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avec eux les immortels ouvrages de leurs ancêtres, on distingue Constantin Lascaris, dont la grammaire est le premier livre grec imprimé (Milan, 1476); Jean Lascaris, qui recueillit en Grèce des manuscrits pour Laurent de Médicis; Théodore Gaza, traducteur et défenseur d'Aristote; Michel Apostolius, son adversaire, qui, n'ayant que la pauvreté pour compagne, comme il le dit lui-même à la fin de sa copie de Xénophon, gagnait sa vie à transcrire des livres ; Démétrius Chalcondyle d'Athènes, qui publia la première édition d'Homère en 1488, à Florence, où Laurent l'avait appelé; Marc Musure, dont les soins furent si utiles à l'imprimerie des Aldes, et qui, en 1513, à la tête de son édition de Platon, que Léon X récompensa par l'archevêché de Malvoisie, exhortait en beaux vers les princes de l'Europe à délivrer sa patrie; Hermonyme de Sparte, qui professa le grec à l'Université de Paris, et brava courageusement, avec ses compatriotes George et Andronic, la résistance du pédantisme et des préjugés.

En répandant le goût de leur belle langue, et les ouvrages magnifiques et simples de leur antiquité, ces Grecs, sans être tous philosophes, contribuèrent tous à bannir le jargon de la scolastique, et ces nuages de mots qui offusquaient toutes les idées. Un seul dialogue de Platon faisait oublier les innombrables volumes des docteurs; on quittait Pierre Lombard, le Maître des sentences, pour lire Xénophon; les commentateurs arabes ne pouvaient tenir long-temps contre ces modèles de raison, d'élégance et d'harmonie. Au siècle des Vida et des Sannazar, à l'époque où reparaissaient la grâce des pensées et le charme du style, la barbarie sophistique du moyen âge devait bientôt céder; Politien avait trop de goût pour calculer des distinctions et des catégories. Platon marque

les temps de régénération et d'enthousiasme dans les annales des peuples. Au quinzième siècle, l'esprit humain enhardi par quelques heureuses révolutions politiques et par ses propres découvertes, la boussole, l'imprimerie, l'apparition d'un nouveau monde, préférait des hypothèses sublimes à de sèches et froides chimères. L'homme voulait s'élever, s'agrandir: pouvait-il jamais assez croire à cette philosophie religieuse, qui place à la tête de ses nobles enseignemens, non pas l'homme, mais Dieu ?

Les savans, armés d'une sage critique, ruinaient insensiblement tous les fondemens du Péripatétisme. Fr. Patrizzi, habile et ardent Platonicien, clair dans ses Discussions, profond dans sa Philosophie universelle, marche quelquefois sur les traces de Télésio, qui venait de mériter le titre de nouveau Parménide. Ils eurent pour auxiliaires Steuchus Eugubinus, Mutius Pansa, qui travaillèrent à la concorde de toutes les croyances pieuses. Les prestiges cabbalistiques de Reuchlin et d'Agrippa, la magie et la science occulte de Paracelse, de Robert Fludd, de Jacques Boehm, pouvaient nuire à la cause de la raison, comme l'ancienne théurgie; mais ces erreurs furent passagères. Sur divers points de l'Europe, Erasme, bon écrivain, satirique ingénieux, avide de tous les genres de gloire ; Vivès, son ami, le dernier philosophe dont l'Espagne s'honore; Lefèvre d'Estaples, investigateur opiniâtre de la vérité; Louis le Roy, traducteur du Timée et de la République; Montaigne, Charron, qu'il suffit de nommer; Bérigard, que Pise et Padoue enlevèrent à la France; Gassendi et ses disciples, furent souvent les éloquens défenseurs du bon sens qui renaissait avec le bon goût, et triomphèrent de la scolastique et des persécutions. Ramus, moins heureux, ne fut pas moins utile, et it commença chez nous cette réforme hardie, dont il fut le

martyr (1). Enfin, malgré les tribunaux et les bulles, les subtilités d'Aristote et des Arabes, qui ne méritaient pas cette protection, puisqu'elles avaient produit Pomponace, Césalpin et d'autres docteurs d'impiété, firent place aux nobles idées de l'Académie primitive, à la philosophie religieuse; et l'Aristotélisme, soutenu long-temps encore par des mains imprudentes, toniba pour la dernière fois. Descartes et Malebranche furent dignes d'achever cette révolution de l'esprit humain.

CHAP. VI. La France, l'Angleterre, l'Allemagne.

PLATON avait déjà vu de son temps que, s'il laissait la victoire aux sophistes, qui se servaient d'une langue de convention et de tout l'appareil des formes dogmatiques pour voiler leur stérilité intellectuelle et morale, on s'épuiserait en disputes sur les erreurs présentes sans croire même à l'avenir. Il en appela donc au cœur de l'homme; il réveilla ces idées premières, cette raison divine, que les raisonnemens humains n'avaient pu détruire; il fit taire le bruit des syllogismes pour n'écouter que la voix intérieure de l'âme; la philosophie devint une croyance, une religion, et les fausses lueurs des Gorgias et des Thrasymaque disparurent devant la lumière de vérité, qui éclaire tout homme venant au monde. Ainsi, dans les temps modernes,

(1) Le jour de la St. Barthélemy, il fut massacré par ses rivaux pour avoir osé dire: « Me ab Aristotele...... deceptum cognovi...... Deo opt. max. gratias immortales nomine Platonis habui, quòd eum mihi nauclerum præbuisset...... Sine Platonica methodi luce, sine Platonica philosophandi et quærendi libertate, progredi rectà, ac sine errore non potui. » Animadvers. Aristotelic. lib. IV, p. 138.

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la scolastique, cette science matérielle de mots et de formules, ébranlée d'abord par les Platoniciens de Florence, ne put résister à Descartes, qui s'adressait à l'âme ; et plus récemment, quand on a vu les conséquences inévitables du sensualisme de Locke, de Condillac et de leurs disciples, cette scolastique nouvelle a été heureusement combattue par le Platonisme dans les écoles étrangères.

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Descartes a plusieurs traits de ressemblance avec les philosophes anciens; il voyage et observe comme eux ; pour être libre comme eux, il fixe pendant vingt ans sa retraite dans une république, et s'affranchit ainsi des charges que semblait lui imposer sa naissance. Livré à ses études solitaires sur l'homme et sur la nature, trouva les idées de Platon ; il arriva par la méditation aux mêmes doctrines métaphysiques et morales. Son doute est l'ignorance de Socrate; il ne cède qu'à l'évidence. Le doute, la pensée, l'âme, Dieu, voilà l'ordre qu'il suit et qu'il nous trace: on connaissait déjà, par les dialogues entre Socrate et les sophistes, cette force irrésistible des inductions, et l'ignorance philosophique nous conduit encore une fois à la croyance et à la vertu. Descartes rejette donc aussi l'opinion que toutes nos idées viennent de la matière, et que l'âme, par elle-même, ne sait rien. Jusqu'ici, content de l'évidence, il n'imite pas les apologues Homériques du sage d'Athènes; mais un langage précis, la méthode, l'analyse, qui remplacèrent partout chez lui la poésie du style, ne l'empêchèrent pas de reproduire celle des systèmes. L'inventeur de la méthode s'égare au-delà de ses règles dans ses hypothèses physiques; et si nous voulions le suivre au milieu de ses tourbillons, nous croirions retrouver les huit cieux concentriques, l'immortel fuseau de la Nécessité, et les chants harmonieux des Sirènes célestes.

De tous ses disciples, qui furent si nombreux et si illustres, Malebranche, par son génie, son style, ses erreurs même, a peut-être le plus de rapports avec Platon. Dans la Recherche de la vérité, ce chef-d'œuvre de l'esprit méditatif, il se montre à la fois grand observateur et gnd peintre; il s'élève sans effort aux plus hautes spé culations; on croirait souvent, à l'entendre parler de l'empire des idées, que son cœur palpite encore, comme le jour où il lut pour la première fois l'Homme de Descartes. Mais le sublime est tellement dans sa nature, qu'il est éloquent sans passion; il juge comme un pur esprit l'entendement, l'imagination, les sens; le corps n'est rien dans son système ; il ne se traîne pas sur les choses de ce monde; il ne voit que Dien et l'avenir. Enfin Malebranche est le philosophe français qui a dit : « Il est absolument nécessaire que Dieu ait en lui-même les idées de tous les êtres qu'il a créés, puisqu'autrement il n'aurait pu les produire. Or, Dieu est uni très-étroitement à nos âmes par sa présence, de sorte qu'on peut dire qu'il est le lieu des esprits, comme les espaces sont, en un sens, le lieu des corps. Il est donc certain que l'esprit peut voir ce qu'il y a dans Dieu qui représente les êtres créés, puisque cela est très-spirituel, très-intelligible et très-présent à l'esprit (1). » Telle est la doctrine de Malebranche dans son livre de l'Entendement. L'entendement, qu'il soustrait aux impressions de la nature sensible, à l'imagination, à la mémoire, pour ne le soumettre qu'à la loi de l'évidence, à Dieu-même, « reçoit de Dieu, dit-il, les idées toutes pures de la vérité, sans mélange de sensations et d'images, non par l'union qu'il a avec le corps, mais par celle qu'il a avec le Verbe, ou la sagesse de Dieu (2). »

(1) Recherche de la vérité, liv. III, part. II, c. 6. (2) Ibid. Conclusion des trois premiers livres.

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