de commentateur était dangereux pour lui. Séduit par l'exemple de Philon, son compatriote, qui avait autrefois dénaturé l'ancienne loi, Origène, dans ses Exégétiques, dans ses Principes, allégorise la loi nouvelle, et le Platonicien n'est pas toujours orthodoxe. On croirait souvent qu'il garde la neutralité. Aussi, malgré l'utilité et la bonne foi de ses écrits, malgré ses livres contre Celse, Epicurien ou plutôt Eclectique ;' malgré tout ce qu'il souffrit pour la cause de l'Evangile, le concile de Constantinople, en 553, taxa d'hérésie dans ses ouvrages quelques dogmes extraits de la République ou du Timée. Le fougueux Tertullien s'était indigné déjà contre le Platonisme (2), éternel assaisonnement de toutes les hérésies. Peut-être, en condamnant Origène, le punissait-on de l'audace de Porphyre, l'ennemi de la foi; car Eusèbe attesté (3) que Porphyre, dans sa première jeunesse, vint entendre Origène. Eusèbe nous apprend, au même endroit, qu'Origène, admiré, consulté, régnant par son génie sur tout l'Orient, passait alors pour le premier ou plutôt pour le seul philosophe : le concile de Nicée n'avait pas encore fixé la doctrine.

Cet Eusèbe, dont la Préparation et la Démonstration évangéliques sont des monumens précieux, n'y abuse pas

(1) Surnommé Adamantinus, et xaλxévrepos, aux entrailles de

bronze.

(2) Doleo bonâ fide Platonem omnium hæreticorum condimen tarium factum. » De Anima, c. 23.

(3) Hist. Ecclés. VI, 19.

moins, il faut l'avouer, de cette érudition païenne, faible et inutile appui d'une religion révélée.

Les autres Pères qui employèrent les mêmes moyens de persuasion, Théophile d'Antioche, Irénée, Grégoire le Thaumaturge, Paul de Samosate, Méthodius, Pamphile, Athanase, ne furent pas exempts des mêmes reproches. Mais qui oserait aujourd'hui les accuser, quand le triomphe du Christianisme les absout?

Il est du moins permis de croire que ce saint amour du Platonisme, cette noble étude avouée si long-temps par l'Eglise, cette ambition d'imiter et de vaincre un génie sublime, ont contribué à former ensuite les grands apôtres de notre culte, Grégoire de Nazianze, théologien et poëte; Basile de Néo-Césarée, esprit contemplatif et doué d'une éloquence pure et mâle; Jean Chrysostome, dont le nom paraît être celui de l'éloquence sacrée, dignes émules de l'orateur philosophe qui, sous les ombrages de l'Académie, vint réformer la croyance des hommes, et annoncer un seul Dieu, commencement, milieu et fin de toutes choses.

SECT. III. Voilà le Platonisme religieux, celui des Pères de l'Eglise. Les défenseurs du culte de l'Empire, à la nouvelle de tant de victoires qui les déshonorent, regardent autour d'eux avec effroi, et cherchent un asyle où ils puissent sauver leurs dieux. Ils interrogent toutes les sectes philosophiques; ils leur demandent si elles n'ont pas aussi leurs livres sacrés. Platon fut seul jugé propre à soutenir cette lutte formidable, qui allait ou détruire à jamais ou faire triompher les anciens autels de la Grèce et de Rome. D'autres, plus hardis encore, appelèrent à leur secours le poëte de leur Olympe, Homère, que tant de philosophes avaient condamné. Mais le génie d'Homère fut défiguré par des allégories, et celui de

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