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CHAP. V. Moyen áge, Académie de Médicis.

Je laisse à de plus savans que moi le soin de démêler ce qu'il peut y avoir de Platonisme dans les rêveries talmu→ diques et cabbalistiques, dans les hérésies de Valentin et d'Arius, dans les livres des Orientaux modernes. Qu'il suffise de rappeler que le Talmud et le Jésirah sont remplis d'imaginations bizarres, attibuées long-temps à Pythagore ou à Platon, et qu'au treizième siècle la vénération du peuple d'Israël pour ces anciens sages était encore si profonde, que le rabbin Joseph Aben Caspi commentait la République. Il est inutile aussi de prouver combien les Eons de Valentin et la Trinité d'Arius ressemblent aux opinions Alexandrines. Contentons-nous, enfin, d'indiquer en passant le souvenir conservé jusqu'à nous d'une traduction de la République et des Lois, faite en arabe, au commencement du neuvième siècle, par l'ordre du khalife Almamoun, dont le génie philosophique et littéraire, gloire immortelle de la dynastie des Abbasides, semblait reprocher à notre Occident son ignorance et ses ténébres; le commentaire inédit sur la République, de Thograi d'Ispahan, mort vers 1121; l'Homme instruit par lui-même, célèbre ouvrage de Tophail de Séville, admiré par Averrhoës son contemporain, analysé par Leibnitz, traduit dans plusieurs langues de l'Europe et où l'Aristotélisme des Arabes fait souvent place aux hardiesses de l'enthousiasme et aux révélations de la conscience; la paraphrase qu'Averrhoës lui-même fit de la République, non sur le texte qu'il n'entendait pas,

mais sur des traductions infidèles; les sentences Platoniques, recueillies par le Tartare Nasiroddin au treizième siècle, et citées par Abou'lfarage (1); le Gulistan de Saadi, qui est presque tout emblématique, et rappelle les symboles de Pythagore, etc.

Malgré la rapidité de mon plan qui m'entraîne (2), je remarquerai encore une légère ressemblance entre le Sabéisme et quelques opinions du Timée, comme la fraternité de chaque âme et de l'astre où elle doit retourner; mais surtout, les singuliers rapports du Platonisme avec plusieurs croyances de la loi Musulmane, telle que l'entendent ses interprètes. Le livre de Tophail est peut-être le plus précieux monument de ce commerce de pensées ; l'Islamisme, à cette époque de science et de gloire pour les Arabes, avait besoin d'être épuré par les explications morales de ses docteurs, sous peine de rencontrer beaucoup d'incrédules. Un Mahométan, l'historien Abou'lfarage (3), nous a même transmis cet axiome des docteurs de Bassora: « La religion, profanée par des erreurs, ne saurait être purifiée qu'à l'aide de la philosophie, et c'est du mélange de la philosophie grecque et de la religion arabe qu'on doit espérer enfin la perfection. » Malheureusement pour la raison humaine, en cherchant la perfection, en voulant expliquer ce qu'il faut croire, les docteurs Arabes se précipitèrent dans le chaos des subtilités Aristotéliques, et ils léguèrent à nos scolastiques du douzième siècle cet héritage de mots et d'obscurités.

(1) Dynast. IX, p. 358.

(2) Brucker, de quinze en quinze pages, promet d'être court, et il le promet encore dans le sixième de ses gros volumes in-4°., dont quelques-uns ont plus de mille pages. Puissent les savans nous excuser d'avoir tenu ce qu'il a promis !

(3) Ibid. p. 218.

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Je m'étonne que plusieurs de ces abstracteurs de quintessence, comme parle Rabelais, n'aient pas eu le sort de Philétas de Cos, qui mourut, dit-on, du travail et de la peine qu'il mit à débrouiller le sophisme appelé le

Menteur.

Cependant, qui le croirait? on reconnaît encore, sous Charles-le-Chauve, dans les livres de Jean Scot Erigène, quelques débris épars des dogmes et du mysticisme d'Alexandrie; Nanno de Staveren écrivit sur la République et les Lois au dixième siècle; vers la fin du siècle suivant, je trouve un ou deux ouvrages Platoniques de Constantin de Carthage, moine du Mont-Cassin; on attribue en partie à la même doctrine, puisée dans le faux Denys-Areopagite, les erreurs d'un disciple d'Abailard, Almaric de Chartres, brûlé avec ses livres au concile de Paris en 1209; Abailard lui-même est accusé par Saint Bernard (1) d'être moins Chrétien que Platonicien, quoique les dogmes qu'il lui reproché soient adoptés par Saint Cyrille, Saint Grégoire de Nazianze, et presque toute la pri mitive Eglise. Le protecteur d'Abailard persécuté, Pierre le Vénérable, qui fut abbé de Cluny depuis 1122 jusqu'à 1156, imite, dans son traité des Miracles, la vision de l'Arménien. La plupart des Réalistes, et parmi eux Gilbert de la Porrée, accusé aussi par Saint Bernard, admettaient les idées archétypes; Guillaume, évêque de Paris vers 1240, continuait de mêler des hypothèses Platoniques au péripatétisme; Robert Grosshead, évêque de Lincoln, suivait leur exemple; Arnauld de Villeneuve, vers 1300, voulait aller chercher jusqu'en Grèce les traces de l'ancien Pythagorisme: théologiens hardis, qui tôt ou tard, comme Albert-le-Grand, évêque de Ratisbonne, passaient pour magiciens. La raison était alors si rare et (1) Epist. 190.

si faible, qu'on soupçonnait de sortilège quiconque s'éleyait au-dessus des erreurs communes. Mais je laisse ces ténèbres, que je ne veux pas disputer à l'empire d'Aristote (1), et après avoir franchi en silence tous ces déserts Ju moyen âge, où le nom de Platon est cité encore dans notre France par le moine Gunzon, Fréculphe, et Vincent de Beauvais, je me hâte d'arriver à la renaissance des

Lettres.

Vers 1400, plusieurs savans de Constantinople, où s'était conservée toujours quelque instruction, viennent en Italie réclamer les secours de l'Occident, ou assister aux conciles pour la réunion des deux Eglises. L'Italie avait produit déjà le Dante, Pétrarque et Boccacc. Le Dante, au témoignage de Paul Jove, illumina sa divine Comédie de tout l'éclat du Platonisme. Le moine Calabrois Barlaam, envoyé en 1339 par Andronic le jeune au pape Benoît XII, expliquait Platon à Pétrarque. Boccace lit traduire Homère en latin par un autre Calabrois, Léontius Pilatus. Mais le premier Grec qui enseigna aux nouveaux Européens sa langue et sa littérature, fut Manuel Chrysoloras (1387). Venisé, Florence, Rome, Pavie, entendirent tour à tour ses leçons, et Léonard d'Arezzo, Guarino de Vérone, le Pogge, Philelphe, sont comptés parmi ses disciples. En 1423, Jean Aurispa, Sicilien, revint en Italie avec les OEuvres complètes de Platon, de Proclus, de Plotin, et d'autres riches dépouilles de l'Orient. De savans Grecs succèdent à Chrysoloras. George de Trébizonde, secrétaire de Nicolas V, traduit Platon

(1) « D'où sont nées tant de guerres civiles de religion dans l'Allemagne, la France et l'Angleterre, sinon de la métaphysique, de la morale et de la politique d'Aristote?» Hobbes, Léviathan, c. 46. Jugement suspect; mais retranchez tout ce qu'il vous plaira de cette exagération, il en restera toujours quelqué vérité,

et le combat; il est réfuté par Bessarion, qui le traite de calomniateur. Bessarion était l'élève de Gémiste Pléthon, zélé promoteur du Platonisme chez les modernes, moins célèbre pour avoir accompagné Jean Paléologue au concile de Florence, en 1443, que pour avoir inspiré à Cosme de Médicis la noble pensée de fonder dans son palais une nouvelle Académie. Marsile Ficin, chef de cette réunion si favorable à tous les développemens de l'esprit, Ficin, laborieux et fidèle interprète, qu'on n'a pas encore égalé, nous a laissé dans son commentaire sur le Banquet un monument de ces entretiens, où se trouvaient Philippe Valori, Cavalcanti, Ange Politien, Mercati, et ce jeune et infortuné prince de la Mirandole, qui, après avoir curieusement approfondi toutes les croyances Egyptiennes, Hébraïques, Chaldéennes, Grecques, Latines, Arabes, Cabbalistiques, voulait enfin parcourir le monde, seul, pieds nus, en prêchant la religion révélée, lorsqu'il finit à trente-deux ans son admirable vie, épuisée peut-être par l'ambition de la science et de la gloire.

Constantinople devient barbare en 1453, et les Grecs demandent l'hospitalité. L'Italie, accoutumée par ses princes à l'amour des Lettres, s'empresse d'accueillir les exilés de Byzance et d'Athènes. Si l'on a tort de dire qu'ils y apportèrent l'instruction classique, quand Pétrárque et le Pogge avaient déjà découvert tant de précieux manuscrits, et qu'on avait vu paraître les versions latines d'Aristote par Bessarion, de Plutarque par Léonard d'Arezzo, de Diogène Laërce par Ambroise le Camaldule, d'Hérodote et de Thucydide par Laurent Valla, les ouvrages de Guarino, de Philelphe et des autres disciples de Chrysoloras; il est certain que, par les nombreuses écoles qu'ils ouvrirent, ils rendirent la science plus commune et plus facile, Parmi ces fugitifs qui emportent

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